Jannik Sinner le survole, mais le niveau du Top 10 a-t-il chuté ?
Publié 31/01/2025 à 00:03 GMT+1
En conservant son titre à l'Open d'Australie avec la manière, Jannik Sinner a montré à quel point il dominait son sujet et le circuit en ce moment. Si le niveau de l'Italien impressionne, celui de la concurrence interroge. Et à ce titre, l'évaluation de l'actuel Top 10 est intéressante. Peut-on objectivement le considérer plus faible qu'il y a une décennie ou est-ce une question de perception ?
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Sa mainmise sur le tennis mondial est incontestable. Non seulement Jannik Sinner vient de s'adjuger son troisième titre en Grand Chelem à l'Open d'Australie, et le deuxième consécutif, mais il compte 3695 points d'avance sur son dauphin Alexander Zverev au classement ATP. Un gouffre. La manière dont il s'est imposé, son aisance à traverser un tableau certes clément rappelle celle des trois monstres du circuit dont l'ère s'achève. Mais ne profite-t-il pas aussi d'un creux ? De ce que les amateurs de tennis aiment qualifier parfois de "weak era" (époque faible, littéralement en français) ?
Pour tenter de répondre à cette question, évaluer la densité du très haut niveau et donc celle du Top 10 - Sinner restant sur 22 sets gagnés d'affilée contre ses membres, un record - issu de cet Open d'Australie semble être une bonne piste. Mais comment s'y prendre ? D'abord en remontant dans le temps pour effectuer des comparaisons à intervalles réguliers. Proposons-nous donc de nous remettre en mémoire la composition de cette élite il y a 5, 10 et 15 ans à la sortie du premier Majeur de l'année et de comparer leur palmarès aux quatre dates choisies (tableau ci-dessous).
| Rang | 27/01/2025 | 03/02/2020 | 02/02/2015 | 01/02/2010 |
| 1. | Sinner (3 GC) | Djokovic (17 GC) | Djokovic (8 GC) | Federer (16 GC) |
| 2. | Zverev (3 finales) | Nadal (19 GC) | Federer (17 GC) | Djokovic (1 GC) |
| 3. | Alcaraz (4 GC) | Federer (20 GC) | Nadal (14 GC) | Murray (2 finales) |
| 4. | Fritz (1 finale) | Thiem (3 finales) | Murray (2 GC) | Nadal (6 GC) |
| 5. | Ruud (3 finales) | Medvedev (1 finale) | Nishikori (1 finale) | Del Potro (1 GC) |
| 6. | Djokovic (24 GC) | Tsitsipas (1 demie) | Raonic (1 demie) | Davydenko (4 demies) |
| 7. | Medvedev (1 GC) | Zverev (1 demie) | Berdych (1 finale) | Roddick (1 GC) |
| 8. | De Minaur (5 quarts) | Berrettini (1 demie) | Cilic (1 GC) | Soderling (1 finale) |
| 9. | Paul (1 demie) | Monfils (2 demies) | Wawrinka (1GC) | Tsonga (1 finale) |
| 10. | Rublev (10 quarts) | Goffin (3 quarts) | Ferrer (1 finale) | Cilic (1 demie) |
Une densité moins forte due à l'effacement progressif du "Big 3"
Statistiquement, plusieurs constats peuvent être réalisés de prime abord. Le Top 10 actuel n'est pas celui qui compte le moins de titres en Grand Chelem : 32 contre 25 en 2010, même si Novak Djokovic avec 24 sacres déforme la perspective. Ensuite, quatre des dix meilleurs joueurs actuels ont conquis au moins un Majeur (Djokovic, Alcaraz, Sinner et Medvedev), ils étaient six en 2015 et cinq en 2010, ce qui tend à montrer que la concurrence était plus intense.
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Mais il y a cinq ans, le "Big 3" monopolisait les Grands Chelems (56 en tout !). Est-ce à dire que la répartition est meilleure de nos jours ? Dans les chiffres, oui, mais Dominic Thiem (US Open 2020) et Daniil Medvedev (US Open 2021) allaient bientôt conquérir le Graal donc, là encore, l'analyse est en quelque sorte faussée.
Un autre élément objectif se détache : celui des meilleurs résultats les plus modestes des membres de ces différents Tops 10. Cette semaine, deux joueurs parmi les dix n'ont jamais dépassé les quarts en Grand Chelem (Andrey Rublev et Alex de Minaur). Il n'y en avait qu'un dans ce cas il y a cinq ans (David Goffin) et aucun il y a 10 ou 15 ans. De ce point de vue, le Top 10 issu de l'Open d'Australie 2025 apparaît moins dense que ces prédécesseurs.
Mais il serait réducteur d'estimer la valeur d'une élite tennistique seulement par le prisme du palmarès. D'autres facteurs entrent en ligne de compte, comme la qualité des confrontations et les émotions générées. De ce point de vue, le niveau de jeu, les duels et la course aux Grands Chelems entre Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic ont monopolisé l'intérêt du public et ont assuré cette dose de frissons dont la seconde semaine a cruellement manqué à Melbourne.
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Physiquement plus fort mais techniquement déficient
La fin de cette ère ouvre inévitablement une période de transition, même si Jannik Sinner et Carlos Alcaraz ont bien des atouts pour combler ce vide. "La rivalité entre les trois ou les quatre a duré tellement longtemps, avec de tels caractères, qu'ils se sont poussés et ont fait progresser le tennis plus vite que peut-être à une autre époque. C'est toujours très compliqué de comparer les époques, parce que le matériel a évolué, les cordages ont amené d'autres choses, des progrès ont été faits dans plein de secteurs. Si on juge une saison, je dirais que ça dépend des moments, des rivalités, des époques. Mais ça a évolué intrinsèquement : ça a progressé physiquement avec des athlètes de 36-37 ans capables d'évoluer à ce niveau", fait remarquer Arnaud Clément, consultant pour Eurosport.
L'avis est assez unanime sur le circuit, surtout chez ceux qui arrivent dans la dernière partie de leur carrière et ont vécu l'évolution récente du tennis : les joueurs sont plus solides et forts physiquement, ils frappent plus fort et ont moins de faiblesses, du moins en fond de court. Reste alors la dimension technique pure. Et de ce point de vue, certains membres du Top 10 actuel semblent plus déficients, notamment dans le petit jeu. Le manque de solutions d'un Taylor Fritz, pourtant numéro 4 mondial et finaliste sortant de l'US Open, face à Gaël Monfils et ses 38 ans était particulièrement flagrant par exemple.
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Avec l'uniformisation des surfaces, le tennis qui gagne est moins varié
"Je pense que l'uniformisation des surfaces y est pour beaucoup. Un gazon, des durs et même des indoors plus lents, cela fait que le tennis qu'on a besoin de pratiquer pour gagner est moins varié. Ça laisse un petit peu moins de place à certains gabarits aujourd'hui. Quand on voit à quel point les types de près de deux mètres sont capables de bouger et de défendre… ça n'existait pas à mon époque. Quand tu les retournais, tu avais fait 80 % du boulot, ce n'est pas le cas avec les Zverev et Medvedev", observe encore Arnaud Clément.
La baisse de qualité des balles et leur poids est un autre élément à inclure dans cette équation où la puissance prend une importance démesurée par rapport à la finesse technique. Le Top 10 actuel enthousiasme sans doute moins pour deux raisons principales : il succède à une époque tronquée par un Big 3 qui a banalisé l'exceptionnel d'une part, et il est le produit de conditions qui favorisent l'uniformisation des styles de jeux. Sauf exception ou joueur génial du type Alcaraz, on a donc le tennis qu'on mérite.
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