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Hamilton-Verstappen : comment revenir à des circuits punitifs pour respecter les limites de la piste

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 08/04/2021 à 11:46 GMT+2

GRAND PRIX D'EMILIE ROMAGNE - L'affaire du dépassement illicite de Max Verstappen (Red Bull) sur Lewis Hamilton (Mercedes) à Sakhir a relancé le débat sur les limites de la piste et la meilleure façon de les faire respecter. Parce que la modernité est passée par là et qu'une barrière physique, type graviers ou bac à sable, va à l'encontre de l'homologation des tracés à vocation auto et moto.

Les limites de la piste ? "Il faut mettre fin à ces circuits Playstation qui pardonnent tout"

Le Grand Prix de Bahreïn a laissé un sentiment d'inachevé aux supporters de Lewis Hamilton, et un goût amer pour ceux qui voulaient voir Max Verstappen l'emporter. A 29 reprises en début de course, le Britannique est passé au-delà des limites de la piste au virage n°4 du circuit de Sakhir sans être sanctionné, alors que son rival néerlandais a été sommé de rendre sa position après l'avoir fait au 53e passage, en dépassant la Mercedes n°44.
A l'arrivée de la première manche de 2021, Toto Wolff, le directeur de l'écurie allemande, s'était étonné que la direction de course puisse livrer deux interprétations différentes d'une même règle incitant à reste dans les limites d'un tracé. L'équipe de Michael Masi avait été intransigeante face aux écarts d'un pilote comme Valtteri Bottas lors des essais le vendredi et le samedi, en annulant ses chronos. En effet, passer au large offrait un gain de vitesse - donc de compétitivité - illicite, risquant de fausser la composition de la grille de départ. Le dimanche, en revanche, Michael Masi avait fait preuve de mansuétude à l'endroit de son coéquipier de Mercedes, la question étant juste de ne pas voir un pilote prendre plus de vitesse pour dépasser. Puis il avait suscité la confusion en se réveillant en cours d'épreuve, ne tolérant plus aucun écart synonyme de gain de vitesse, en solo ou en duel.
Si Michael Masi s'était défendu de toute incohérence et de tout laxisme sans convaincre, il était clair pour tout le monde qu'une telle situation ne devait plus se reproduire sous peine de renvoyer l'image d'un sport mal géré, soumis à la politique et ses petits arrangements. "Nous devons être cohérents dans les messages qui sont donnés. Ils doivent être clairs, sacralisés, et non être une pièce de Shakespeare qui laisse place à l'interprétation", avait prévenu Toto Wolff, le directeur de l'équipe Mercedes, au soir du Grand Prix de Bahreïn.

"Une infraction n'est jamais jugée de la même façon"

Dans cet après-Grand Prix de Bahreïn qui doit rendre la Formule 1 plus lisible, plus équitable, plusieurs solutions apparaissent sans qu'aucune ne soit véritablement idéale. Remettre des bacs à sable, des graviers, de l'herbe pour délimiter les virages sensibles ? Durcir la loi en laissant en l'état des circuits critiqués pour leur manque de caractère ? "Ce qu'il faut comprendre aujourd'hui, c'est que beaucoup de pilotes se donnent le droit de le faire parce que techniquement c'est possible, explique Benoît Tréluyer, vainqueur des 24 Heures du Mans en 2011, 2012 et 2014 avec Audi. Ce n'est pas une ligne blanche qui va freiner un pilote, l'empêcher de doubler. Sur un ancien circuit comme Suzuka, on ne coupe à aucun endroit parce qu'il y a de l'herbe partout. Quand un pilote ne se sent pas sûr de lui sur ce tracé, il ne passe pas à fond."
Pour Benoît Tréluyer, le problème concerne d'abords les pistes les plus récentes. "Les circuits modernes sont complètement aseptisés, sécurisés mais aseptisés, constate-t-il. A mon avis, pour revoir des courses intéressantes, il faut mettre deux mètres d'herbe - c'est-à-dire la largeur d'une voiture - juste après la ligne blanche, tout autour des circuits. Là, vous verrez qu'il y aura une différence. Aujourd'hui, il n'y en a plus : on passe deux-trois mètres au large, on s'en fiche, on n'a même pas perdu de temps. Avec de l'herbe, ce serait une perte de temps assurée et plus du tout la même attitude. Les vrais bons pilotes, sûrs d'eux, précis, feraient vraiment la différence. De nos jours, on peut être un bon pilote sans être vraiment précis partout parce qu'on a de la marge. A part prendre une pénalité et se faire taper sur les doigts, on ne risque pas grand-chose. En plus, une infraction n'est jamais jugée de la même façon. Les commissaires ne voient qu'une fois sur deux, et la sanction dépend de l'habileté du team à se justifier. Ce sont des négociations qui ne servent à rien d'autre que polluer le sport. L'herbe, elle, serait la même pour tout le monde."
Lewis Hamilton (Mercedes) au Grand Prix du Japon 2019
Benoît Tréluyer parle bien d'herbe naturelle, et pas de l'Astroturf, ce tapis vert qui l'imitait. "Le problème est qu'en vieillissant, il prend du grip et ne sert plus à rien, note-t-il. Il se décolle et c'est dangereux. Et puis, dans chaque virage, le grip évolue pendant le week-end, au fil des mois." L'Astroturf n'est pas passé de mode seulement pour ça : il se transformait en patinoire à la moindre averse.

Noir ou blanc mais pas gris

Pour le bien de son sport, un pilote de gros calibre va toujours réclamer un circuit authentique, à l'ancienne, pour son côté sélectif fait de limites naturelles et non artificielles. Mais ce n'est plus la tendance depuis des années. "On est nostalgique des anciens circuits mais il y a aujourd'hui des normes de sécurité qui doivent être validées pour l'auto et la moto, remarque François Sicart, directeur général de DAMS, l'une des écuries les plus couronnées en GP2/F2 et Formule E. On ne peut plus faire certaines choses comme poser une bande de gazon synthétique et le bac à graviers a aussi ses limites : si ça arrête la voiture, c'est un risque de tonneau. Malheureusement, il n'y a pas de formule idéale. Il faut accepter les runs off (ndlr : bandes de bitume), qui altèrent la performance des pilotes. Ils savent qu'ils peuvent sortir à cet endroit, et il y a donc moins de prise de risques."
Les runs off ont gagné la partie face à l'herbe ou aux graviers car ils n'occasionnent aucune casse sur les fonds plats des monoplaces. Au moindre écart, les pilotes se retrouvent instantanément sur ce prolongement de la piste car les bordures ont perdu de la hauteur au fil du temps. A l'heure de la réduction des coûts, c'est un vrai argument. Et pas qu'en Formule 1 : cette année, la Formule 2 propose trois courses par week-end.
En se plaçant d'un point de vue strictement sportif, François Sicart appelle à un renforcement de la règle : "On est pas mal de dirigeants en sport auto à demander que les règles soient noir ou blanc, mais pas gris. Pour moi, la règle est simple : il faut avoir au moins une roue sur la bande blanche, et en rester là sans ouvrir le débat de l'interprétation. La bande blanche est comme un mur, et on ne va pas au-delà. En cas d'infraction, il faut une sanction, avec ou sans gain. Le problème survient quand laisse l'interprétation aux stewards, aux pilotes." Et il est bien placé pour en parler : "En Formule 2, on nous fait appliquer la règle : on a perdu une pole position à Abou Dabi. On avait la moitié d'un pneu sur la bande blanche et il faut avoir une roue complète dessus."
Max Verstappen (Red Bull) au Grand Prix de Bahreïn 2021

"Les tracés sont devenus des espèces de parkings"

A Imola, lors de la prochaine étape du Championnat du monde de Formule 1, on devrait avoir droit à une clarification de la règle sur le dépassement de la limite de la piste, et une automaticité des sanctions. Mais il n'est pas toujours facile de faire la part des choses. "L'an dernier, j'étais encore driver advisor chez SRO (organisateur de courses de GT), explique Eric Hélary, vainqueur des 24 Heures du Mans en 1993 avec Peugeot. Je devais juger tous les incidents en piste. J'étais un peu du côté obscur, et je voyais ça différemment. Tout le souci vient des tracés, qui pour éviter tout danger sont devenus des espèces de parkings, avec des zones délimitées au pinceau comme Le Castellet. C'est très bien, mais comment faire pour juger clairement ? Ils ont parfois mis des caméras ou des dispositifs précis pour limiter la zone de course, mais quand on roule à 300 km/h on ne peut pas être à 10 centimètres près sur une trajectoire. Surtout que c'est très subjectif : on ne voit pas de l'intérieur de la voiture comme on voit de l'extérieur. J'ai eu le cas chez SRO de certains pilotes qu'on a punis, et qui étaient persuadés qu'ils n'avaient pas franchi la limite."
Pas de doute, la Formule 1 doit trouver un équilibre entre exigences de pilotage et de sécurité. "En quelques années, on est passé de trucs un peu trop dangereux à des trucs un peu trop gentil, résume Eric Hélary. J'ai roulé récemment à Imola avec une Jaguar Groupe C (proto des 24 Heures du Mans), c'était quand même chaud. Ça reste l'archétype de l'ancien circuit. Il n'y a pas de problème de ligne, en revanche ça peut sortir fort. Maintenant, il faut trouver un mix entre Le Castellet et Imola. On est allé trop loin en voulant que ce soit hyper sécurisé. Et à cause de ça il n'y a plus de limites."
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