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Coupe du monde I Palisades Tahoe : Pourquoi les Etats-Unis ne trouvent pas de successeur à Bode Miller

Vincent Bregevin

Publié 24/02/2024 à 00:10 GMT+1

L'équipe masculine américaine ne parvient pas à enrayer son déclin à l'heure d'aborder le slalom géant de Palisades Tahoe samedi (19h, en direct sur Eurosport). Le coût monstrueux pour amener un skieur au plus haut niveau aux Etats-Unis, le système qui ne favorise pas l'éclosion des jeunes talents et d'autres raisons expliquent pourquoi la succession de Bode Miller est si délicate à assumer.

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C'était pourtant parti fort. Pour marquer le coup d'envoi d'une saison de vitesse retardée, Bryce Bennett avait surpris tout le monde en remportant la première descente à Val Gardena, avant de prendre la troisième place deux jours plus tard sur la deuxième. Deux mois plus tard, à l'heure d'aborder l'étape de Palisades Tahoe (à vivre en direct sur Eurosport), il n'y a pas eu d'autre podium pour donner l'impression d'une résurgence de l'équipe masculine américaine de ski alpin. La tendance est plutôt à une confirmation. Celle d'une nation qui peine à revenir au premier plan chez les hommes.
Les Etats-Unis doivent se contenter de coups d'éclats. Cela fait un petit moment que ça dure. Sur les trois dernières saisons, les messieurs ne sont montés que cinq fois sur la boîte en Coupe du monde. Grâce à Bryce Bennett, également vainqueur de la descente de Val Gardena en 2021, et Travis Ganong, troisième du Super-G à Beaver Creek en 2021, puis de la descente de Kitzbühel en 2023. C'est peu, mais au moins la vitesse a ses fulgurances. Et en slalom, c'est morne plaine. Le dernier podium remonte à… 2011 avec la deuxième place de Nolan Kasper à Kranjska-Gora.
La moisson de Vancouver paraît toujours plus loin. Il y a 14 ans, les Etats-Unis raflaient quatre médailles olympiques sur les pistes canadiennes, dont trois pour Bode Miller. L'homme aux 79 podiums en Coupe du monde incarnait une période où le ski américain était dominant. Mais le constat est à nuancer. "Si on gratte un peu derrière de nos stars, Bode (Miller), (Daron) Rahlves ou (Ted) Ligety, on découvre une équipe qui n'est pas et n'a jamais été un pays 'de référence', explique Steve Porino, ancien skieur devenu journaliste pour la NBC. L'Autriche, la Suisse, l'Italie, la France et, depuis une vingtaine d'années, la Norvège, sont des pays de référence. La profondeur des États-Unis a été en grande partie de second ordre."

Un coût estimé à 500 000 dollars

Il semblait pourtant y avoir de quoi bâtir sur la réussite des icônes américaines. Mais les Etats-Unis ont un peu les défauts de leurs qualités. Le potentiel est une chose, son exploitation en est une autre. Les obstacles entre les deux sont multiples. Le premier est certainement d'ordre financier. "Le ski de compétition aux États-Unis est, de loin, le plus cher du monde, affirme Steve Porino. L'équipe américaine a analysé les frais de club, d'entraînement et de course pour les programmes d'élite et a estimé que, sans bourse, le coût pour amener un skieur jusqu'à l'âge de 18 ans est d'environ 500 000 dollars. Il a toujours été difficile de réunir les meilleurs et ce problème n'a pas encore été résolu."
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Et il semble bien compliqué à résoudre dans un pays aussi vaste. "Les États-Unis sont géographiquement énormes, ce qui signifie que la densité de la concurrence est faible, résume Steve Porino. Il est très difficile pour les meilleurs d'être confrontés aux meilleurs." Le site de Park City a permis un temps de réunir la crème des skieurs américains pour leur offrir des conditions d'entraînement optimales avant le début de la saison. Mais c'est beaucoup moins le cas depuis qu'il n'accueille plus d'épreuves de Coupe du monde (2005).
"Aujourd'hui, l'équipe de Park City, où se trouve le siège de l'U.S. Ski and Snowboard (USSS), ne se rend pas souvent sur ce site avant la mi-janvier, précise Steve Porino. Les équipes locales et les autorités olympiques ont plutôt réuni plus de 20 millions de dollars pour construire un site d'entraînement dans le parc olympique où se sont déroulés les épreuves de saut et de bobsleigh en 2002. Mais la réalité, c'est que Miller, Ligety et, dans une moindre mesure, Rahlves ont été des cas exceptionnels et ont tracé leur propre voie. Des précurseurs du progrès américain, mais pas les produits d'un système."

Une transition vers le niveau Coupe du monde délicate

C'est certainement là que le bât blesse. La structure et la stratégie de l'USSS a vraisemblablement favorisé la mise en valeur d'une élite en place au détriment de la formation de générations à venir. Elle a corrigé le tir ces dernières années, mais la situation actuelle traduit en partie le creux générationnel qu'elle a elle-même créée. Notamment sur les disciplines techniques. "L'équipe américaine a supprimé son équipe de slalom de la Coupe du monde en 2019, renvoyant la vieille garde et attendant de développer le groupe suivant, rappelle Steve Porino. C'est peut-être une erreur de ne pas avoir de vétérans pour accompagner la nouvelle génération."
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Cela contribue à retarder l'éclosion des Américains au plus haut niveau. Et à leur permettre de combler rapidement le retard qui les sépare intrinsèquement de la concurrence. "Le niveau nord-américain est tellement inférieur à celui de la Coupe du monde ou même de la Coupe d'Europe, avance Steve Porino. Sans une exposition régulière au plus haut niveau ou même à un niveau plus élevé, la transition vers la Coupe du monde pour les Nord-Américains tend à être plus lente que pour leurs homologues européens. Il y a de nombreux Américains avec un grand potentiel, mais la course sans la nécessité de se battre pour chaque centimètre limite leurs capacités."

L'avenir ? "Une régression vers la moyenne"

Il y a encore d'autres paramètres qui entrent en ligne de compte pour expliquer le creux de l'équipe masculine américaine. Comme les difficultés chroniques rencontrées par les skieurs américains pour s'exprimer aussi bien quand ils doivent composer avec une autre neige que celle des Etats-Unis. Ou le manque de visibilité de ce sport pour le public, puisque les diffuseurs n'ont pas pu s'accorder pour diffuser la totalité des courses sur le territoire. Mais cela ne justifie pas tout, à commencer par le contraste entre les difficultés de l'équipe masculine et la réussite de l'équipe féminine.
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Steve Porino souligne le travail effectué depuis sept ans par Magnus Anderssen, désormais épaulé par Rudy Soulard, au moment d'expliquer les bons résultats des Américaines. Mais le contexte est aussi différent par rapport aux hommes. "Il est plus facile d'entrer dans le top 30 pour les femmes, ce qui facilite le financement de ces skieuses sur le long terme avec la FIS qui paye leur voyage, etc. en Coupe du monde, souligne-t-il. Cela a été un processus et on peut vraiment dire qu'elles ont fait partie d'un système au niveau de l'équipe nationale qui a fonctionné. Mais le fait qu'il soit plus facile d'entrer dans le top 30 chez les femmes a permis à Anderssen de garder un groupe ensemble pendant la majeure partie de ses années ici et le faire grandir. Ce n'est pas pareil pour les hommes."
Malgré tout, il y a quand même quelques lueurs d'espoirs pour l'équipe masculine. Comme la renaissance de Bryce Bennett ou l'éclosion du polyvalent River Radamus. "Mais il n'y a pas de Bode, Ted ou Daron dans ce groupe, reconnaît Steve Porino. Donc, à moins d'un changement systémique massif où le ski n'est plus réservé à l'élite, et où les meilleurs ne peuvent pas facilement se confronter aux meilleurs sans ruiner les parents, je vois le progrès comme une régression vers la moyenne, où vous avez le potentiel de podium de quelques-uns, et cinq ou six skieurs au total capables de se classer dans le top 30. C'est ce que montre l'équipe de vitesse, et c'est ce à quoi l'équipe technique pourrait arriver, mais ce n'est pas pour tout de suite." Il faudra vraisemblablement patienter avant de revoir les skieurs américains au sommet.
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