Jeux Olympiques Paris 2024 : "Pas en prison, tout comme" : Alizadeh, 3 JO, 3 drapeaux, un désir de liberté

Kimia Alizadeh va concourir jeudi aux Jeux Olympiques de Paris en Taekwondo, chez les -57 kg, où elle fera partie des prétendantes à un podium. Le deuxième de sa carrière, la première au sein de l'équipe bulgare, après avoir porté les couleurs de l'Iran en 2016 et de la délégation des réfugiés en 2021. Une anomalie due à un parcours nourri par un besoin de liberté qu'elle n'a pas trouvé en Iran.

Kimia Alizadeh, médaillée de bronze aux Jeux de Rio en 2016.

Crédit: Getty Images

Imaginez que Lamine Yamal, peu après avoir brillé sous les couleurs de l’Espagne à l’Euro, devenu une star précoce de son sport dans son pays, décide de changer de sélection par conviction politique. Imaginez ensuite que l’attaquant du Barça manque de peu de marquer l’histoire sous ses nouvelles couleurs. Et qu’enfin, il troque une dernière fois son drapeau dans une quête d’or olympique.
C’est, peu ou prou, le parcours de Kimia Alizadeh, la taekwondoïste, première iranienne de l’histoire médaillée aux JO, star déchue en son pays, car en exil. Après avoir représenté les réfugiés à Tokyo, elle évoluera sous les couleurs de la Bulgarie à Paris, dont elle a acquis la nationalité, sous la verrière du Grand Palais, où elle fera des pieds et des mains jeudi, littéralement, pour retrouver un podium olympique.
La native de Karaj, dans le nord de la République islamique, n’était pourtant pas tout à fait destinée à briller. En tout cas pas dans le sport, encore moins dans un sport de combat. Elle a longtemps traîné la patte. En 2018, elle expliquait à Paris Match que la seule raison pour laquelle elle a commencé à traîner sa carcasse longiligne à l’entraînement dès ses 7 ans était d'ordre géographique : “la salle était près de la maison, que je pouvais y aller à pied. Au début, je n’aimais pas y aller du tout !” Et puis un jour, son entraîneur assure à sa mère que la gamine, aujourd’hui 1m82 pour 57 kilos en compétition, un poids acquis grâce à un régime très strict pour une gourmande, “va devenir championne olympique”. Alors pourquoi pas s’y mettre sérieusement ? 

La passion d'un pays, un désir de libertés

De fil en aiguille, à force de travail et de discipline, elle glane des médailles de plus en plus prestigieuses et grimpe les échelons. Des championnats régionaux d’abord, nationaux, ensuite, continentaux, enfin. Jusqu’à une médaille d’or aux Jeux olympiques de la jeunesse en 2014, de quoi faire parler dans un pays où le taekwondo est un sport à médailles, où la concurrence est dense. Concurrence qu’elle domine dans sa catégorie de poids, puisqu’elle se qualifie pour ses premières Olympiades à Rio, où elle décroche le bronze à 18 ans. Mais la belle histoire n’a duré qu’un temps. Celle qu’on surnomme “le tsunami” pour son style offensif, a fini par déclencher un séisme.
Durant les mois qui suivent la médaille, Alizadeh est saluée à travers l’Iran comme une championne et une source d’inspiration, voire d’espoir pour des femmes et des jeunes filles du pays. Elle voyage même à travers le pays, histoire de montrer sa breloque. Sauf qu’en 2020, un an avant de remettre le couvert à Tokyo et acquérir une aura de véritable star, elle décide de quitter son pays natal, et trouve refuge aux Pays-Bas.
La raison ? Alizadeh souffre de la condition des femmes en Iran et vit de plus en plus mal ce qu’elle observe et subit au quotidien. “Les femmes d'Iran ne sont pas libres, a-t-elle tonné. Je suis l'une des millions de femmes à travers le pays qui n'est qu'un objet du gouvernement. Ils ont fait de moi ce qu'ils voulaient, ils m'ont fait porter ce qu'ils voulaient que je porte, ils m'ont dit de dire ce qu'ils voulaient que je dise. Ils m'ont exploitée, et je ne veux plus m'asseoir à la table de l'hypocrisie, des mensonges, et de l'injustice”

Iranienne, réfugiée, Bulgare / Rio, Tokyo, Paris

Une décision radicale qui a de quoi remettre en cause un potentiel avenir de gloire sportive, peut-être motivée par un déclic : “Je me souviens avoir vu des athlètes venues de Taïwan et de Corée du Sud, et j'ai beaucoup discuté avec elles durant mon passage en Chine. Cela m'a ouvert encore plus les yeux, et m'a fait réaliser le chemin que l'on avait à parcourir en Iran pour ne serait-ce avoir que la liberté de se balader librement dans un village olympique. Tous nos faits et gestes étaient scrutés, on ne pouvait pas sortir ou se promener sans la surveillance d'un garde, alors que mes collègues (masculins) sortaient quand ils le souhaitaient. On n'était pas en prison, mais c'était tout comme".
Kimia Alizadeh aspire alors à des libertés individuelles bien plus larges que celles que les autorités de son pays veulent bien lui donner. Le choix de partir est logique, face à un pouvoir qui a enfermé, toturé puis executé le lutteur Navid Afkari en 2020, parce que participant à des manifestations antigouvernement. Ou encore qui a menacé Shoreh Bayat, une arbitre internationale d’échecs iranienne, dont des photos où elle ne portait pas le hijab lors d’une compétition en Angleterre ont été diffusées en 2020.
Après les Pays-Bas, elle rejoint l’Allemagne, où elle acquiert le statut de réfugiée. Ce qui lui permet de concourir sous la bannière de cette délégation un peu spéciale. Elle a d’ailleurs failli lui apporter la première médaille de son histoire, en échouant à la cinquième place, juste derrière les deux médailles de bronze distribuées en taekwondo. À la recherche d’une structure d’entraînement stable, qui lui permettrait de performer, elle tourne finalement le regard vers la Bulgarie. Elle y retrouve Farzad Zolghadri, lui-même ancien taekwondoïste iranien, qui avait décidé de quitter le contingent de pratiquants de son pays pour espérer participer aux JO, la concurrence étant trop grande au sein de la République islamique. Il est aujourd’hui son entraîneur.
La Bulgarie n’en demandait pas tant et s’est empressée de naturaliser Kimia Alizadeh en avril dernier. À juste titre puisque Alizadeh a été sacrée championne d’Europe pour le compte de sa nouvelle patrie le mois suivant. La qualification olympique en poche, elle est sur le point de participer à ses troisièmes Olympiades pour autant de drapeaux différents. Une anomalie qui ne peut qu’être le fait d’un destin hors normes. Une médaille à Paris et on pourrait le qualifier de tout bonnement exceptionnel.

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