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Pourquoi l’effondrement des clubs anglais et gallois déstabilise le marché français

Anthony Tallieu

Mis à jour 12/06/2023 à 17:24 GMT+2

Après Worcester et les Wasps, les London Irish ont disparu à leur tour du championnat anglais pour des raisons économiques. Une catastrophe pour la Premiership qui, couplée à la crise financière qui frappe les provinces galloises, touche aussi le rugby français. Avec l’afflux grandissant de joueurs issus de ces clubs, l’offre dépasse aujourd’hui la demande et bouleverse le marché.

Jack et Tom Willis ont débarqué en Top 14 après la suspension des Wasps

Crédit: Getty Images

L’écosystème du rugby professionnel, qui se résume en Europe à six pays et trois championnats, est bien trop fragile pour absorber sans peine la crise que traversent actuellement les clubs anglais et gallois. Et quand bien même le rugby français – si on excepte le cas de Grenoble, provisoirement rétrogradé en Nationale – se porte plutôt bien financièrement, les difficultés de ses voisins viennent bousculer son quotidien.
La raison ? Les disparitions de Worcester et des Wasps cette saison a mis sur le marché une quantité anormale de joueurs cherchant à poursuivre leur carrière, que les rescapés de Premiership, pas vraiment fringants eux non plus, n’ont pu à eux seuls absorber. Un phénomène qui va reprendre de plus belle dans les prochains jours avec la suspension des London Irish, cinquièmes de leur championnat, de toutes les divisions anglaises pour insolvabilité. De quoi garnir un peu plus la pile de CV des tables des présidents de Top 14 et de Pro D2, déjà saturées des candidatures des meilleurs joueurs des quatre provinces galloises.
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Ross Moriarty va terminer la saison avec Brive

Crédit: Getty Images

Les bons joueurs de club français et les étrangers qui sont là depuis longtemps sont ceux qui vont le plus morfler
Ce qui peut paraître une aubaine pour les clubs français, en position de force au moment de négocier le salaire de cette main d’œuvre qualifiée en situation d’urgence, l’est moins pour leurs joueurs. Pascal Forni, patron de CSM France, la plus importante société d’agents sportifs d’Europe, livre son éclairage sur cette situation inédite : "Les bons joueurs de club français et les étrangers qui sont là depuis longtemps sont ceux qui vont le plus morfler car ils vont se retrouver en concurrence avec des internationaux."
"Prenons le cas d’un joueur étranger, bon mais sans plus, qui émarge à 12 000 ou 13 000 euros par mois dans un club de Top 14. Ce joueur, bien installé en France, va désormais être en concurrence avec un international pour le même prix que lui et ne trouvera plus de place en Top 14 ni en Pro D2 à la fin de son contrat puisqu’il n’est pas JIFF (aucun club ne peut avoir dans son effectif plus de 13 joueurs non-issus des filières de formation françaises)". Élément incontournable du doublé de 2021, le troisième ligne sud-africain Rynhard Elstadt a perdu du gallon à Toulouse depuis l'arrivée de l'excellent Jack Willis en provenance des Wasps et ne sera pas reconduit.
Les clubs disposent d’un atout pour faire baisser les prix
Et pour ce qui est des JIFF ? A priori mieux lotis que les étrangers, les joueurs bénéficiant de ce statut subissent tout de même l’effet domino. Le joueur JIFF correct sans gallons au très haut niveau, qui a vu son salaire augmenter ces dernières années avec le durcissement de la réglementation JIFF, doit lui aussi faire face à une nouvelle concurrence qui le met en position de faiblesse et le pousse à certaines concessions. "Le club va lui dire : 'Tu joues 15 matches dans la saison et pour le même prix que toi, je peux faire venir un international anglais ou gallois', étaye Pascal Forni. Il va donc devoir baisser son salaire à échéance du contrat pour pouvoir rester dans son club ou partir en faisant là-encore des efforts. Les clubs disposent d’un atout pour faire baisser les prix, parfois de 30%."
Prenons un exemple concret : en conséquence de la désintégration des Wasps en cours de saison, la Section paloise a sauté sur l’opportunité de recruter le demi de mêlée international anglais Dan Robson (31 ans, 14 sélections). De fait, Thibault Daubagna et Clovis Le Bail, qui se partageaient le poste avec un temps de jeu équilibré, ont dû faire place nette. En conséquence, Le Bail, de la tournée des Bleus en Australie en 2021 mais relégué brutalement au troisième rang dans la hiérarchie des neuf du club, n’a quasiment plus joué et a dû se trouver un autre point de chute (Racing 92). Une chance que tous n’auront pas, où n’auront qu’au prix de prétentions sportives et financières revues à la baisse.
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Dan Robson, le demi de mêlée anglais de la Section paloise

Crédit: Imago

Quand le salary cap s’ajoute à l’équation

Des joueurs de gros calibre prêts à se brader pour évoluer dans le championnat le plus compétitif et sain financièrement d’Europe, une explosion de l’offre qui vient entailler le modèle du JIFF tout puissant et surpayé, et tire les salaires à la baisse… Les présidents des clubs français ont de quoi se frotter les mains, eux qui, pour ceux des grosses écuries du Top 14, doivent flirter en permanence avec un salary cap plafonné à 10,7 millions d’euros annuel.
"La rencontre de l’augmentation du nombre de joueurs sur le marché et du salary cap est dramatique. L’inconvénient majeur de ce dernier est qu’on n’a pas le droit de se tromper" affirme Pascal Forni, en référence à l’intégration dans le calcul du salary cap de l’indemnité de départ d’un joueur dont le contrat serait interrompu avant échéance. Un joueur qui n’est pas heureux ou pas utilisé dans son club est contraint soit de partir gratuitement soit de rester sans jouer, ce qui fait chuter sa valeur. Ça tue le marché. Et comme les clubs n’ont pas le droit de se tromper, ils vont chercher à prendre moins de risques. Pour le même prix, ils vont préférer prendre un international anglais qu’on voit régulièrement à la télé plutôt qu’un joueur moyen." Peu satisfait de son arrière Springbok Warrick Gelant, arrivé l'été dernier et déjà sur le départ, le Racing 92 souhaiterait d'après plusieurs sources dont Midi Olympique profiter de la disparition des London Irish pour mettre le grappin sur le prometteur international anglais Henry Arundell (7 sélections). Une rude concurrence en perspective pour le jeune Français Max Spring (1 sélection).
Et Pascal Forni, l’agent le plus influent du rugby français, de conclure : "Le gros agent, qui a le grand joueur sous la main, va moins galérer pour placer ses joueurs que le petit, qui sera bien plus embêté et en position de faiblesse à la table des négociations. Sans exagérer, j’ai dix joueurs par jour qui m’appellent parce qu’ils n’ont pas de club à la rentrée. Cette année, on aura plus de joueurs sur le carreau que les autres saisons."
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