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Comme Heurtel, ces sportifs qui "vont être des instruments politiques utilisés par le Kremlin"

Glenn Ceillier

Mis à jour 29/09/2022 à 11:02 GMT+2

A l'image de Thomas Heurtel qui a signé avec le Zenit Saint-Pétersbourg, certains sportifs français ont décidé de poursuivre leur carrière en Russie ces derniers mois. Alors que le pays dirigé par Vladimir Poutine a été banni du sport mondial depuis l'invasion de l'Ukraine, le pouvoir russe pourrait en tirer profit comme nous l'explique Lukas Aubin, auteur de "Géopolitique de la Russie".

Thomas Heurtel en équipe de France, 2022

Crédit: Eurosport

C'est un choix de carrière qui n'est pas sans conséquence. Et qui a tout intérêt à être mûrement réfléchi, par le joueur et ses représentants. Certains sportifs ont accepté récemment de répondre aux sirènes russes en s'engageant avec des clubs de la patrie de Pouchkine et Dostoïevski. Le plus médiatique d'entre eux ? Thomas Heurtel, qui a signé avec le Zenit Saint-Pétersbourg après la médaille d'argent ramenée par les basketteurs tricolores de l'Euro 2022, malgré ses engagements initiaux avec la FFBB (Fédération Français de basket) Une décision qui dépasse le cadre du sport, même si les protagonistes expliquent le plus souvent rester focalisés sur leur carrière. "C'est très sérieux. On ne va pas juste faire du sport dans un club. On participe à la propagande du gouvernement russe", lance Lukas Aubin, docteur en géopolitique et auteur de "Géopolitique de la Russie".
S'il a animé les discussions ces derniers jours, Thomas Heurtel n'est pas un cas unique. Le meneur des Bleus a suivi l'exemple d'autres basketteurs internationaux, comme Livio Jean-Charles au CSKA Moscou et Louis Labeyrie à Kazan. Ou encore du footballeur Wilson Isidor qui a décidé de quitter l’AS Monaco pour filer au Lokomotiv Moscou. Leur cas est bien sûr différent de ceux des joueurs qui étaient en Russie de longue date. Dans le contexte actuel et alors que l'invasion russe perdure en Ukraine, Thomas Heurtel and co ont pris une option qui n'a rien d'anodine.
Le pouvoir russe utilise des sportifs étrangers pour signifier des intentions
Pour le côté sportif déjà. Ils se retrouvent ainsi au coeur de débats avec, en creux, la question de leur présence en sélection nationale. Heurtel sera par exemple exclu de l'équipe de France de basket "pour les prochaines échéances internationales, incluant les Jeux Olympiques 2024" s'il est "amené à jouer" avec le Zenit, comme la précisé la FFBB. Mais là encore, il faut bien comprendre que les conséquences de leur choix de carrière dépassent le simple cadre du sport. Jouer en Russie aujourd'hui n'est pas seulement une question de carrière, de contrat ou de performance.
C'est notamment du pain bénit pour le pouvoir russe, qui peut utiliser ces arrivées à but propagandiste. "Le pouvoir russe utilise des sportifs étrangers pour signifier des intentions. Faire venir des athlètes de haut niveau faisant partie d'équipe nationale étrangère comme Heurtel, ça permet de montrer que la Russie est toujours attractive et qu'elle n'est pas si isolée que ça. On peut supposer que lors des matches où il jouera, il puisse y avoir des symboles destinés au public russe mais aussi au public occidental. On peut également imaginer qu'il sera chouchouté par le club et bénéficiera de nombreux passe-droits ou d'interviews où il sera glorifié à l'échelle nationale", estime Lukas Aubin, spécialiste de la Russie.
En réussissant à attirer des champions de pays occidentaux, les clubs russes participent d'une certaine manière à la stratégie désirée par le Kremlin, qui cherche à exister alors que le pays de Vladimir Poutine a été isolé ces derniers mois diplomatiquement mais aussi sportivement. "Ce n'est pas un mouvement important pour le moment, il n'y a que quelques joueurs qui ont signé en Russie. Mais on est plus sur des symboles qui permettent au pouvoir russe de montrer que son système sportif continue de fonctionner", explique encore Lukas Aubin. "La dynamique globale pour Vladimir Poutine qui est un féru de sport, c'est de faire fonctionner la sphère sportive russe en dépit des contraintes occidentales. Dans cet objectif, l'arrivée des joueurs étrangers dans les championnats russes prend tout son sens."
Il faut que tous les athlètes français soient au courant de ce risque
Le sujet est évidemment très sensible. Et alors que les contrats proposés par les clubs russes sont logiquement attractifs, tous les sportifs qui partent en Russie n'ont pas forcément tous ces enjeux en mains à l'heure de s'engager. En signant au Zenit, Heurtel avait-il par exemple totalement conscience qu'il ne débarquait pas dans n'importe quel club ? "Le Zenit Saint-Pétersbourg est le club de Gazprom et donc un club état - Gazprom étant le bras armé économique de Vladimir Poutine -. Or toute décision prise de la part de Gazprom n'est pas prise de manière unilatérale. Elles sont prises évidemment avec l'aval du gouvernement russe et du président russe", nous explique Lukas Aubin, avant d'élargir la question: "Aujourd'hui, l'idée est bien d'utiliser les athlètes français ou étrangers comme le symbole positif d'une Russie qui fonctionne encore. Mais il y a un risque. Et il faut que tous les athlètes français soient au courant de ce risque. Ils vont être des instruments politiques utilisés par le Kremlin. Sans aucun doute".
Et en plus de voir leur image détournée à des fins qui peuvent leur échapper, il existe aussi un risque pour eux de se retrouver dans une situation délicate. L'auteur de "La Sportokratura sous Vladimir Poutine" et de "Géopolitique de la Russie" prévient ainsi que cela peut vite se transformer en calvaire comme l'illustre le cas de l'Américaine Brittney Griner, star du basket, condamnée début août en Russie à neuf ans de prison pour trafic de cannabis. "A l'heure actuelle, quand on voit l'état de l'armée sur le terrain et de la diplomatie russes à l'étranger, la stratégie géopolitique de Vladimir Poutine, on est dans une logique de 'la victoire ou rien'. Potentiellement si Vladimir Poutine devait utiliser comme otages les athlètes de haut niveau français pour remporter la victoire, il pourrait le faire. C'est une possibilité. Mais pour le moment, la logique est inverse."
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