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Du gaming à la réalité, l'eFoot est devenu un travail de pro pour les joueurs comme pour les clubs

Loris Belin

Mis à jour 26/11/2019 à 23:58 GMT+1

JEUX VIDEO – Depuis quelques années, l'esport, et particulièrement l'eFootball a connu une progression fulgurante avec ses étendards FIFA et PES. De ces jeux vidéo est né un véritable milieu qui tend à briser les frontières entre les joueurs de football sur le gazon et ceux devant leur écran. La professionnalisation, nouveau cheval de bataille du ballon rond virtuel.

L'équipe française de la Neo eSports Kampfer, Lotfi et Kams, lors de la finale internationale du tournoi Co-op de la PES League 2018

Crédit: Other Agency

Eux aussi couraient après leur étoile. Six jours seulement après le sacre des Bleus, quatre autres Français étaient en lice pour devenir champions du monde de football. Mais virtuel, cette fois. A Barcelone, tout juste à trois kilomètres du Camp Nou, se tenait la finale internationale de la PES League, le mode compétitif de Pro Evolution Soccer 2018. Ici, pas de pelouse, ni de crampons. Mais bien des maillots, des caméras et un studio de commentateurs pour toute une journée de compétition. C'est leur Coupe du monde à eux, les joueurs, loin des tournois entre copains et de l'image d'un passe-temps seul dans son salon. Avec la montée en flèche de l'eSport, notamment dans les simulations de ballon rond, les joueurs passent des "gamers" aux pros, de plus en plus proche de la vie d'un footballeur en chair et en os.
S'ils n'ont pas l'aura des Ronaldo, Messi et autres Griezmann, les cadors manette en main sont de plus en plus visibles dans le paysage du football. Et ils commencent même à en copier les codes. Pour soulever le trophée de meilleur joueur de la saison, nos Tricolores ont dû passer par une année de préparation avec un entraînement quotidien et des phases de qualification partout dans le monde (Tokyo, Buenos Aires, Berlin…) pour faire partie du gratin. Ils sont désormais soutenus par des structures, à l'image de la Neo dont le trio bleu-blanc-rouge participait à du tournoi de 3 contre 3 en coopération. Les sponsors n'hésitent plus à financer leur matériel (manettes, lunettes…) comme les équipementiers fournissent en tenues les vedettes du foot mondial. Et petit à petit, la communauté est devenue un milieu, le loisir un véritable job.

Dans le Top 4 mondial le samedi, employé de supermarché le lundi

Après des années où les FIFA et autres PES n'avaient pour seul but que d'être ludique, ils sont devenus au fil du temps des activités lucratives à plein temps. La professionnalisation vient certes à son rythme, les joueurs français présents en Catalogne TioMiit, TerribleTank, Lotfi et Kampfer ont dû reprendre la vraie vie deux jours après leur finale mondiale vue plus d'1,6 million de fois au cumulé sur la page Facebook du jeu. Pour ces joueurs, l'emploi du temps signifie encore travailler dans un supermarché ou aller sur les bancs de la fac. Mais avec des dotations de 36 000 dollars pour les vainqueurs de la PES League, le jeu en vaut de plus en plus la chandelle.
"Aujourd'hui, aucune structure en France sur PES ne permet de vivre de l’eSport", assure Christopher Morais, patron de la PW eSports, une des principales structures sur la franchise Pro Evolution Soccer qui a notamment placé deux de ses joueurs dans le Top 4 international en 2018. Parmi les plus anciens représentants de la communauté française autour de PES, le champion du monde 2010 voit tout de même l'évolution vitesse grand V du football vidéoludique. "J'ai commencé à 17 ans, aujourd'hui j'en ai 29, jamais je n'aurais cru voir ça. J'aurais aimé que ça vienne plus tôt. À l'époque il y avait pas mal de monde, les gens se déplaçaient pour le prestige de jouer avant tout. Aujourd'hui, c'est autre chose. Si on m'avait dit en 2010 qu'il y aurait des sommes pareilles à gagner, jamais je n'y aurais cru."

Il y avait les pro-FIFA et les pro-PES, il y a dorénavant les pro, tout court

La France est encore loin du Brésil ou de la Corée du Sud où il n'est plus rare de voir des joueurs être salariés pour jouer. Mais les structures, à l'origine essentiellement associatives, voient la concurrence poindre et les principes se bouleverser. "L’avantage de jouer dans une structure comme Neo, c’est de jouer avec des gars que je connais depuis plusieurs années, la structure nous soutient et nous met dans les meilleures conditions pour préparer les grandes compétitions", explique Lotfi, 9e joueur mondial au classement de la PES League.
Ces "clubs" deviennent de véritables centres de formation, vivier de jeunes pousses à même de pouvoir ensuite faire le bonheur d'autres structures plus fortunées que leurs poulains pourraient encore faire grandir. D'autant plus qu'autour de ces groupes se tisse un réseau en tout point comparable au monde du football professionnel. "Bien sûr qu'il y a déjà des agents, des managers de joueurs eSport, confirme Christopher Morais. Mais nous, qu'est-ce qu'on a comme retour sur la formation ? De nos jours, les structures travaillent avec des avocats pour protéger les joueurs, mettre des clauses dans les engagements. Par exemple, si un autre club veut un des joueurs de la PW, il devra payer cette clause. Parce que le joueur vaudra le coup en terme d'impact médiatique et de retour. Ce n'est même pas pour être vicieux ou pour faire de l'argent, c'est simplement un vrai travail et il n'y a pas de retour dessus."
Si Christopher, comme d'autres, regrettent certaines dérives – "aujourd'hui, c'est l'oseille, l'oseille, l'oseille, il y a tellement de concurrence que ça devient un milieu de requins" soupire-t-il – elles sont le revers d'une même pièce, celle de la transition vers un eFoot pro. Si la PES League en est déjà un bon exemple, la finale 2015 avait encore lieu dans une "grande tente surchauffée à Berlin" en sourient ses organisateurs, son homologue d'EA Sports fait même encore plus fort.
Référence des jeux vidéo de football, FIFA a depuis plusieurs années pris le développement de l'eSport à bras le corps. Grâce notamment à son mode de jeu FIFA Ultimate Team (dit FUT), qui permet de se bâtir une équipe de rêve constituée de n'importe quel joueur, la franchise a vu grandir son nombre de fidèles et avec elle son activité de compétition. La finale de la dernière FIFA eWorld Cup 2018 s'est ainsi déroulée du 2 au 4 août à l'O2 Arena de Londres et ses 20 000 places. A la clé, un titre de meilleur joueur du monde (après passage au contrôle antidopage !) et un chèque rondelet de 200 000 euros pour le vainqueur. Ces dotations toujours plus importantes font maintenant figure de revenus, et plus seulement de bonus.
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Le joueur français Fouad Fares, "Rafsou", durant la phase de groupes de la FIFA eWorld Cup à Londres le 2 août 2018

Crédit: Getty Images

Les clubs de foot, nouvel eldorado de l'eFoot pro

Surtout, les clubs de football eux-mêmes se sont pris au jeu et ont commencé à investir massivement dans l'eSport, notamment dans FIFA. Le Paris Saint-Germain, Monaco, l'OL, ou encore Manchester City, Valence ailleurs en Europe… Nombreuses sont les équipes à s'intéresser à l'eFoot. Elles n'hésitent plus à considérer les jeux vidéo comme une section de leur entité. Dans l'Hexagone, un championnat de France de eLigue 1 a été créé dans lequel les 20 clubs de Ligue 1 sont représentés et bénéficient de l'exposition d'une émission hebdomadaire sur la chaîne beIN Sports.
Cette entrée dans ce marché leur offre une exposition auprès d'un autre public - complémentaire de celui qui vient au stade par son âge et ses goûts - et une visibilité certaine à l'étranger, le jeu vidéo touchant plus de deux milliards de personnes en 2018 selon l'observateur spécialisé Newzoo. Il n'est donc pas anodin de voir le PSG emmener dans sa préparation en Asie plusieurs joueurs FIFA de son giron pour une exhibition en plein Singapour, véritable étape du calendrier de la présaison du champion de France en titre. Les joueurs deviennent non seulement une attraction mais aussi une vitrine de la marque qui entoure le club, en plus d'une possible source de succès à échelle internationale.
Cette vision prometteuse d'un eSport connu et reconnu n'est plus une utopie mais nécessitera encore quelque temps avant d'être une réalité. A la vitesse à laquelle la discipline prend de l'ampleur, au point d'être dans les discussions pour devenir discipline olympique, elle pourrait s'imposer un peu plus comme le coeur des prochaines éditions de Pro Evolution Soccer et FIFA. Quant à nos finalistes français de la PES League 2018, ils ont finalement échoué en demi-finale en individuel, comme en 3 contre 3. Ils pourront toutefois se consoler en se disant que même la Fédération Française de Football a créé sa section eFoot (pour le moment uniquement sur FIFA) en avril dernier pour "participer à des matchs exhibition face à d’autres nations tout au long de la saison". L'étoile pourrait bien être bientôt encore plus brillante.
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