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Rolex Paris Masters - Gilles Simon et le malentendu de son potentiel : "Il avait tout pour devenir n°1 mondial"

Rémi Bourrières

Mis à jour 04/11/2022 à 10:03 GMT+1

Tout au long de sa superbe carrière à laquelle il a mis un point final ce jeudi au Rolex Paris Masters, après sa défaite face à Felix Auger-Aliassime, Gilles Simon s'est entendu dire qu'il avait archi-optimisé son potentiel. Un constat quasiment érigé en dogme qui pourrait pourtant se discuter, et même se contester, comme le fait d'ailleurs le principal intéressé.

Gilles Simon

Crédit: Getty Images

Jo-Wilfried Tsonga et son revers instable. Gaël Monfils et sa tendance à jouer trop loin de sa ligne. Richard Gasquet et son manque d'ego. On a entendu beaucoup de constats en tout genre expliquant pourquoi la génération, brillante et finissante, qui a fait les belles heures du tennis français ces quinze dernières années n'était jamais parvenue à décrocher ce satané titre en Grand Chelem. Avec une sentence irrévocable, occultant peut-être un peu vite et injustement ce qu'elle a accompli de grand : elle aurait pu faire mieux.
Et Gilles Simon alors ? Lui n'est jamais vraiment entré dans ce débat. Pensez-donc : remporter 14 titres, battre l'intégralité du Big Four, atteindre la 6e place mondiale, jouer le Masters (2008), atteindre deux finales en Masters 1 000 (Madrid 2008, Shanghai 2014) ainsi que deux quarts de finale en Grand Chelem (Open d'Australie 2009, Wimbledon 2015), c'est quand même pas mal et même inespéré pour un joueur sur lequel le microcosme se demandait s'il arriverait seulement un jour à faire carrière.
Ce concept selon lequel il aurait optimisé son potentiel, "c'est un truc qui a été beaucoup dit sur moi mais qui est complètement faux, disait-il à Eurosport en début de semaine au Rolex Paris Masters, avant d'y aborder son dernier tournoi, avec le magnifique parcours que l'on sait. En même temps, on m'a toujours vu moins fort que ce que j'étais. Je n'étais déjà pas celui qu'on imaginait ne serait-ce que dans les 100 meilleurs du monde, encore moins dans les 50, 20 ou 10. Forcément, une fois que je suis allé aussi haut alors qu'on avait déjà du mal à m'imaginer trois niveaux en-dessous, c'est la conclusion logique de dire : 'Lui, il a exploité son truc à fond'. C'est juste qu'on m'a collé une image, comme à d'autres. Moi, on m'a collé l'image du mec qui ne serait jamais fort."
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"On te surnommait 'CNN', parce que tu la fermais jamais" : "Tsonga et les autres saluent Simon

Gilles Simon n'a il est vrai jamais fait beaucoup d'efforts pour afficher des atouts tape-à-l'œil sur un terrain. Sa première balle dépassait péniblement les 190 km/h, il a dû frapper trois revers slicés dans sa carrière et ne montait souvent au filet que pour serrer la main de son adversaire. On a connu des arsenaux plus outillés.
Ses forces à lui étaient obscures, invisibles, basées sur une exploitation optimale des failles adverses et de la géométrie du court, une mise en pratique professorale de la fameuse théorie des angles chère à Henri Cochet, et aussi, tout de même, un sens du timing pas assez souligné. Mais globalement, ça n'était pas du show, encore moins du cirque. C'était de la science. Et la science, ça fait surtout frémir les plus "geek" des initiés.
Depuis son plus jeune âge, Gilles Simon, en plus de devoir composer avec un physique des plus frêles, a dû se faire à cette idée latente selon laquelle il faudrait qu'il se batte pour arracher une petite place au soleil. Dans l'imagerie collective, il a toujours été la quatrième roue du carrosse "Big French" évoqué plus haut.
Durant sa formation, pareil : s'il a suivi tout le cursus fédéral, ce fut in extremis, rattrapé plusieurs fois par le colback grâce à des cadres qui croyaient (malgré tout) en lui et l'ont défendu bec et ongles contre ceux, plus nombreux, qui "tiquaient" devant son insuffisance de résultats et de ce fameux potentiel.
Les premiers faits d'armes de Gilles Simon sur le circuit pro, au mitan des années 2000, se sont aussi accompagnés d'un autre refrain souvent siffloté à son sujet : il aurait le "melon", le "boulard", une arrogance dépassant un peu trop l'entendement. Et c'est vrai qu'il affichait une confiance en lui qui paraissait inversement proportionnelle aux moyens qu'on lui prêtait.
Au fond, le malentendu est probablement parti de là : Gilles Simon clamait ses forces, lassé qu'on les dénigre sans cesse. A un moment, il s'est senti contraint de baisser le son et taire ses ambitions, peut-être aussi pour ne pas contrevenir à l'obligation d'humilité seyant à tout sportif français auprès de son public.
Pourtant, quand il atteignit la 6e place mondiale en 2009, "dans ma tête, potentiellement, rien ne m'empêchait de devenir numéro 1, confiait-il cette semaine à L'Equipe. Ça paraît arrogant mais ma logique est toujours la même : ces gars-là (le Big 3) sont des monstres mais je les ai battus. Ils sont plus forts mais pas si loin que ça. C'est comme ça que je me suis construit. Je tiens des propos qui sont logiques pour moi mais pas pour les autres. La rencontre avec l'univers médiatique et les attentes du public a été difficile pour moi. Cela a créé un décalage."
Un Djokovic, un Murray, à la base, n'ont rien de plus que lui. Sauf qu'eux, comme Nadal et Federer, ont travaillé très tôt l'aspect mental.
C'est le moins que l'on puisse dire. Gilles Simon numéro 1 mondial en puissance ? On aurait trouvé peu d'observateurs pour en convenir. Sauf parmi ceux qui ont l'ont côtoyé de près. "Bien sûr, Gilles avait tout pour devenir numéro 1 mondial, opine ainsi le préparateur mental Ronan Lafaix, qui a travaillé avec lui en 2017 et 2018. Il avait la passion, les qualités intellectuelles et cette soif de progresser qu'ont les plus grands champions. Un Djokovic, un Murray, à la base, n'ont rien de plus que lui. Sauf qu'eux, comme Nadal et Federer, ont travaillé très tôt l'aspect mental, ce qui leur a permis de développer leur jeu. Pas Gilles. Il n'a pas été suffisamment challengé durant sa formation. Il est allé ensuite chercher les solutions par lui-même, mais c'était un peu tard."
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Face à Auger-Aliassime, un Simon combatif jusqu'au bout

Plusieurs fois, au fil de son dernier tournoi, le joueur a confié que l'une des choses dont il était le plus fier dans sa carrière, c'est d'avoir réussi ce long voyage intérieur qui lui a permis petit à petit de savoir gérer les moments de stress se dessinant inévitablement au creux d'une carrière. Notamment à partir du moment où il a compris qu'il ne fallait pas éluder ses peurs, mais déjà commencer par les accueillir et les confier, pour mieux les assumer et les expurger.
J'ai mis longtemps avant de comprendre que mes problèmes ne passeraient pas tout seul, et miraculeusement. Mais quand tu t'y prends à 26 ans, c'est tard...
C'est d'ailleurs dans une logique de transmission qu'il a sorti en 2020 un livre ("le tennis, ce sport qui rend fou") portant beaucoup sur ce thème de l'approche mentale, selon lui erronée en France. "Je pense qu'on s'enferme beaucoup dans une approche basée sur l'envie, la bagarre, disait-il jeudi soir après sa défaite contre Felix Auger-Aliassime, qu'il admire justement pour sa facilité à faire part de ses doutes, malgré les éloges qui ont plu à son sujet. C’est ce qui est un peu différent chez les Nadal ou Djokovic, qui ont aussi eu des chemins plus personnels. Pour moi, cela se joue essentiellement là-dessus. J'ai mis longtemps avant de comprendre que mes problèmes ne passeraient pas tout seul, et miraculeusement. Mais quand tu t'y prends à 26 ans, c'est tard..."
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"Il est plus jeune, plus beau, plus fort, plus tout : Simon - Auger-Aliassime, respect mutuel

Pour Ronan Lafaix, Simon n'aurait pas dû en arriver à développer à ce point ce génie tactique qui a fait sa signature. Parce qu'il aurait dû, d'abord, développer ses propres armes. Mais qu'il s'est fourvoyé dans une politique un peu trop "court-termiste", plus préoccupé par son envie de gagner tout de suite que d'optimiser son potentiel plus tard. "Gilles, ce qu'il voulait, c'était faire des matches, tout le temps. Et surtout, les gagner. Il a développé un jeu à court terme pour gagner et il l'a très bien fait. Mais c'est là où on aurait dû l'inciter à réfléchir davantage sur l'avenir. Il a manqué d'ambition sur son jeu et il l'a payé ensuite."
Il l'a payé quand la pression énorme du très haut niveau a fini par rattraper le simple amour du jeu, jusqu'à l'étouffer. Simon a alors lui-même été rattrapé par ce "manque de détachement" qui ne l'aura jamais lâché durant le reste de sa carrière, l'obligeant à jouer souvent avec le frein à main mal desserré, quitte à y laisser trop de gomme dans les premiers tours. Finalement, un peu comme Jo-Wilfried Tsonga et Richard Gasquet, c'est peut-être en début de carrière qu'il a disputé ses matches en étant le plus relâché. Ensuite, il a toujours couru après cette flamme de l'insouciance.
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Gilles Simon au Masters Paris 2022

Crédit: Getty Images

Selon l'ancien entraîneur de Stéphane Robert et dépositaire de la formation "Soyez PRO", cette course était perdue d'avance, car le temps perdu au départ ne se rattrape plus, surtout à une époque dominée par de telles Formule 1. "Pour gagner, Gilles a développé cette capacité à rentrer dans la tête de l'autre et il s'est un peu oublié là-dedans, alors qu'il est capable faire plein de choses sur un terrain. Il a trop accepté de subir pour gagner. C'est bien, mais vous ne pouvez pas développer une estime de vous suffisante en jouant comme ça. Les meilleurs, eux, imposent toujours leur jeu. Gilles, lui, s'est trop adapté à l'autre et il s'est complu là-dedans, parce qu'il gagnait. Jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus de gagner dans la souffrance."
D'une certaine manière, Gilles Simon a ainsi fini par toucher les fameuses limites de son potentiel. Même si le potentiel, comme le talent, est une notion beaucoup trop abstraite et insondable pour en définir précisément la substantifique moelle. Reste une vérité qu'on ne lui enlèvera pas : avec les cartes qu'il avait en mains, Gilles Simon aura tout donné sur le court, jusqu'au dernier point. Optimisation ou non d'un potentiel, il aura au moins tenté d'en extraire jusqu'à la dernière goutte. Cela ne restera pas la moindre leçon du professeur.
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