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Coupe Davis : Après cette première édition, des tonnes de questions

Laurent Vergne

Mis à jour 25/11/2019 à 17:10 GMT+1

COUPE DAVIS – En un an, la vénérable Coupe Davis a totalement changé de visage. La nouvelle formule a accouché la semaine passée de quelques couacs dus davantage à sa conception qu'à sa jeunesse. La Coupe Davis reste en chantier. Mais il est de l'intérêt de tous que la version Kosmos de l'épreuve puisse s'améliorer dans les années à venir.

Gerard Piqué, l'homme fort de la nouvelle Coupe Davis.

Crédit: Getty Images

La Coupe Davis a vécu l'an I de sa deuxième vie, cette semaine, à Madrid. Il est bien trop tôt pour dire si cette nouvelle mouture aura la longévité de sa devancière qui, avec tous ses défauts soulignés ces dernières années par ses détracteurs, a tout de même généré plus d'un siècle d'émotions en tous genres. Il est en revanche temps de dresser le bilan de cette première édition achevée dimanche soir par le sacre à domicile de l'Espagne.
Du passage sous la houlette de la Piqué Team, je regrettais deux pertes et un maintien : la fin du principe domicile/extérieur et au moins autant la disparition des trois sets gagnants en simple comme en double. Quitte à jeter à la poubelle tout ce qui avait fait l'ADN de cette épreuve, le mieux aurait encore été d'avoir l'honnêteté intellectuelle de reconnaitre qu'il n'était pas légitime d'en conserver le nom. Ce que nous avons vu dans la capitale espagnole s'approche davantage de feue la World Team Cup de Düsseldorf que de la Coupe Davis.
Je comprends bien que si le format était dévalué, la "marque Coupe Davis", elle, demeurait trop puissante pour ne pas être conservée. Mais les deux formules, sur le fond comme sur la forme, apparaissent si différentes, que j'ai beaucoup de mal à me dire que cette cuvée 2019 était une simple édition de plus. Vous pouvez l'adorer ou la détester, mais la semaine madrilène était si radicalement différente de ce que nous avons pu connaitre que le plus audacieux aurait peut-être été d'enterrer pour de bon ce qui avait existé auparavant pour repartir de zéro, y compris en termes d'appellation. Là, nous restons dans un curieux entre-deux : c'est officiellement toujours la Coupe Davis, mais elle n'en a gardé à peu près que le nom.
Mais soit, c'était donc la Coupe Davis, avec sa phase finale ramassée sur une semaine, sur terrain neutre pour 17 des 18 participants et c'est celle-ci qu'il nous faut juger. Commençons par ce qui a fâché.
L'engouement populaire, d'abord. Sans surprise, il a parfois été compliqué de remplir les trois courts de la Caja Magica quand l'Espagne n'était pas concernée. Particulièrement lors de la phase de poules, dont plusieurs rencontres ont été disputées devant des tribunes bien dégarnies. Quand on entend créer l'évènement, c'est problématique. Ce souci-là n'est pas insurmontable. Si le format s'installe, les supporters étrangers viendront plus nombreux. Sans doute cette première édition a-t-elle pâti d'un certain scepticisme de la part d'une partie du public européen.
Le schéma de la phase de poules n'a pas totalement convaincu non plus. La qualification de deux meilleurs deuxièmes a donné lieu à des comptes d'apothicaire et nui à la lisibilité de cette première phase. Sans parler des doubles sans enjeu, des forfaits une fois la qualification pour les quarts acquises et même un risible abandon à... 1-0 du double australien contre la Belgique. Gerard Piqué a promis de trouver une solution mais sans avancer la moindre piste.
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L'équipe d'Australie lors de la phase finale de la Coupe Davis 2019.

Crédit: Getty Images

Mais le plus gros souci a tenu à la programmation des matches. Une crainte soulevée en amont et qui s'est concrétisée à plusieurs reprises, avec en point d'orgue le dénouement du duel Italie - Etats-Unis à plus de quatre heures du matin. Grotesque. Au-delà de ce cas extrême, plusieurs rencontres se sont achevées entre une heure et deux heures. Tout le monde est perdant : les joueurs, bien sûr, mais aussi le public et les diffuseurs. Piqué a convenu qu'il s'agissait là du principal point noir de cette semaine.
Pour y remédier, il n'y a toutefois pas trente-six solutions. Le nouvel homme fort de l'organisation a certes évoqué dimanche la possibilité d'ajouter un 4e court, mais le format paie cash son trop plein de participants : faire cohabiter 18 équipes en un même lieu en une semaine s'apparentait à un casse-tête. Ça n'a pas loupé.
Court supplémentaire ou pas, je ne vois que trois possibilités pour régler le problème. Ma crainte, c'est qu'à terme, la troisième piste, de loin la pire de toutes, soit adoptée :
1. Réduire le nombre de participants à la phase finale. Mais ce n'est pas à l'ordre du jour. Kosmos a trop besoin des droits télé venant d'un maximum de pays pour rentabiliser son investissement de trois milliards de dollars.
2. Rallonger la durée de la compétition. Ce serait peut-être l'idéal, en passant sur deux semaines. La programmation serait plus simple, plus souple et terminer tard ne serait plus aussi dommageable. Mais en l'état actuel du calendrier, c'est impossible. Demander aux joueurs de se mobiliser deux semaines fin novembre n'est pas raisonnable. Beaucoup en conviennent, le meilleur moment pour un rendez-vous sur une quinzaine serait en septembre, après l'US Open. Mais un certain Roger Federer monopolise déjà l'attention médiatique et le gratin du tennis mondial à cette époque de l'année...
3. Si Piqué reste sur une semaine avec 18 équipes, le moyen le plus simple et le plus radical pour éviter d'emmener les acteurs à rester sur scènes à des heures impossibles sera de réduire la durée des matches. Faites entrer le "super tie-break" en cas d'égalité à un set partout. Un format qui serait un copier-coller de... la Laver Cup. Officiellement, ce n'est pas dans les tuyaux, mais c'est une piste qui pourrait bien être envisagée. Après avoir sabordé le format cinq sets, la Coupe Davis version Kosmos va-t-elle scalper le format trois sets ?
Tout n'est évidemment pas à jeter. Les participants ont joué le jeu à fond et, quand les matches démarrent, le tennis appartient à nouveau aux joueurs. Jouer pour son pays demeure un privilège et un moment toujours particulier dans un sport individuel. Lorsqu'ils gagnent ou perdent à l'arraché une rencontre, l'émotion est là. Le quart de finale entre la Russie et la Serbie, vendredi, restera ainsi comme un temps fort de cette semaine, avec les larmes de Viktor Troicki et la joie intense d'un Andrey Rublev en transe.
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Viktor Troicki effondré après la défaite serbe en quart de finale de Coupe Davis contre la Russie à Madrid en 2019

Crédit: Getty Images

L'implication d'un Rafael Nadal exemplaire tout au long de la semaine a également rendu service à cette nouvelle mouture. Elle a assuré une atmosphère digne de ce nom lors des trois derniers jours et le numéro un mondial a parfaitement assumé son statut de personnage central. Mais qui en doutait ? L'Espagne fait un beau vainqueur avec le meilleur joueur du monde et un Top 10 pour le seconder, Nadal fut un impérial leader et Roberto Bautista Agut, bien malgré lui, a apporté une dimension émotionnelle très spéciale à ce sacre.
Reste que le contraste saisissant entre les rencontres de l'Espagne et les autres a confirmé que rien ne vaut le fait d'évoluer à domicile. La Coupe Davis offrait un rapport unique entre acteurs et spectateurs. Pour l'heure, ce privilège est réservé à la seule Espagne, pour au moins deux années encore.
Et ensuite ? Quid du long terme ? Rester à Madrid ? Mais au nom de quoi l'Espagne devrait-elle jouir durablement d'un tel avantage ? Allez ailleurs ? Oui, mais où ? Combien de structures sont à même d'accueillir autant d'équipes en une semaine à cette période de l'année ? La Coupe Davis a-t-elle vocation à n'être la propriété (en termes d'organisation) que d'une poignée de villes ou de pays ? De la seule Europe ? Tout ceci pose question et la stratégie à dix ou vingt ans (le groupe Kosmos s'est engagé, rappelons-le, sur un quart de siècle), n'apparait pas claire.
Grâce à une figure de proue idéale en Rafael Nadal et à une phase finale (à partir des quarts) digne d'intérêt, ce coup d'essai, à défaut d'être un coup de maître, n'a pas à rougir. Le dernier set de cette semaine, et donc de cette saison, entre Nadal et Shapovalov, a même été d'un niveau exceptionnel. Une conclusion en point d'exclamation même si j'ai tout de même beaucoup de mal à me dire qu'une finale de Coupe Davis puisse se résumer à quatre sets. Ou qu'elle puisse se priver d'un double. C'est un des nombreux paradoxes de ces derniers jours : dans ce format, le double peut s'avérer soit décisif soit totalement inutile. En cela, les confrontations au meilleur des cinq matches possédaient une vertu supplémentaire.
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L'Espagne, à domicile dans cette Coupe Davis 2019.

Crédit: Getty Images

Avec ses couacs, ses fautes de goût (le Saladier d'argent amené sur le court après la finale dans une… malle Louis Vuitton) et ses moments forts, la nouvelle formule a parfois pu séduire ou agacer, mais les questions qui, sur le fond, se posaient il y a huit jours, demeurent en suspens.
La Coupe Davis mérite de redevenir un rendez-vous incontournable du calendrier. Elle ne l'était plus tout à fait, elle ne l'est pas davantage après ce reformatage complet. Aujourd'hui, si elle conclut toujours la saison, elle est aussi prise en tenaille entre la Laver Cup, en septembre, et la toute nouvelle ATP Cup, qui déboulera en janvier prochain avec ses... 24 pays engagés sur dix jours et ses points ATP à la pelle (jusqu'à 750).
Le tennis a besoin d'un évènement majeur par équipes. Pas deux. La Laver Cup est un cas à part, mais la Coupe Davis et l'ATP Cup doivent fusionner, ou elles y perdront toutes les deux et le tennis avec. Autant vous le dire, ce n'est pas gagné. La guerre politico-économique est loin d'être terminée entre les instances dirigeantes.
Gerard Piqué s'est montré ouvert à la discussion dimanche. Mais jusqu'où l'ITF et l'ATP sont-elles réellement prêtes à faire des concessions et un pas vers l'autre, dans l'intérêt général du tennis ? C'est toute la question.
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Coupe Davis 2019 : Le selfie de la victoire pour Nadal et l'Espagne.

Crédit: Eurosport

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