Forget à toute épreuve

Après une troisième défaite en finale en 2010, après 1999 et 2002, le contrat de Guy Forget a été prolongé pour deux ans par la FFT. Le capitaine doit cependant affronter une nouvelle zone de turbulences avec les déclarations de Gilles Simon, parues lundi dernier à quatre jours d'Autriche - France. Une crise ? "Non", dit notamment Henri Leconte, "car seule compte la victoire". Mais une position "fragilisée" confirme Patrice Dominguez. Ce n'est pas la première fois.

Quand Guy Forget arrive aux commandes de l'équipe de France, en 1999, c'est un joueur et un homme accompli mais un capitaine novice. Il prend le relais de Yannick Noah avec ambition et détermination. Sans possèder les mêmes atouts de communiquant que son ami, il bénéficie pour sa première saison d'un joueur au sommet de sa carrière : Cédric Pioline. Forget se cherche encore un style et une autorité. Son influence sur un joueur qui est presque de sa génération (quatre ans de différence) est limitée. A chaud, après la défaite en finale face à l'Australie en 1999, Pioline est en larmes tandis que Forget voit déjà plus loin : "Je veux ramener le Saladier en France" en ajoutant "avec les jeunes archi-motivés et qui veulent faire leur trou dans le groupe".

Pioline perd son dernier simple dès l'année suivante et la France doit jouer les barrages. Forget ne compte plus sur lui qu'en double, et Pioline s'efface progressivement devant l'émergence des Sébastien Grosjean, Arnaud Clément et Nicolas Escudé. Ce sera lui, et Fabrice Santoro, qui remporteront le double en Australie lors de la victoire en 2001. Forget, qui a carte blanche pour mettre en place son groupe, a su faire confiance et installer la jeune génération tout en préservant l'orgueil des plus anciens. L'héritage Noah est en de bonnes mains, peut-on conclure en décembre 2001, et c'est sacré. Forget en est le dépositaire, il ne faut pas douter de lui.

Décembre 2002, Guy Forget décide de rompre l'équilibre qui a été sa marque de fabrique depuis trois ans. En s'appuyant sur des joueurs confirmés, Cédric Pioline, Fabrice Santoro, Nicolas Escudé, il avait mis sur orbite Sébastien Grosjean puis Arnaud Clément, et enfin Michaël Llodra, un petit jeune tout feu tout flamme. Le renouvellement progessif se déroule comme prévu, et s'il peut regretter les blessures de Jérôme Golmard ou Arnaud Di Pasquale, son effectif est assez large pour constituer une des équipes les plus redoutables du groupe mondial. En novembre, Paul-Henri Mathieu vient pourtant fracasser le circuit en remportant deux titres coup sur coup à Moscou et Lyon. Forget prend un risque, le seul risque majeur de sa carrière d'entraîneur, et offre le cadeau qui deviendra fardeau : une première sélection pour PHM directement en finale.

C'est un coup d'arrêt net dans l'évolution de l'équipe de France. Forget avoue le jour de la finale : "Je ne savais pas comment Paulo réagirait face à la pression". Un pari perdu qu'il n'oubliera pas. Sébastien Grosjean, leader tricolore au classement ATP, ne s'impose pas dans le groupe, Arnaud Clément non plus, et Nicolas Escudé comme Fabrice Santoro ne revendiquent pas le rôle de meneurs. Forget est finalement plus un leader qu'un capitaine. Les années qui vont suivre vont le confirmer. Le capitaine sera d'autant moins attaqué qu'il s'imposera comme le garant d'un esprit d'équipe formulé comme règle d'or.

Outre les performances décevantes et les déclarations de Sébastien Grosjean, qui n'aura jamais réussi à s'épanouir vraiment en Coupe Davis malgré une belle carrière sur le circuit, et qui souligne parfois les contraintes dues à une une carrière de top 10 et un parcours en Coupe Davis, c'est Fabrice Santoro qui cristallisera toutes les polémiques majeures de la seconde partie de l'ère Forget. Comme souvent, c'est après une défaite en finale que les frustrations surgissent. Après la page Pioline tournée en simple en 2000, Santoro est au coeur d'incompréhensions et de choix discutables en 2003 (en Suisse) et en 2004 contre l'Espagne. L'arrivée de Richard Gasquet et le retour de Paul-Henri Mathieu dans le groupe ne changent rien à la donne. Le premier est trop jeune et le second trop effacé pour dynamiser le groupe. En 2006, Forget décide de ne pas sélectionner Santoro. Celui-ci est arrivé en retard à un rendez-vous après avoir participé au tournoi des Petits As. Première crise ouverte.

Cette fois-ci, pas de simples remarques sur les entraînements, mais un échange vif par presse interposée entre les deux hommes. "Est-ce que ma sélection a été une seule seconde envisagée avant mon quart de finale à l'Open d'Australie ?" Michaël Llodra est devenu un pilier et le relais évident de la philosophie du groupe, Arnaud Clément est resté entièrement fidèle. Seul Richard Gasquet, idéalisé quelques années plus tôt, se voit un peu stigmatisé publiquement par Forget après quelques contre-performances. Le joueur réagira sans réellement polémiquer. Gaël Monfils et Gilles Simon ont attendu longtemps ? Ils se montrent tout à fait obéissants au moment d'intégrer l'équipe.

Aucune révolte à l'horizon, mais un décalage de plus en plus visible entre cette nouvelle génération et le discours rodé de Forget. Monfils n'est pas toujours là où l'attend le capitaine, et cela fait grincer des portes et des dents. Les incompréhensions ne se règlent plus comme à l'époque Grosjean/Clément par des petites réunions à huis-clos. Jo-Wilfried Tsonga, intrônisé leader naturel, répond toujours présent, sans jamais fuir ses responsabilités, tout en précisant clairement que sa priorité est de gagner un tournoi du Grand Chelem. Le groupe semble plus fort mais moins canalisé, et le rôle de Forget semble parfois anachronique.

Après la défaite à Belgrade en décembre dernier, les choix du capitaine sont logiquement contestés. Thierry Tulasne souligne un risque d'implosion avant de rentrer dans le rang. Gilles Simon constate aussi qu'il cherche sa place dans un groupe qui doit encaisser la défaite. Même Jérémy Chardy, en pleine crise lui-même, s'étonne qu'on ne prenne pas de ses nouvelles. Pour sa treizième saison, le capitaine ne bronche pas. Il veut "bien croire" Gilles Simon quand celui-ci dit qu'il a été berné par les journalistes, et il... titularise Jérémy Chardy face à Jürgen Melzer. Forget a désormais suffisamment d'expérience pour digérer les pseudo-conflits. Il a deux saisons pour retrouver une dynamique positive.