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D'année noire à saison blanche, n'y aurait-il qu'un pas ? Gare au scénario-catastrophe

Maxime Battistella

Mis à jour 04/04/2020 à 17:45 GMT+2

Alors que l’annulation de Wimbledon à cause de la pandémie de coronavirus a fait l’effet d’un tremblement de terre dans le petit monde du tennis, la perspective d’une reprise de la saison ne cesse de s’éloigner. A tel point que plusieurs voix considèrent déjà qu’il faut renoncer à l’exercice 2020. Mais les enjeux financiers et humains sont trop colossaux pour se précipiter.

Roland-Garros sous la pluie en 2016

Crédit: Getty Images

Et si Wimbledon entraînait toute la saison dans son sillage ? De l’annulation au dernier moment du Masters 1000 d’Indian Wells début mars à celle de tous les tournois sur les circuits professionnels féminin et masculin jusqu’au 13 juillet prochain (au moins), le coronavirus a eu des effets dévastateurs sur le tennis mondial en à peine trois semaines.
Dernière secousse en date et non des moindres, la pandémie a même fini par avoir la peau mercredi du gazon sacré du plus prestigieux des tournois du Grand Chelem, dont l'organisation n'avait été perturbée que par les deux guerres mondiales jusqu'ici. Le "Temple" vacille et c’est tout le monde de la petite balle jaune qui tremble : et s’il fallait déjà tirer un trait sur 2020 ?
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"Wimbledon annulé ? C'était inéluctable, mais il y a quand même un effet de sidération"

Des voix pessimistes (ou réalistes, selon les avis) commencent à se faire entendre sur le sujet. Si la question bruisse depuis quelques jours dans les rédactions et parmi les journalistes et observateurs attentifs du tennis, ses principaux acteurs ne l’éludent pas non plus. Parmi eux, Amélie Mauresmo, personnalité importante du milieu en tant qu’ancienne championne, ex-capitaine de l’équipe de France de Fed Cup et actuelle coach de Lucas Pouille, a fait connaître son opinion par un tweet qui n’est pas passé inaperçu mardi. C’est le moins que l’on puisse dire.
Pour elle, sans "vaccin" (dont l'élaboration pourrait prendre encore plus d'un an), il ne peut y avoir de reprise du jeu cette saison, tant le tennis transcende les frontières et favorise la circulation du COVID-19. La crise sanitaire, trop incertaine en ce moment et différente selon les pays, condamnerait de fait les circuits en constante vadrouille à travers le monde. L’argument, d’une logique implacable, se tient. "A l’heure actuelle, on a plus l’impression que tout mettra du temps à redémarrer progressivement. On veut tous garder une lueur d’espoir sur le fait que des événements sportifs se décalent sur la fin de l’année, plutôt qu’ils ne s’annulent. Mais, forcément, plus le temps passe – et ça ne fait que deux, trois semaines de confinement –, plus on est pessimiste, parce que tous les pays n’auront pas adopté les mêmes mesures", renchérit notre consultant Paul-Henri Mathieu.

L'US Open et Roland-Garros victimes de l'effet domino ?

Dans un entretien accordé au journal australien The Age, Craig Tiley, le puissant et influent président de Tennis Australia a également fait part de son scepticisme quant à la suite des événements tennistiques, reprenant sensiblement les mêmes arguments. "A mon humble avis, ce sera très dur pour le tennis de reprendre cette année. Le circuit repose sur des voyages à travers le monde, et ce sera probablement la dernière chose qui reprendra. Je pense que les sports nationaux sont en meilleure position que les sports internationaux." Patron de l’Open d’Australie qui a eu lieu en début d'année malgré de graves incendies, l’intéressé réalise a posteriori sa réussite par rapport à ses homologues, et est sans doute plus libre de ses paroles.
Car du côté de l’USTA (fédération américaine), organisatrice de l’US Open, le son de cloche est encore bien différent. Hors de question, pour le moment du moins, d’annuler le Majeur américain censé se tenir à la fin de l’été, du 31 août au 13 septembre prochains. L’événement a encore près de cinq mois devant lui, peut-être de quoi voir venir encore, mais la crise prend une telle ampleur que la question risque de se poser avec de plus en plus d’insistance. Aux dernières nouvelles jeudi, la ville de New York comptait déjà à elle seule 45 707 cas de COVID-19 et 1374 morts. Et le pic de l’épidémie est encore loin, contrairement à ce que l’on peut espérer en Italie, en Espagne ou même en France.
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"Roland-Garros a pris un énorme risque en déplaçant ses dates de façon unilatérale"

Le site de Flushing Meadows sert d’ailleurs actuellement d’hôpital de campagne pour accueillir les malades non atteints du coronavirus, et ainsi soulager les autres structures hospitalières de la région. C’est dire si l’organisation d’un Grand Chelem de tennis est bien le cadet des soucis des autorités locales. Un éventuel report voire une annulation ne peuvent plus être écartés dans les circonstances actuelles. Mais l’US Open n’est pas le seul qui navigue à vue. Roland-Garros, qui avait décidé unilatéralement de reporter ses dates de mai à l’automne, est aussi dans le flou et pourrait bien perdre son pari.
"Je pense que tout le monde, aujourd’hui, se pose des questions. Même Roland-Garros, vu l’ampleur que ça prend, doit douter de pouvoir garder le tournoi en septembre. Cet événement touche tellement de joueurs, de partenaires à l’international qu’il faut faire venir de différents pays. Est-ce que certains pays auront fermé leurs frontières jusqu’à une date-butoir voire la fin de l’année ? On ne sait pas tout ça", fait encore remarquer Paul-Henri Mathieu. Comme son homologue américaine, la Fédération française de tennis (FFT) a mis à disposition des hôpitaux de Paris son Centre National d’Entraînement (CNE) pour accueillir les malades en voie de guérison, mais toujours contagieux. L’urgence du moment est définitivement ailleurs.

Un saison à l'intérêt sportif d'ores et déjà limité

Toujours est-il que la saison 2020, d’ores et déjà privée de cinq mois de tennis et de son cœur traditionnel sur terre battue et sur gazon, a du plomb dans l’aile. Et si l’on se place du point de vue de son pur intérêt sportif, elle perd de plus en plus de sens. Quelle logique y aurait-il, par exemple, à organiser un Masters réunissant les huit meilleurs joueurs d’un exercice amputé de moitié ? Le rendez-vous des Maîtres est censé récompenser la régularité sur un an de ses qualifiés, pas sur six mois, et surtout leur capacité à adapter leur tennis à des conditions de jeu différentes (dur, dur indoor, terre battue et herbe notamment).
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"On se dirige malheureusement de plus en plus vers une saison blanche en 2020"

Or, si par un heureux dénouement de la crise actuelle, il était possible de reprendre le tennis sur le dur nord-américain en août, il n’y aurait donc qu’un grand tournoi sur terre battue, Roland-Garros, pour varier les plaisirs. Et ce une semaine seulement après l’US Open, ce qui pourrait inciter certains à faire des choix. Il n’est ainsi pas impossible d’imaginer Rafael Nadal privilégier ses chances (plus fortes) de 13e sacre du côté de la Porte d’Auteuil, par rapport à Flushing Meadows. D’autres, comme Roger Federer, pourraient prendre la décision inverse. Quel que soit l’angle par lequel on prend le problème, le Masters, dans ces conditions, semblerait bien illégitime ou apparaîtrait comme un couronnement au rabais d’une saison tronquée.
Dans cette hypothèse (optimiste) de reprise estivale, Roland-Garros arriverait d'ailleurs un peu comme un cheveu sur la soupe en plein mois de septembre, sans préparation en compétition sur ocre. Là encore, ce biais fausserait en quelque sorte la compétition, donnant aux terriens naturels un avantage conséquent sur ceux qui ont besoin de prendre progressivement leurs marques et confiance sur la surface. Tous ne sont pas égaux face aux circonstances spéciales du confinement, et les stars du jeu bénéficient évidemment de moyens et d’infrastructures de plus grande qualité pour se remettre en forme et redémarrer au quart de tour. Le fossé n'en serait alors que plus béant, même si après une période si longue sans tennis, de belles surprises pourraient aussi être au rendez-vous.
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Le sac et les raquettes de Roger Federer à Wimbledon en 2019

Crédit: Getty Images

Il était plus facile pour Wimbledon, assuré, d'annuler

Mais ces considérations sont bien peu de choses au regard des enjeux économiques colossaux d’une fin de saison sans tennis. Au-delà de l’impossibilité de préparer son tournoi en raison du confinement mis en place par les autorités britanniques, Wimbledon s’est vite résolu à l’annulation de l’édition 2020 aussi et surtout parce que le All England Club pouvait éponger une partie de ses pertes (billetterie et droits TV entre autres) – le Grand Chelem britannique génère environ 290 millions d’euros de bénéfices annuels – grâce à une assurance contractée en cas de pandémie. C’est le seul des quatre Majeurs à avoir fait preuve d’une telle prévenance.
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"Wimbledon annulé ? C'était inéluctable, mais il y a quand même un effet de sidération"

Est-ce à dire, a contrario, que la FFT a fait preuve d’une certaine négligence en sous-estimant un tel scénario ? Ce serait aller vite en besogne, tant ces questions sont complexes. "Il y a trois stratégies en matière d’assurance. Soit l’organisateur d’événement assume le risque sur sa trésorerie propre s’il a les reins assez solides, soit il transfère le risque à des assureurs, soit il le diminue. Il peut même combiner les trois stratégies", explique Jean-Michel Marmayou, directeur du centre de droit du sport à l’Université d’Aix-Marseille.
En se protégeant contre les dommages matériels, les risques liés aux aléas climatiques et en équipant le court central Philippe-Chatrier d’un toit, la FFT a donc à la fois transféré et diminué le risque. Mais elle a probablement estimé, comme ses homologues américaine et australienne d’ailleurs, que la probabilité d’une pandémie était trop faible pour investir des millions d’euros supplémentaires – le All England Club n’a pas précisé le montant – sur une telle clause. Cela ne signifie pas non plus que la Fédération n’ait pas mis, par ailleurs, la main à la poche pour couvrir d’autres risques. "De toute façon si un contrat d’assurances ne coûte pas cher à ce niveau, c’est qu’il ne couvre pas grand-chose", observe encore Jean-Michel Marmayou.
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Le nouveau court Philippe-Chatrier (Photo: Roland-Garros)

Crédit: Eurosport

L'urgence de la solidarité en cas de saison blanche

Cette mésaventure sera donc peut-être l’occasion pour la FFT de revoir sa stratégie assurantielle, car Roland-Garros lui rapporte pas moins de 260 millions d’euros annuels dont 40 % (100 millions donc environ) servent à financer le tennis amateur. En plus de rentabiliser les investissements réalisés dans l’extension du site et les travaux pour le nouveau toit du Central, l'édition 2020 du tournoi servirait donc aussi en grande partie à faire vivre le tennis en France, à développer ses infrastructures (construction de courts de tennis notamment) et sa pratique. Renoncer à ces bénéfices en 2020 porterait un coup dur à tous ceux qui font vivre ce sport dans l’Hexagone.
Si la crise sanitaire est derrière nous à l’automne, Roland-Garros se jouera donc, quelles que soient les considérations sur son intérêt sportif. L’enjeu économique est d’autant plus fort qu’un "prize money" de 1er tour de Grand Chelem (46 000 euros en 2019 à Paris) serait alors plus que bienvenu pour les joueurs se situant aux alentours et au-delà de la 100e place mondiale. Privés de ressources pendant plusieurs mois, ces indépendants de la petite balle jaune, qui ont du mal à s’acquitter de leurs charges (trajets, matériel, salaires du coach et du préparateur physique, etc.) et ont été lâchés par leurs sponsors pour certains, n’ont qu’une hâte : pouvoir rejouer pour ne serait-ce que rentrer dans leurs frais.
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Mahut : "Les Grands Chelems ont les épaules solides, les petits tournois en revanche..."

Plus que les stars, les membres du top 50-100 ou les tournois du Grand Chelem en tant que tels, ce sont ces joueurs aux classements plus modestes et les plus petits tournois qui risquent de payer l’addition de la crise actuelle. Plusieurs appels à la solidarité et pétitions à l'adresse de l’ATP, la WTA et de la Fédération internationale (ITF), comme celui de la 371e joueuse mondiale géorgienne Sofia Shapatava, ont eu de l’écho ces derniers jours. L’idée de créer un fonds alimenté par les deniers du Masters a même été évoqué. Mais ces initiatives éparpillées aboutiront-elles vraiment dans un sport à la gouvernance si éclatée ?

Les instances et le "Big 3" seront-ils au rendez-vous ?

Avec les annulations successives de tournois, en attendant peut-être celle du reste de la saison, il y a pourtant urgence à faire preuve d’entraide. La Fédération britannique (LTA) a d'ailleurs montré l'exemple vendredi en annonçant investir 20 millions de livres (22,6 millions d'euros) dans son tennis et accorder des subventions à ses joueuses et joueurs mal classés (entre la 101e et la 750e place mondiales à l'ATP ou à la WTA).
"C’est triste à dire, mais il n’y a pas meilleur timing pour qu’il y ait un rapprochement entre toutes les instances. J’espère qu’elles se parlent en ce moment, pour que tout le monde prenne conscience de ça. Tout le monde va devoir faire un effort dans la mesure du raisonnable et du possible. Certains feront des efforts beaucoup plus facilement parce qu’ils n’ont pas besoin nécessairement de rentrées", estime Paul-Henri Mathieu.
Déjà actifs pour soutenir financièrement leurs compatriotes face à la pandémie, Federer, Nadal et Djokovic ont forcément un rôle à jouer dans ce contexte aussi gravissime pour le tennis de haut niveau. Leurs voix et leurs actions pour protéger le sport qui leur a tant donné seront particulièrement scrutées. Pourraient-ils servir de médiateurs de luxe entre des instances qui ont tant de mal à communiquer ? "Federer, Nadal et Djokovic ont une aura qui dépasse le cadre de notre sport. Forcément, leur parole compte plus que d’autres. J’espère qu’ils peuvent aussi initier quelque chose de leur côté", conclut notre consultant. Tous trois désormais membres du Conseil des joueurs, ils seraient bien inspirés d'accorder leurs violons et user de leur influence pour que l'expression "famille du tennis" prenne (enfin) tout son sens.
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Federer - Nadal - Djokovic

Crédit: Getty Images

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