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1979, premier Dakar : Thierry Sabine, le temps des pionniers et de l'aventure

Stéphane Vrignaud

Mis à jour 07/01/2019 à 09:04 GMT+1

Inventeur du Paris-Dakar, Thierry Sabine aura bénéficié des expériences du Rallye de Côte d'Ivoire et de l'Abidjan - Nice, fondateur du rallye-raid. Mais par ses relations dans le tout-Paris médiatique et son génie de la communication, il aura donné à l'épreuve une dimension extraordinaire dès sa première édition, en 1979.

Thierry Sabine - Dakar 1979

Crédit: Eurosport

Le Rallye du Bandama a été terrible. Cette édition 1972 restera "le rallye de l'impossible", et chacun des 43 équipages engagés en gardera un goût d'inachevé. Et pour cause : aucune auto partie d'Abidjan pour une boucle de 3797 kilomètres n'a vu l'arrivée dans la capitale ivoirienne. Et là, on ne parle pas d'une cohorte de novices impréparés mais d'un casting de chevronnés : Jean-Pierre Beltoise, Hannu Mikkola ou Tony Fall - officiels Peugeot -, Jean-Pierre Nicolas, Shekhar Mehta, spécialiste ès-Safari Rally, Henri Pescarolo ou encore Gérard Larrousse. Les supports de moteur et suspensions des 504 et 304, Renault 16TS et autres Datsun 240Z ou 1600 ont tout simplement démissionné sur les routes encore plus défoncées ou inondées que les années précédentes.
Après 1000 km - un quart de l'épreuve - à tenter de déjouer les pièges d'un parcours poussiéreux, de jour, de nuit, il ne restait plus que quatre concurrents. Robert Neyret, en tête sur une Citroën DS 23, a fini par commettre l'erreur de trop. Il conduisait depuis 48 heures non-stop. Pour l'infime partie de débrouillards passés au travers de ces écueils, la boue a provoqué un retard irrémédiable, ou pire, une disqualification déloyale. Sur la ligne d'arrivée de la quatrième étape, les organisateurs sont partis, persuadés que le découragement avait gagné Tony Fall, le dernier pilote pourtant bien en course.
Jean-Claude Bertrand a au moins tenu sa promesse de créer le rallye le plus difficile du monde. Il en est même fier pour tout dire car ce personnage haut en couleur - lunettes fumées et chaînes en or - aux allures d'aventurier s'est taillé une réputation d'organisateur redoutable. Considéré depuis sa création en 1953 comme l'épreuve la plus difficile, l'East African Safari Rally disputé au Kenya est bel et bien dépassé. C'est de l'autre côté du continent que le centre de gravité du rallye africain se trouve dans sa forme la plus extrême. Pour être sûr de sa surenchère, Bertrand avait d'ailleurs programmé trois ans plus tôt le premier "Marathon de Côte d'Ivoire" - l'autre nom de la compétition - à la saison des pluies. Et mis sur la table un record de 5 millions de francs pour le vainqueur.

Abidjan - Nice, le premier rallye-raid

Les années suivantes, le Bandama survit à la crise pétrolière. Bertrand en a préservé l'attrait en poussant la prime du vainqueur à 10 millions mais il sent que quelque chose de différent reste à inventer. Connaisseur des pistes ivoiriennes qu'il a jalonnées pendant des années comme livreur des bananes produites par l'exploitation familiale, rallyman lui-même, il demande à ses clients s'ils seraient intéressés de remonter avec leurs voitures en France plutôt que de rentrer par bateau. Voilà comment, en 1975, le Bandama disputé du 16 au 19 décembre est suivi du nouvel Abidjan - Nice, du 26 décembre 1975 au 11 janvier 1976. Cette extension du domaine de l'aventure renferme une innovation de taille : deux roues et quatre roues - automobiles de série, 4X4 et camions - cohabiteront sur les pistes et dans un classement "scratch" unique.
Le 26 décembre 1975, ce trait d'union entre Côte d'Ivoire et Côte d'Azur devient pour 92 intrépides (54 pilotes autos, 38 motards) la confrontation ultime, sur 9250 km à travers la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, l'Algérie, le Maroc. L'Espagne après la traversée de la Méditerranée en bateau, et enfin le Sud de la France. Au passage, des motards se demandent où est l'équité dans le pilotage de leur machine face à des autos où les trois inscrits peuvent se relayer au volant. Les 31 heures imparties pour boucler la première étape Abidjan - Niamey partiellement de nuit, toujours dans la poussière, le froid, sur des pistes parsemées de véhicules et de piétons - illustrent bien le problème.
Pas de doute, cet enfer correspond au premier rallye-raid du nom et Jean-Claude Olivier, importateur Yamaha en France, ne s'y est pas trompé. L'épreuve est taillée pour faire la réputation de sa sportive DT400, engagée en quatre exemplaires.
Bertrand alterne étapes sélectives et roulantes pour assurer une chance à chacun d'aller au bout. Il offre aussi aux cameramen et photographes l'image fascinante et inédite d'une horde de véhicules lâchés d'un coup sur la même ligne, à Arlit. Les pilotes deviennent des héros en s'extirpant de ce piège aux multiples chutes spectaculaires, dont celles des favoris Queirel et Vassard. Et au sortir de la seconde étape-marathon reliant Tamanrasset à Fès, sur 2600 kilomètres, Gilles Mallet, Gilles Comte, Bernard Penin et Didier Orelio, sont les seuls motards rescapés de l'enfer.

Sabine perdu dans le désert

En France, l'impact est réel : Gilles Mallet, vainqueur à moto sur une Honda XL250 et septième d'un classement général dominé par la R12 Sinpar de Jacky Privé, est escorté par des policiers à moto le 11 janvier, depuis le péage d'Aix-en-Provence jusqu'à la promenade des Anglais.
A son arrivée, Mallet estime que c'était faisable mais que peu de participants étaient préparés physiquement et psychiquement à cette épreuve "très dure", qui aura coûté la vie à deux motards confirmés, Daniel Hugon et Michel Lutz. Et qu'il était possible de battre les usines puisqu'il a fini devant la Yamaha Sonauto de Gilles Comte.
Le rallye a connu un autre moment effroyable, dans le désert de Libye. Dans les dunes d'Edeyin de Murzuk, des pilotes autos et motos ont foncé en hors-piste vers le précipice… René Guili, sur sa Yamaha 400DTMX, a fait un vol plané à 100 km/h d'une falaise d'une quinzaine de mètres. Il a chuté 60 mètres plus loin. Dans le coma, il est amené à l'hôpital situé à 400 kilomètres par un autre concurrent… sur le toit de sa voiture. L'hôpital n'étant pas équipé pour le soigner, il reste inconscient en soin pendant douze jours avant son rapatriement en France. Il lui faudra trois ans pour tout réapprendre : reconnaître ses proches, lire, écrire...
Mais c'est en 1977 que l'Abidjan - Nice fait basculer l'histoire du rallye-raid. Le 7 janvier, le leader Cyril Neveu, 20 ans, s'est perdu sur une spéciale de 400 km de désert. Il a abandonné toute chance de victoire mais au moins est-il est rentré au bivouac. Contrairement à un certain Thierry Sabine. Engagé à moto en compagnie de Dominique Sauvêtre, Patrick Schaal et Uwe Ommer, ce touche-à-tout s'est embarqué sur une mauvaise piste au Nord du Niger, au lieu-dit "La montagne noire". Il passe trois jours et deux nuits dans le désert.

L'acte de naissance du Dakar

"C'est Jean-Michel Sinet qui l'a retrouvé, se souvient Hubert Auriol, jeune trialiste qui découvrira bientôt sa passion pour les grands espaces. "Il nous a raconté l'histoire : Thierry venait de se perdre du côté de Madama, à la frontière entre le Niger et la Libye. Jean-Claude Bertrand, qui avait un côté baroudeur et mercenaire, a alors dit : 'Un mec est dans le désert, on ne peut pas le laisser.' Il avait un petit avion à Agadès, et Sinet le pilotait. Ils ont monté une opération depuis Agadès pour le retrouver et auraient finalement vu le miroir de Sabine, par hasard. Là, ils ont lâché un petit parachute pour lui laisser un message comme quoi ils allaient organiser une mission pour revenir le chercher. Ils sont donc retournés à Agadès pour revenir en camion, ce qui a bien dû prendre deux jours. Quand ils sont arrivés, Thierry était séché. C'est là que Jean-Michel lui aurait dit : 'Considère maintenant que tout ce que tu vas vivre, c'est du rab !' Ça a donné une force extraordinaire à Thierry."
Bertrand et Sinet avaient trouvé Sabine à 120 km de la zone d'investigation, après trois jours d'une chaleur accablante et deux nuits d'un froid glacial. Il avait abandonné sa moto en panne d'essence, et errait sans eau, ni briquet, ni boussole. Sans possibilité de se poser en toute sécurité, Bertrand et Sinet l'avaient laissé là. "A cette époque, il n'y avait pas d'hélico, seulement des petits avions", se souvient Cyril Neveu.
Pendant l'épreuve, Sabine a eu la révélation. Subjugué par la beauté du désert, il rentre en France avec l'ardeur du miraculé et décide d'organiser une nouvelle épreuve. De "La Transat des Sables", il ne sait qu'une chose : elle partira de France pour faire découvrir l'Afrique. Le reste est à inventer mais il a déjà compris beaucoup de choses.

Génie de la com'

"Thierry Sabine a vu comment ça fonctionnait sur le "Côte - Côte " en termes d'organisation, relève Hubert Auriol. En revanche, si Bertrand s'en foutait de la presse, Sabine avait compris que la médiatisation était très importante. Thierry a vraiment organisé le premier sans argent. Il est parti faire les reconnaissances avec le Toyota de la mère de sa femme, sa carte Michelin, et c'est tout. Il ne savait absolument pas ce qu'il allait faire. Il a construit la course au fur et à mesure et ça s'est décidé à Dakar. Il a choisi ce parcours parce que c'était abordable pour les concurrents. Quand il est arrivé au Sénégal, il est allé voir le patron de l'ancien hôtel Le Méridien - celui de Le Corbusier - et lui a demandé s'il pouvait faire l'arrivée dans son établissement".
A 30 ans, Thierry Sabine a déjà vécu plusieurs vies. Tour à tour rallyman, inventeur de l'Enduro du Touquet devenu Euduropale, pistard classé 17e des 24H du Mans en 1975 et 13e en 1976, relation presse du groupe en vogue Il était une fois, il connait par cœur les ressorts de la machine médiatique. "Ancien de l'EFAP, l'école des attachés de presse, il était allé voir L'Equipe, rapporte Hubert Auriol. Le patron lui a dit : 'Si tu nous fais vendre du papier au mois de janvier, on te suit tous les jours !' Fort de ça, il était allé voir France soir, l'Agence France Presse, Le Figaro et Le Parisien. Il leur a dit : 'Je vous prends un journaliste en charge'. Il a affrété un avion de la presse. Dès la première édition, il avait cinq journalistes qui couvraient toute la presse ! L'impact médiatique a été très important."
Et ce n'est pas par hasard si le patron de TSO, Thierry Sabine Organisation, fixe le départ de l'épreuve à Paris, où sont basés ses médias associés, du Trocadéro, le 26 décembre. "Sabine était un génie de la com' : c'était la trêve du sport en janvier, il n'y avait pas de foot, rien", relève Cyril Neveu. Peut-être inspiré par Paris - Match, un autre soutien de la première heure, qui fait "mouche" depuis peu avec son slogan "Le poids des mots, le choc des photos", Sabine révèle aussi son sens de formule en résumant son Paris-Dakar à "faire vibrer ceux qui partent, faire rêver ceux qui restent."

Apprendre à se préparer, à s'habiller

Au Trocadéro, c'est un aréopage de 170 équipages inscrits - quelques stars du rally-raid au milieu d'anonymes - qui se cherchent du regard. Cyril Neveu est l'un de ceux-là. L'Orléanais a eu le "coup de foudre pour l'Afrique" sur le 'Côte - Côte'. Parfait inconnu, il part sur sa Yamaha avec deux amis, Hubert Auriol, un autre trialiste, et Jean-Claude Morellet alias "Fenouil", qui a également fait l'Abidjan - Nice.
Cyril Neveu avait tout prévu. Son père avait assuré son assistance sur le "Côte - Côte" et il repartait avec son Toyota. Il emmenait avec lui 'Fenouil', engagé BMW, et Hubert Auriol, engagé dans un contre-la-montre depuis son inscription, deux mois plus tôt, pour organiser l'essentiel. "Il fallait que je retrouve une moto car il n'y en avait pas à l'époque, se souvient Auriol. Il n'y en avait que trois : la Yamaha 500XT et les Honda et Suzuki 250. Il y avait des quotas chez les concessionnaires. A part ça, je n'avais rien. Je n'avais jamais roulé en Afrique. C'était une opportunité géniale d'aller à Dakar."
Employé dans le textile, le natif d'Addis-Abeba, en Ethiopie, avait aussi trouvé un soutien financier providentiel. "En faisant ma tournée dans l'Ouest de la France, j'ai parlé de mon engagement à un client qui faisait des vêtements d'enfant (UCLA). Il a décidé de m'aider. D'un coup, j'avais un sponsor ! Et pour l'assistance, Cyril a accepté d'amener pour moi deux pneus, un kit chaine, un sac de couchage. C'était le minimum. Mieux : FD Motoshop, son concessionnaire-sponsor à Orléans, a fabriqué un autre réservoir pour moi de 33 litres, au lieu des 8 ou 10 de la version de base."
"Pour préparer la moto, on ne savait pas ce qu'il fallait faire, ajoute Auriol. J'avais juste monté un plus gros réservoir, une selle plus épaisse pour être plus confortable et ligaturé les rayons au cas où ils cassent. Point final ! On ne savait pas réellement ce qu'il fallait faire. Honda avait ajouté des outres en plastique posées sur le réservoir, qui pouvaient facilement casser lors d'une chute. Cyril avait opté pour un réservoir en tôle, certes plus lourd, mais qui s'enfonçait, se déformait sur une chute, mais ne cassait pas."

"Si tu n'étais pas préparé à ça, tu abandonnais vite"

Et puis, il fallait s'habiller. Mais avec quoi ? "J'avais fait faire une combinaison en cuir, pantalon-veste, doublée. Il n'y avait pas de vêtement en nylon à l'époque et les pantalons de cross n'existaient pas. On est allé acheter une combinaison de pluie, des sous gants en soie et des gants. La seule motivation était de partir. Pour le reste c'était l'inconnue. L'aventure totale. On ne se posait aucune question sur la sécurité, la logistique... Comme tout le monde, j'avais juste la carte Michelin. J'avais fait du trial avec Cyril, je connaissais son niveau. Je m'étais dit que je devrais y arriver."
Après un premier chrono de trois kilomètres à Monthléry, le 24 décembre, et une liaison Paris - Marseille, le 25, Thierry Sabine décèle les premières faiblesses. "On pourra toujours dire que certains concurrents ont été surpris, qu'il y a eu des problèmes d'information avant, mais il n'en demeure pas moins vrai que lorsque, curieux de voir des concurrents fatigués après Paris-Marseille, j'ai proposé de rembourser ceux qui se sentiraient peu aptes en précisant une nouvelle fois que nous ne partions pas pour une simple balade, personne n'a bronché", se défendra-t-il, à l'arrivée à Dakar.
Passée la traversée de la mer Méditerranée, Alger est la porte d'entrée de l'Afrique. "On est arrivé le matin en bateau, au début des quatre jours de deuil national suite au décès du président Houari Boumediene, se souvient Hubert Auriol. Et on est seulement reparti en fin d'après-midi. On est donc parti pour 700 ou 800 bornes de nuit, dans le froid, pour la traversée de l'Atlas, avec Cyril et 'Fenouil'."
De leur côté, les pilotes Honda ne voient pas arriver leur DC3 d'assistance à Addrar et dorment en combinaison sur le bas-côté de la piste, dans un froid polaire. Neveu, Auriol et "Fenouil", eux, ont au moins le nécessaire. "Coucher par terre dans les duvets... Si tu n'étais pas préparé à ça, tu abandonnais vite", résume Cyril Neveu. "Au réveil, on a gratté le givre sur le sac de couchage, se rappelle Auriol. Après 1500 km de route, pas mal de concurrents avaient abandonné, usés par les conditions, victimes de chutes." En l'absence de lieu de restauration, Sabine a acheté un chameau pour le réveillon afin de nourrir les concurrents. Une viande dure qui contente tout le monde…

Les motos plus rapides, Balestre "fou furieux"

1er janvier 1979 : Dakar s'élance pour sa première spéciale d'Insala, petit village connu pour avoir abrité les premiers essais de la bombe atomique française. Le parcours de 250 km relie Reganne, sans grandes difficultés. Pour Auriol, c'est déjà l'occasion d'apprendre. Sorti de la piste dans une grande courbe pour doubler, il a chuté et compris que c'était le genre d'erreur à ne plus commettre.
Chacun apprend à sa façon au fil des kilomètres et la première grosse sanction survient sur Assamaka - Arlit (270 km). Auriol s'en souvient très bien : "Sabine nous a expliqué : 'C'est tout droit jusqu'à la mine'. Avec une recommandation : prendre à gauche à une fourche après 5 kilomètres. Les sept premiers, officiels Yamaha, ont pris à droite… Et là, je vois Sabine arriver en gueulant : 'Ne faites pas comme eux, prenez à gauche !' A part ça, c'était sans difficulté." Arrivée au Niger et toujours pas de Jean-Claude Olivier, Rudy Potisek ou Christian Rayer en vue. Ils ont fait plus de 200 kilomètres avant de réaliser leur méprise. Sabine solde l'affaire par une pénalité forfaitaire de sept heures, et le classement général dominé par Patrick Schaal (Yamaha 500 XT) est investi par quelques inconnus : Neveu est cinquième, Auriol huitième.
Au passage, un constat s'impose : les motos font la loi, mais ça ne surprend pas Neveu : "Je m'étais aperçu sur l'Abidjan - Nice 1977 que les motos roulaient quasiment tout le temps plus vite que les autos. C'était une confirmation." En revanche, pour Jean-Marie Balestre, colérique président de la Fédération française du sport automobile, c'est une provocation qui ne peut durer. Il est même carrément "fou furieux", selon Auriol. Dès 1980, les autos seront à l'abri de l'embarras dans leur classement spécifique.
Le lendemain, Agadez consacre Olivier en vainqueur et Neveu en nouvel homme fort. La pression monte, à tout point de vue car "Fenouil" a fait les reconnaissances du rallye, avant même Sabine. "C'était un petit gênant pour certains, troublant pour d'autres, avoue Neveu aujourd'hui. Moi je m'en foutais. Il avait fait le repérage tout seul. C'était des prérecos. Il avait fait l'Abidjan - Nice deux fois, il connaissait bien l'Afrique."

Vassard vainqueur moral

Tempêtes de sable, véhicules tankés, bloqués dans les ornières, crevaisons, accidents, chutes… : ce Dakar connait déjà ses classiques. Olivier écrit un chapitre de plus en chutant entre Tahoua et Niamey. Il a gagné la spéciale avec un bras cassé avant d'abandonner. Malheureusement, l'erreur peut parfois être fatale : sur cette 9e étape, le motard Patrick Dodin voulait fixer son casque et l'a payé de sa vie.
Sur Gao Mopti, c'est au tour du nouveau leader, Schaal, de renoncer dans la souffrance. "Quand je suis arrivé sur lui, son doigt pendait, sanguinolent, témoigne Hubert Auriol. J'ai pris un bout de chiffon et je l'ai attaché à l'autre doigt avec du Chatterton, et puis je lui ai dit : "Roule !" parce qu'il n'y avait rien à faire. Les médecins partaient toujours en dernier. Avec leur Méhari 4x4, ils en avaient bien pour quatre ou cinq heures avant d'arriver. Schaal a roulé un peu puis il s'est arrêté. Ça lui faisait trop mal."
Après le repos à Bamako, la polémique surgit le 11 janvier, sur la route de Nioro du Sahel, au nord du Mali. "Là, il n'a pas plu depuis deux ans et la piste est faite d'ornières effritées remplies de fesh-fesh. C'est comme du talc, infernal !", peste Auriol encore aujourd'hui. Filtres à air colmatés, les moteurs ont surconsommé. Tombés en panne d'essence, tous les motards sont hors délai sauf Philippe Vassard. A trois jours de l'arrivée, l'informaticien à la SNCF reçoit la visite de Thierry Sabine, qui lui annonce : "Tu as gagné". Mais pendant qu'il dort tranquillement, le patron du grand barnum change la règle du jeu, allonge le temps imparti et annule les pénalités de sept heures…
Sa tête sauvée par ce fait du prince, Cyril Neveu a eu le temps de troquer son moteur usé par la poussière par un neuf que son père est allé chercher à Abidjan. Place de l'indépendance de Dakar, en ce 14 janvier 1979, ils sont 74 rescapés sur les 170 partants.

Paris outrancier

Sous la pluie sénégalaise, Alain Génestier, premier en catégorie sur un Range Rover, reste au pied du podium sur lequel glisse Neveu, dont les chutes sont si rares. Avec prudence et discernement, il a gagné le rallye sans enlever une étape. Un paradoxe ? Sûrement pas. "On m'a reproché de ne pas avoir été le plus rapide, mais j'avais gagné, déclare-t-il encore 40 ans après. J'avais compris qu'il fallait être régulier, que c'était une course d'endurance. J'avais compris dès le départ de l'Abidjan - Nice qu'il ne fallait pas être à bloc. Pendant 20 jours sur le Dakar, ce n'était pas possible."
Sa victoire est tout sauf un hasard. Quatre suivront d'ailleurs. "J'étudiais beaucoup la topographie du terrain et c'est pour ça que j'étais bon en navigation. C'est comme ça en général que j'ai gagné mes Dakar : en faisant un coup sur une étape et en gérant ensuite mon avance. J'ai toujours dit que je ne roulais pas à 110% de mes moyens mais à 80%. C'était facile à dire mais difficile à appliquer."
Soulagés, fiers, les rescapés se trouvent cependant confrontés à la vindicte en rentrant. Pendant trois semaines, ils n'ont pas eu de nouvelles de France, et ce qu'ils découvrent est pour beaucoup un choc. "Les gens qui ont abandonné de dépit ont fait des déclarations déformées, amplifiées aux journaux, car il n'y avait pas de caméras. On pouvait lire : 'La course de la mort', 'Sabine est un fou', déplore Hubert Auriol. Quand on est rentré, enthousiastes, on n'a pas compris. Il y avait un tel décalage.
"Mon rallye sera un jour un classique, il n'est pas plus dangereux qu'un autre", répondra un Sabine sûr de son fait et plus que jamais visionnaire.
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