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Roger Federer, l'éternité et douze mois

Laurent Vergne

Mis à jour 29/01/2018 à 10:01 GMT+1

OPEN D'AUSTRALIE – De janvier 2017 à janvier 2018, Roger Federer a ajouté trois couronnes majeures de plus à son palmarès, écrivant une des pages les plus insaisissables de son ahurissante carrière. A bientôt 37 ans, il continue de sidérer.

Roger Federer, acte 20.

Crédit: Getty Images

Roger Federer n'avait même pas besoin de ça. Il aurait pu décider de tout plaquer à l'été 2016, quand son dos, grinçant comme la porte d'un vieux manoir, ne lui laissait plus d'autre choix que de s'éloigner des courts. Ou dès 2013, quand, enchainant une sortie de route dès le deuxième tour de Wimbledon et une piteuse élimination en huitièmes à l'US Open (on ne l'a jamais senti aussi abattu et navré par sa propre performance qu'à sa sortie du court le jour de sa défaite face à Robredo), il semblait avoir touché le fond. A l'époque, beaucoup lui suggéraient d'ailleurs d'arrêter les frais.
Le dernier chapitre de ses grandes conquêtes aurait donc pu s'arrêter là où tout avait commencé, à Wimbledon, en 2012, date de son 17e et, longtemps, dernier titre en Grand Chelem. Même avec ce point final-là, son empreinte sur l'histoire de son sport aurait été incomparable, tant pour ce qu'il nous aurait laissé que pour ce qu'il aurait emporté avec lui. Il détenait déjà sa part d'éternité. Mais telle une rock star, il est en train de ponctuer son inoubliable concert d'un rappel en passe de devenir le clou du spectacle.
La façon dont il a soufflé sur les braises de son feu sacré au cours des douze derniers mois a quelque chose d'unique. Je l'écris d'autant plus tranquillement que jamais je n'aurais imaginé que tout ceci puisse exister. Passé ses déboires de l'été 2013, j'ai toujours été convaincu que Federer pouvait regagner un titre du Grand Chelem. "Pouvait", pas forcément "allait". Mais les "il vient de laisser passer sa dernière chance", lus et entendus à de multiples reprises pendant quatre ans, m'agaçaient un peu.

La part de l'inimaginable

Il y eut la dernière chance à Wimbledon en 2014, quand Djokovic le fit plier en cinq sets en finale. Puis une nouvelle dernière chance un an plus tard, même endroit, même bourreau. Et encore une après la finale perdue à Flushing en 2015. Et une dernière, dernière, dernière chance quand il avait buté sur Raonic en demi-finale à Wimbledon en 2016. Absurde, car Federer est constamment resté un client. Sur une quinzaine, avec un petit coup de pouce du destin, un tableau un peu plus ouvert, le coup restait jouable. Il pouvait encore être ça, un homme de coups. Un truc de son âge, en somme.
En revanche, il me semblait totalement irréaliste d'envisager que puisse s'ouvrir une nouvelle période de domination du Bâlois. Car c'est bien ce à quoi nous assistons depuis un an. Pas une domination unilatérale, davantage un partage du pouvoir avec son vieux compère Nadal, mais néanmoins sa période la plus faste depuis 2009-2010. Et cela, à 35 ans passés, c'était I-NI-MA-GI-NA-BLE. Même lui n'aurait pas osé y croire. Comme il l'a soufflé à Jim Courier après sa victoire sur Hyeon Chung vendredi, "si tu m'avais dit quand je suis arrivé à Melbourne il y a un an que je serais en mesure de gagner trois tournois du Grand Chelem, je t'aurais dit 'elle est bien bonne, celle-là'". Je n'aurais pas dit mieux.
Bien sûr, il a bénéficié de certaines circonstances favorables, la plus marquante s'inscrivant dans le coude de Novak Djokovic et la hanche d'Andy Murray. Son retour (et celui de Nadal) a coïncidé avec les malheurs du Serbe et du Britannique qui, fin 2016, surclassaient la concurrence. Mais tous deux étaient là à Melbourne en janvier 2017, quand Federer et Nadal ont repris le contrôle des opérations. Puis, la roue tourne. Le Suisse et plus encore l'Espagnol ont payé leur tribut. Réduire la récente épopée federienne à une simple affaire de circonstances, c'est passer à côté de l'essentiel.

Une parenthèse enchantée toujours à refermer

L'essentiel, c'est cette absence de lassitude qui permet à un champion qui a déjà tout gagné, et depuis si longtemps, d'avoir toujours aussi soif de jeu, peut-être plus encore que de victoires. Chacun peut piocher dans l'exceptionnelle carrière de Federer ce qui lui semble le plus frappant. Pour ma part, c'est peut-être sa longévité. De 2003 à 2018, quinze années de présence permanente au plus haut niveau, au sommet de l'Etat tennistique ou, en tout cas, jamais éloigné des hautes sphères du pouvoir.
Son esprit de conquête ne s'est jamais consumé dans la victoire. C'est si rare. Même Novak Djokovic, qui a semblé hermétique à toute forme de burnout des années durant, a fini par avoir la cocotte-minute qui siffle une fois libéré de son obsessions parisiennes. La fraicheur mentale de Federer est telle que, si son corps le lui permettait, il jouerait peut-être jusqu'à 50 ans. Bien sûr, il y a tout le reste. Son physique, son professionnalisme, son jeu, qu'il a su faire encore évoluer la trentaine passée. Mais le cœur du secret, c'est cette envie intarissable.
Voilà comment Roger Federer a été capable de remporter trois titres du Grand Chelem à plus de 35 ans. A l'heure de l'effarant bilan, ce chapitre-là tiendra une place à part. Peut-être pas au-dessus de sa folle cavalcade de 2004-2007, quand il avait claqué trois Petits Chelems en quatre saisons et aligné dix finales de Grand Chelem de suite. Mais pas loin. A 30 ans, il avait déjà tous les records, ou presque. Mais ces douze derniers mois viennent d'ajouter une part de légende supplémentaire à son éternité. Comme une parenthèse enchantée. Parenthèse en suspens. Nous savons où et quand elle s'est ouverte, mais Federer continue d'écrire, sans qu'il sache, et nous avec, quand il la refermera.
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