Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

"Ce ne sont que des morts de faim" : En Challengers, ça pousse de plus en plus fort

Maxime Battistella

Mis à jour 20/10/2022 à 11:45 GMT+2

A l'image de Benjamin Bonzi ou de Constant Lestienne, de plus en plus de joueurs se font sereinement une place dans le Top 100 après avoir percé en Challengers. Dans l'ombre du circuit principal, l'intensité et la qualité du tennis pratiqué dans ces tournois est peut-être le meilleur indice de l'homogénéisation du niveau général ces dernières années.

Mathieu : "Les wild-cards doivent tourner le plus possible et ne pas être une habitude"

Corentin Moutet et Adrian Andreev séparés par l'arbitre après une poignée de mains qui dégénère en altercation. La séquence est vite devenue virale sur les réseaux sociaux, tant elle est (heureusement) rare dans le monde feutré de la petite balle jaune. Et ces images auraient d'ailleurs pu ne jamais sortir car la scène s'est déroulée dans le cadre du Challenger d'Orléans sur un circuit secondaire beaucoup moins médiatisé. Pourtant, ces tournois plus anonymes font de plus en plus parler d'eux, et à juste titre.
Car les Challengers constituent une rampe de lancement irremplaçable pour bien des carrières. Menacés dans leur existence même par la crise du coronavirus et l'arrêt des compétitions pendant cinq mois - il était parfois difficile de mettre en place des protocoles sanitaires contraignants dans ces épreuves moins richement dotées -, ils ont toutefois continué à servir de déclics pour des joueurs aux parcours sinueux : d'Aslan Karatsev à Benjamin Bonzi en passant par Constant Lestienne, dernier Français à avoir réussi sa transition entre les deux circuits, à 30 ans. Pendant près d'une décennie, il a arpenté un circuit secondaire qui n'a pas grand-chose à voir avec ce que connaît l'élite du jeu.

Deux circuits, deux mondes

"Il n'y a pas vraiment eu d'évolution, ça a toujours été les mêmes tournois et ils sont dans l'ombre. Les courts sont filmés, mais en streaming. Pour notre entourage, ce sont des matches qui ne sont pas agréables à regarder : on ne voit pas très bien, on n'entend pas très bien, il n'y a pas de gros plans. C'est à cause de cela que les tournois ne sont pas vraiment mis en lumière. Ce sont des matches parfois sans spectateurs, vraiment zéro. En France, bien sûr, il y a des exceptions avec des tournois comme Rennes, Mouilleron-le-Captif, Brest qui sont même plus proches des ATP 250. Mais en règle générale, les Challengers sont durs à jouer, il faut y aller en guerrier et savoir pourquoi on le fait", nous confie le 69e mondial.
picture

Lestienne, Top 100 décomplexé : "Ni la FFT ni mon entourage ne m'ont cru capable de faire ça"

Lestienne le confirme : il a découvert un autre monde récemment. "C'est ma quatrième semaine sur le circuit ATP (il a toujours franchi au moins le 1er tour et a même joué une demie à Tel Aviv, NDLR) : c'est à chaque fois dans des grandes villes, les joueurs sont traités comme des rois avec le système des navettes qui viennent te chercher gratuitement. On est dans des supers beaux hôtels, le déjeuner est offert au club le midi, les matches sont télévisés et ça fait rêver l'entourage. On a l'impression d'être dans la lumière contrairement aux Challengers. Je pense par exemple à l'Italie où ils font un business dans notre dos. A chaque fois qu'ils viennent nous chercher à l'aéroport, c'est 100 euros. On doit payer pour tout."
Ce n'est pas plus simple de gagner des matches en Challengers qu'en ATP 250
Cet écart manifeste entre les deux circuits dans la prise en charge des joueurs et même dans les conditions de jeu - notamment au niveau de l'arbitrage moins professionnel et de l'entretien des courts - ne reflète pourtant pas un décalage aussi flagrant de niveau de tennis. Le passage en Challengers de certains grands noms à la relance après de longues blessures comme Andy Murray, Stan Wawrinka ou Dominic Thiem, l'a bien montré. Pour sa reprise fin mars dernier, l'Autrichien avait été par exemble battu dès le 1er tour à Marbella par l'Argentin Pedro Cachin, à l'époque 228e mondial et désormais… 57e.
Pour son dernier Roland-Garros, Gilles Simon évoquait aussi à sa manière ce sentiment de resserrement général, à l'aune de sa dynamique personnelle. "La fin de carrière, c'est difficile. Tu ne regagnes plus un match, tu redescends, tu vas jouer en Challenger en te disant que ça va aller mieux… et en fait non. Tu prends des roustes toutes les semaines par les mecs qui se présentent parce qu'ils jouent très, très bien", constatait-il.
Au-delà de la 100e place mondiale, la qualité de tennis ne baisse pas brusquement, comme cette barrière symbolique pourrait le faire penser. "En Challengers, les mecs ont une attitude même meilleure sur le court que d'autres sur le circuit ATP. Ce ne sont que des morts de faim, c'est génial. Ils savent tous pourquoi ils viennent au bout du monde pour jouer un match sur le court 14… C'est du beau tennis aussi, et ce n'est pas plus simple de gagner des matches en Challengers qu'en ATP 250. C'est une question de survie, beaucoup voyagent quand même avec un coach, il y a des frais", souligne encore Lestienne.

Une revalorisation de 60 % du prize money en 2023

Alors que les instances dirigeantes du tennis mondial cherchent constamment les moyens d'attirer de nouveaux fans, de relancer l'intérêt pour un sport en perte de vitesse, revaloriser les Challengers est remonté dans la liste des priorités. En septembre, l'ATP a ainsi annoncé une grande réforme pour 2023 avec les trois mesures-phares suivantes :
  • Le passage à quatre catégories de Challengers : 50, 75, 100 et 125 (comme le nombre de points attribués aux vainqueurs). Trois Challengers dits spéciaux "premium" 175 auront lieu lors des secondes semaines des Masters 1000 d'Indian Wells, de Rome et de Madrid
  • L'augmentation de la dotation globale sur le circuit de 60 % : elle passera de 13,2 à 21,1 millions de dollars (soit 21,6 millions d'euros), avec des hausses substantielles pour les catégories 75 (de 53 120 à 80 000 dollars) et 100 (de 106 240 à 130 000 dollars) et une meilleure redistribution dans les premiers tours
  • Un calendrier global de 195 tournois (un record, 183 en 2021) dont davantage de Challengers 100 et 125 (hausse de 170 %) pour grimper plus aisément au classement
"Le circuit Challenger est la rampe de lancement du tennis professionnel. Ces annonces sont un pas en avant fondamental pour l'écosystème entier. Ce nouveau plan augmente les gains potentiels pour les joueurs et améliore l'équilibre entre les catégories de tournois, les surfaces et les régions. Ce n'est qu'un début. Notre équipe s'engage à aller plus loin dans les mois et années à venir", s'est félicité Andrea Gaudenzi, le président de l'ATP.
C'est en prenant soin de ses fondations et de son vivier que le tennis assurera son avenir. Un pas dans la bonne direction semble donc avoir été effectué pour permettre à plus de joueurs méritants de vivre de leur passion, du moins sur le papier. En attendant de le vérifier, les Challengers restent une guerre de tranchées dont il est préférable de s'extirper le plus vite possible. Sous peine parfois de s'y embourber.
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité