Record pulvérisé en 8'13"878 : Loeb, l'as de Pikes Peak

A la démesure, Peugeot a répondu par du hors-norme. Catégorie "Unlimited" dans le langage coloradien. Depuis 1916, les 156 virages de Pikes Peak fascinent, intimident. Certes, la piste de terre s'est laissée gagner peu à peu par le bitume mais le défi demeure. Etalés sur 19,93km entre lacets lancinants, rapides euphorisants et ravins potentiellement létaux, ils mènent les téméraires de 2865m à 4301m d'altitude. Et tous les ans, c'est le même folklore ; des histoires de doux dingues dans des machines improbables, de pilotes confirmés armés des bolides les plus racés.

Mais derrière la poétique appellation de "Course vers les nuages" il ne faut pas s'y tromper : l'affaire est sérieuse. Pour Peugeot Sport en particulier. En pleine transition sur le front de la compétition, le Lion a décidé de revisiter en 2013 l'épreuve qu'elle a remporté en 1988 et 1989, respectivement avec Ari Vatanen et Bobby Unser, et surtout sa 405 Turbo 16. A priori pour un one-shot. Et pour mieux affirmer une aptitude à se réinventer, il faut frapper un grand coup, sans avoir besoin de confirmer ou justifier quoi que ce soit l'année suivante. Pour ce faire, Vélizy a donc vu grand en créant un proto 208 de 875kg pour 875cv, avec le concours de Michelin, qui a développé des 31/71-18 spéciaux. Le tout avec le seul capable de maîtriser cette machine sublime et infernale : Sébastien Loeb.

Après huit mois de préparation dont un complet d'essais sur place, le nom de la marque française et du rallyman certifié neuf fois champion du monde s'inscrivent sans surprise en tête de toutes les séances. "Pour l'instant, je n'ai pas cherché à en garder sous le pied. J'ai essayé de tout optimiser, sur chaque secteur", assure Loeb deux jours avant la course. "Le but, c'est aussi de battre le record (9'46"164 par le Néo-Zélandais Rhys Millen), mais la météo peut changer, et les températures ne seront pas les mêmes dimanche, avec un effet sur les pneus et le moteur."

L'Alsacien est à son affaire et en pays de connaissance puisque trois autres Frenchies touche-à-tout ont fait le voyage : Romain Dumas, vainqueur des 24 Heures du Mans en 2010 avec Audi, Jean-Philippe Dayraut, spécialiste des courses sur glace, et Simon Pagenaud, espoir de l'Indycar. Pour eux aussi, le challenge est de taille. "Ce n'est pas une semaine facile, physiquement, après Le Mans", explique Dumas, qui vient de gagner la classique sarthoise au volant d'une Porsche GT. "C'est du sport, car il faut se lever à 2h00 du matin pour rouler à 5h00, en essais. Le challenge est costaud." Avec des amis gardois, il n'a pas résisté à la tentation de remettre ça sur un prototype Norma de 450cv, en Unlimited. C'est vrai, 2012 lui a laissé un goût d'inachevé, une défaite pour 0"017. "Je m'étais juré de ne pas revenir", avoue-t-il... Mais le facteur Peugoet/Loeb est peut-être passé là. "C'est quand même osé de se frotter à Peugeot, car c'est une autre dimension. L'objectif, c'est d'être le premier des outsiders", diti-il. De son côté, Jean-Philippe Dayraut, embarqué dans une Mini de 900cv, a compris. Il juge le binôme Peugeot/Loeb "tellement au-dessus" et savoure cette dernière. "Je ne reviendrai pas, le danger est trop important", avoue-t-il.

Le dimanche 30 juin, à 09h30, Loeb doit lancer la 91e édition auto. Dans la fraîcheur ambiante, le moteur de sa 208 expérimentale performera sûrement mieux. Mais le plan ne se déroule pas comme prévu, une fois de plus à Pikes Peak. La première moto est partie à 8h00, et les 82 suivantes toutes les 20 secondes. Et à chaque chute, on rappelle tous les concurrents en route, provoquant autant de reports. La pluie menace, on devient nerveux chez Peugeot. A 11h15, les Michelin sont sortis de leurs couvertures chauffantes, et aussitôt remis sur ordre. A 11h30, le package magique est enfin en un seul morceau : la 208 est habillée des gommes françaises et son crack sanglé. Déterminé mais anxieux.

Dix minutes plus tard, ça y est ! Loeb catapulte sa 208 dans des crachotements furieux qui marquent chaque incrémentation de rapport. Il file vers un sommet jamais atteint. Sur son parcours, quatre spectateurs traversent la route, quelques secondes avant son passage. Il ne se déconcentre pas et poursuit. Il pousse des montées en régime plus violentes que celles d'une Formule 1 (de 0 à 200 Km/h en 4"’8), tape trois fois les 240 km/h et assure des freinages avec une marge de sécurité infime. A l'arrivée, le chrono s'arrête sur un vertige : 8 minutes 13 secondes 878..

"C'est un grand moment !", s'exclame le nouveau recordman, heureux et envahi par "un certain soulagement". "C'était un défi incroyable", reprend-t-il. "Il y avait vraiment beaucoup d'attentes au niveau de l'équipe et de nos partenaires Red Bull, Total et Michelin. J'étais un peu partagé avant le départ : devais-je rouler à mon rythme ou viser un vrai record ? Je suis parti et je me sentais bien dans la voiture. J'ai vraiment attaqué du début jusqu'à la fin, ce qui aboutit à un chrono de 8'13". Je savais que j'étais capable de faire 8'20", voire 8'15". Aussi, signer une performance en dessous de 8'15", qui était le maximum théorique calculé par ordinateur, c'est une vraie satisfaction ! Je pense que c'est un beau record. Il n'y a aucun droit à l'erreur. J'ai fait toute la montée à bloc. C'est vraiment une auto fabuleuse." Il ne sait pas s'il va revenir un jour. Il n'est pas important qu'il se pose la question. On a tout vu.