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Caujolle sur l'avenir du tennis : "Les Grands Chelems essaient de déstabiliser le circuit, pas l'Arabie Saoudite"
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Publié 13/03/2024 à 13:42 GMT+1
Alors que deux projets s'affrontent en ce moment pour refonder le circuit professionnel, Jean-François Caujolle, directeur de l'Open 13 Provence, nous a accordé un entretien sans concession. Il y explique pourquoi il soutient le président de l'ATP et l'offre saoudienne, considérant que le "Premium Tour" défendu par les Grands Chelems est une trahison de l'histoire du jeu et un non-sens sportif.
Criag Tiley, Jannik Sinner
Crédit: AFP
Prise de contrôle de l'Arabie saoudite ou ligue fermée tenue par les Grands Chelems, l'alternative pour l'avenir du circuit ne serait-elle pas un choix entre la peste et le choléra ?
Jean-François Caujolle : Aujourd'hui, la peste est avec les Grands Chelems et il n'y a pas du tout le choléra de l'autre côté. Il y a deux-trois ans, le Board de l'ATP, en voyant le LIV Tour arriver sur le golf (circuit dissident du PGA Tour créé avec le PIF saoudien, NDLR), s'est demandé ce qu'il fallait faire. Est-ce qu'on discute avec les Saoudiens pour connaître la nature de leur projet et développer le tennis et le circuit ? Ou est-ce qu'on leur dit non et on refuse de leur parler pour différentes raisons d'ordre moral ou éthique ? La position prise alors a été de dire qu'on allait les écouter. On sait qu'il y a des problèmes, comme dans beaucoup de pays, sur les droits humains. Mais on ne va pas refaire le monde. Je pense qu'on a bien fait de les écouter.
Pourquoi ?
J.-F. C. : Parce qu'ils ne sont pas partis créer leur propre Tour comme ils auraient pu parce qu'ils ont l'argent pour le faire, comme la scission entre PGA Tour et LIV Tour l'a montré dans le golf. De toutes les manières, l'ATP a dit depuis qu'il a restructuré les calendriers qu'une semaine allait s'ouvrir pour un Masters 1000. Il y aura certainement un appel à candidatures et il y a des chances que ce soit l'Arabie saoudite, qui a plus de moyens que d'autres, qui le remporte. L'Arabie saoudite investit dans tous les sports. Pourquoi le tennis s'opposerait à ça ? C'est une organisation d'un circuit, l'ATP, qui les intègre, donc la démarche a été très intelligente. Avec cet argent investi dans un partenariat général, c'est une très bonne chose.
En quoi les Grands Chelems sont-ils dans l'erreur selon vous ?
J.-F. C. : Qui est-ce qui veut déstabiliser complètement le Tour aujourd'hui ? Ce sont les Grands Chelems. Ils se disent qu'ils vont proposer quelque chose qu'ils jugent intéressant ou original, c'est-à-dire de faire un circuit un peu comme la F1 : on ne va plus faire que 14 tournois dans l'année pour le Top 100. C'est ne pas connaître comment fonctionnent le Tour et les joueurs. Un 50e mondial va perdre au 1er ou au 2e tour de ces 14 tournois et il ne va pas pouvoir aller jouer ailleurs ? Quand ils sont jeunes, les joueurs ont besoin de jouer beaucoup. Et quand ils perdent tôt, ils rajoutent des tournois dans leur calendrier. C'est une aberration sportive d'abord, mais aussi économique. Qu'est-ce qui va se passer pour un tournoi ATP 500 comme Rotterdam ou Vienne ? Il n'y aura plus de tournois, parce qu'un "Contender Tour" pour les joueurs classés entre 101e et 300e mondiaux, qui va l'organiser ? Personne et surtout pas ces ATP 500 qui avaient des plateaux bien plus prestigieux.
A votre avis, qu'en penseront les joueurs ?
J.-F. C. : Je prends le cas d'un Adrian Mannarino qui fait une carrière exceptionnelle, ou même d'un Gilles Simon : ils ont eu la chance d'avoir des tournois ATP 250 où ils gagnaient des matches, des points et prenaient de la confiance pour monter ensuite et performer dans des 500, des 1000 ou des Grands Chelems. Mais ils ont fait essentiellement leur histoire dans des tournois ATP 250. Donc des joueurs comme ça disparaîtraient complètement du calendrier ou du classement. Je trouve cela tellement aberrant, d'autant plus que ça vient d'institutions gérées par des fédérations qui sont censées assurer une caution morale, même si Wimbledon est un peu à l'écart. A part trois ou quatre joueurs, qui vont systématiquement au bout des tournois, les autres ont besoin de jouer. Et ils joueront toujours des ATP 500 et des ATP 250.
Quand je vois cette pyramide "Premier Tour", "Contender Tour", il n'y aura plus cette possibilité de s'élever progressivement pour des jeunes en passant des Challengers aux 250, et ainsi de suite. C'est aberrant et ça a très peu de chances de se faire. Craig Tiley (directeur de l'Open d'Australie à l'initiative du projet, NDLR) veut juste écrire sa propre histoire, le tennis ne l'intéresse pas. Je serais surpris que les joueurs y adhèrent.
Mais avec ce 10e potentiel Masters 1000 en Arabie saoudite, la place des ATP 250 est encore plus menacée, non ?
J.-F. C. : Non, parce que cette semaine était de toute façon prévue dans le calendrier à partir de 2025-2026. Il y aura des ATP 500 en plus en 2025, on le sait. Mais si la Fédération française de tennis soutient le projet des Grands Chelems, le Rolex Paris Masters va disparaître, parce que les 10 tournois prévus en plus des Majeurs sont des tournois outdoor. Il n'y a pas de risque : le PIF, en tant que sponsor, va injecter plus d'argent dans le Tour, dans les Masters 1000, comme dans les ATP 500 et 250. Chacun reste à sa place. A Marseille, on peut avoir de bons joueurs parce que notre situation dans le calendrier est idéale. Cette année, on a eu quatre Top 20 dans le dernier carré, on est ravis.
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Next Gen Finals : L’Arabie Saoudite à la conquête du tennis ?
Video credit: Eurosport
Quel projet a le plus de chances de voir le jour selon vous ?
J.-F. C. : Pour moi, celui des Grands Chelems a très peu de chances d'aboutir parce qu'il n'a aucune fondation économique. Ils lancent un concept mais qui va payer ? En face, l'ATP et la WTA ont construit quelque chose depuis 50 ans maintenant qui tient la route. Je considère avoir un regard plutôt objectif sur ce problème : je suis sur la fin de ma carrière, je vais passer les rênes à Jo-Wilfried Tsonga. Si ce truc a lieu dans trois, quatre ou cinq ans, je ne serai peut-être plus présent. J'avais cette position à la fin des années 1990 quand un projet un peu similaire menaçait de voir le jour et je l'ai toujours. Je suis un fan d'Andrea Gaudenzi (président de l'ATP), pas parce qu'il est sympathique mais parce qu'il promeut une politique de rapprochement entre les hommes et les femmes, il essaie de trouver un consensus.
Justement, on se dirigerait vers une quasi-fusion des circuits WTA et ATP, mais de grandes figures du tennis féminin comme Martina Navratilova se sont opposées au rapprochement avec l'Arabie saoudite, très en retard sur les droits des femmes. N'est-ce pas un problème ?
J.-F. C. : On accepte d'avoir l'argent de l'Arabie saoudite dans des entreprises françaises ou américaines ou de leur acheter du pétrole. Ne soyons pas hypocrites. Bien sûr que la condition des femmes m'intéresse et que je la défends. J'ai trois filles et je m'investis à titre personnel sur ce sujet. Mais alors arrêtons tout, adoptons une attitude radicale et dogmatique. C'est d'une hypocrisie totale : on ne peut accepter de prendre de l'argent d'un côté et donner des leçons de morale de l'autre. De toutes les manières, il y aura toujours des sports, des fédérations, des sportifs qui accepteront d'y aller. On a bien pactisé avec le Moyen-Orient et la Chine… La situation des femmes est dramatique là-bas, c'est sûr. Mais on ne parle pas des Ouïghours ou des Tibétains parce que la Chine est trop importante.
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