Bilan ATP 2025 - Carlos Alcaraz numéro un, Jannik Sinner homme de l'année ?

La question est (volontairement) provocatrice. Mais est-elle si illégitime ? Carlos Alcaraz est le numéro un mondial du tennis masculin. Le (gros) trophée décerné cette semaine est bien sa propriété et personne ne le conteste. Cela n'aurait d'ailleurs aucun sens. Les ordinateurs de l'ATP n'ont jamais d'opinion. Ils additionnent des points, font les comptes, et basta. Ce n'est pas sujet à débat. Mais le meilleur joueur de la saison est-il forcément le meilleur joueur du monde ?

Leur verdict mathématique nous dit donc que l'Espagnol boucle l'exercice 2025 avec 12050 points, ce qui est colossal. Son dauphin, Jannik Sinner, a coupé la ligne d'arrivée après son titre au Masters dimanche soir avec 11 500 points, soit 550 unités de moins. Pas grand-chose. Surtout si on se souvient que l'Italien, suspendu, a été contraint de s'éloigner des courts pendant trois mois qui se sont quasiment étirés sur un tout petit peu plus que ça, entre la finale de l'Open d'Australie le 26 janvier et son retour sur les courts le 10 mai, à Rome.

En son absence, Alcaraz avait compilé 2440 points. Difficile, donc, de contester que cela a pesé de tout son poids pour ce qui est de la lutte au classement entre les deux jeunes champions. Dans leurs confrontations directes, Alcaraz a là aussi fini avec un bilan positif face à Sinner. En six duels, six finales (trois en Grand Chelem, deux en Masters 1000 et celle des ATP Finals), le Murcien est sorti quatre fois vainqueur. Un solide argument de plus pour l'adouber non seulement comme le numéro un statistique, mais aussi comme le joueur de l'année.

Il a aussi décroché huit titres cette année. Personne n'avait fait mieux chez les hommes depuis Andy Murray il y a quasiment une décennie, en 2015 (9). Même avec son rush automnal (victoires à Vienne, Paris et Turin), Sinner est resté assez nettement en retrait dans ce domaine, avec six titres. Carlos Alcaraz a même fait montre d'une constance inédite chez lui jusqu'ici. Des hauts incomparables mais aussi des bas spectaculaires, telle était la patte Alcaraz ces dernières années. Mais avec neuf finales consécutives entre début avril et fin septembre, et neuf finales sur ses 10 derniers tournois, le protégé de Juan Carlos Ferrero a tordu le cou à cette étiquette un peu facile. Et pour la première fois il a atteint la barre des 70 victoires.

N'en jetez plus, l'exercice 2025 de l'Espagnol est exceptionnel. C'est, d'assez loin, sa meilleure saison. Et malgré tout ça, il ne serait pas LE joueur de l'année ? Si la hiérarchie du classement dévoile sa propre vérité, celle-ci n'est donc pas absolue. Elle n'est que partielle. Parfois, la vérité est ailleurs. Une autre vérité, au moins. Cet autre postulat peut considérer que Jannik Sinner a fait encore plus fort que son illustre rival. Il n'est pas numéro un ? La belle affaire. Avec seulement 12 tournois, il lui était quasiment impossible de devancer Alcaraz. Mais il finit avec un pourcentage de victoires supérieur, à nouveau au-delà de la barre des 90%, comme l'an dernier (90,4, exactement).

En matière de constance, si l'Espagnol a été exceptionnel, Sinner a été historique. 12 tournois ? 10 finales. Il n'y a qu'à Halle, alors qu'il digérait sa cruelle finale de Roland-Garros puis à Shanghai, où il a abandonné sur crampes, qu'il n'a pas pris part au match pour le titre. Surtout, il y a cette collection complète des finales, les quatre en Grand Chelem plus celle du Masters. Comme Roger Federer et Novak Djokovic, les seuls à avoir réussi cela depuis la création des ATP Finals, comme on ne les appelait pas à l'époque, en 1970. Trois hommes en 55 ans et Sinner en fait partie.

La constance ultime, c'est celle-là, celle des plus grands tournois. Carlos Alcaraz a fait presque aussi bien, mais en Australie, il avait calé en quarts de finale. Une simple anicroche, mais dont le CV 2025 de Sinner est dépourvu. Depuis, il a énormément évolué, c'est un fait. Puis, c'est loin, Melbourne, c'est vrai. Mais c'était aussi en 2025 et à l'heure de dresser le bilan global de cette année, l'Open d'Australie compte au même titre que les autres Majeurs. Pas plus, mais pas moins parce qu'il nous apparaît déjà à une distance certaine dans le rétroviseur. Puis le Masters, lui, est tout près de nous. Et Sinner l'a gagné. Il est le cinquième grand rendez-vous de l'année. Loin des Grands Chelems, oui, mais sensiblement devant les Masters 1000.

"Quand on joue les quatre finales de Grand Chelem, qu'on joue en plus la finale du Masters et qu'on la gagne, c'est une grande saison, souligne Justine Henin. Est-ce que c'est l'homme de la saison ? C'est un coup très fort pour lui en tout cas d'accrocher un tournoi 'majeur' de plus qu'Alcaraz." In fine, ces lignes n'ont pas vocation à établir un plaidoyer pour Sinner et encore moins à dénigrer d'une quelconque manière les accomplissements d'Alcaraz. Elles pointent seulement que, si la logique du classement se tient, elle est limitative. La réalité, c'est que l'un et l'autre ont accompli une saison de numéro un. Dans à peu près n'importe quelle autre campagne, elle leur aurait permis d'écraser la concurrence, jusqu'à leur dauphin. Ici, le dauphin est un alter ego, un roi bis.