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L'Australie, terre de surprises ? Ce n'est pas (ou plus) ce que disent les chiffres

Rémi Bourrières

Mis à jour 12/02/2021 à 09:13 GMT+1

OPEN D'AUSTRALIE 2021 - Malgré le contexte très particulier, tous les favoris ont passé sans trop d'encombres les deux premiers tours decette édition 2021. Un Grand Chelem dont la réputation d'être le plus grand générateur de surprises n'est pas ou plus du tout justifié depuis plusieurs années. Et ce, pour diverses raisons.

Slide Melbourne 2008 Jo-Wilfried Tsonga

Crédit: AFP

Des dates inhabituelles, une préparation pour le moins perturbée au lendemain d'une saison tronquée, un contexte surréaliste de pandémie... Toutes les conditions étaient réunies pour penser que cet Open d'Australie allait favoriser les surprises à foison, voire les coups de folie dans tous les sens. Force est de constater que pour l'instant, il n'en est rien.
Evidemment, on va attendre la fin du film avant de se faire une opinion définitive mais à l'issue du 2e tour, même si certains ont peiné (comme Djokovic) voire tremblé (comme Tsitsipas) ou souffert physiquement (comme Nadal, touché au dos), tous les favoris sont encore là et bien là. C'est vrai, il y a eu un peu de grabuge dans le tableau féminin, avec les sorties de route prématurées de la tenante du titre Sofia Kenin (tête de série n°4), de Bianca Andreescu (n°8), de Petra Kvitova (n°9) ou de Victoria Azarenka (n°12). Mais soyons honnêtes, chez les filles, cela fait un moment que ce genre de remue-ménage est devenue la norme.
Chez les garçons en revanche, pas un joueur du top 10 n'a encore pris la porte et la grande majorité des têtes de série est encore solidement accroché à son poste, à l'exception notable de Gaël Monfils (11e mais tête de série n°10), de David Goffin (n°13) ou de Stan Wawrinka (n°17), dont les éliminations ont fait passer un vent de frémissement sans constituer non plus un immense bouleversement, compte-tenu de leur situation personnelle ou de la valeur de leur adversaire. En gros, la révolution attendue attendra. Au moins le prochain tour.
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Le tennis français en a profité

Cette absence de surprises est d'autant plus... surprenante, finalement, que l'Open d'Australie traîne toujours derrière lui cette réputation plus ou moins justifiée – on va le voir – d'être le Grand Chelem le plus riche en la matière. Un vieil héritage probablement des années où il était clairement à la traîne par rapport aux autres tournois majeurs et où il pouvait générer des sensations presque aberrantes comme le succès en 1976 de Mark Edmonson, le vainqueur en Grand Chelem le plus mal classé de l'histoire (212e), ou adouber d'autres vainqueurs un peu improbables comme l'Américain Brian Teacher en 1980 ou le Sud-Africain – devenu Américain - Johan Kriek les deux années suivantes.
A partir du moment où il a changé de lieu (de Kooyong à Melbourne Park) et de surface (du gazon au dur) en 1988, l'Open d'Australie a quand même sérieusement remis de l'ordre dans la maison. D'ailleurs, on note que la tête de série n°1 s'y est imposée 14 fois depuis, ce qui est autant sinon plus qu'ailleurs (14 également à Wimbledon, neuf à l'US Open et sept à Roland-Garros).
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Mais sa réputation de tournoi sens dessus dessous a perduré - et pas seulement pour une question d'hémisphère -, entretenue notamment via le couronnement de champions inattendus comme Petr Korda en 1998 ou Thomas Johansson en 2002, et l'avènement d'une kyrielle de finalistes pas plus attendus à pareille fête, du moins sur le moment. Ce dont a d'ailleurs profité le tennis français puisque Arnaud Clément en 2001 et Jo-Wilfried Tsonga en 2008 en ont fait partie, comme Rainer Schuettler en 2003 ou Marcos Baghdatis en 2006. Pour ne citer qu'eux.
Pourtant, la partie émergée de l'iceberg ne dit pas tout de ce qu'il se passe sous la surface de l'eau. Si l'on analyse le tournoi dans sa globalité et pas seulement par le prisme de ses vainqueurs ou finalistes, l'Open d'Australie a sérieusement réduit la voilure en termes de surprises. D'après la banque de données du site Ultimate Tennis Statistics, il est même, depuis cette année 1988 (et chez les hommes toujours), le tournoi du Grand Chelem qui a généré le moins de victoires en "perfs", c'est-à-dire de victoires face à des joueurs mieux classés : 1 187 au total (hors édition 2021), contre 1 270 à Roland-Garros, 1 263 à Wimbledon et 1 231 à l'US Open. Voilà qui nous en bouche un coin.
Du temps où je jouais, il y avait toujours un mec inattendu
Après, cette notion de " perf' " est aussi très relative, voire parfois trompeuse. Par exemple, quand Nick Kyrgios, 47e mondial, bat Ugo Humbert (tête de série n°29), ce sera comptabilisé comme une "perf'" alors que, convenons-en, ça n'est pas non plus la surprise du siècle. " Pour juger du potentiel d'un tournoi à générer des surprises, il faut plutôt regarder à partir des quarts ou des demi-finalistes, estime Arnaud Clément qui est justement, dans l'ère Open, le recordman français des joueurs ayant enregistré le plus de "perfs" en Grand Chelem (27 en tout dont 10 à l'US Open, son record). Du temps où je jouais, il y avait toujours un mec inattendu qui arrivait à se glisser à ce stade. A chaque fois que le tournoi arrivait, on se disait : 'Bon, qui va être la surprise cette année ?' A l'époque, l'Open d'Australie était encore le moins prestigieux des tournois du Grand Chelem, avec aussi un prize-money nettement inférieur aux autres. Ensuite, cela s'est estompé au fil des années et aujourd'hui, ce n'est plus du tout le cas. "
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Si l'on analyse, suivant les conseils du consultant d'Eurosport, les joueurs non tête de série qui se sont hissés en quart de finale (ou mieux) depuis 1988, on s'aperçoit qu'il y en a eu effectivement plus à l'Open d'Australie (58) qu'à Roland-Garros et l'US Open (52). Mais pas davantage qu'à Wimbledon (58 également) où l'ultra-spécificité de la surface, du moins jusqu'au début des années 2000, a complexifié l'équation. Ensuite, parmi ces 58 joueurs, 18 ont poussé la chansonnette jusqu'en demi-finales (les deux derniers étant Edmund et Chung en 2018), un chiffre pour le coup supérieur à celui de Wimbledon (15) et de l'US Open (13), mais pas de Roland-Garros (18 également).
Puis, à Melbourne, quatre ont poursuivi leur route jusqu'en finale (le dernier étant Tsonga en 2008), ce qui est plus qu'à l'US Open (3), égal à Wimbledon, et inférieur à Roland-Garros (6), où l'on en a vu d'autres en termes d'épopées improbables, comme celle de Martin Verkerk en 2003 ou de Mariano Puerta en 2005. Et enfin, toujours depuis 1988, aucun joueur non tête de série ne s'est imposé à l'Open d'Australie, contrairement aux trois autres tournois majeurs qui, dans cet intervalle, ont sacré Andre Agassi (US Open 1994), Goran Ivanisevic (Wimbledon 2001), Gustavo Kuerten (Roland-Garros 1997) et Gaston Gaudio (Roland-Garros 2004).
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Le facteur des 32 têtes de série

Alors évidemment, même en les examinant sous tous les coutures, il faudra toujours pondérer ces chiffres ou les accompagner d'un "mais". Sachant aussi que la surface joue un grand rôle là-dedans. Ainsi, une non tête de série spécialiste du jeu sur herbe peut (ou pouvait) très bien se frayer une place à Londres sans que ce soit considéré comme une énorme surprise. Et idem pour les terriens à Roland-Garros.
A Melbourne en revanche, comme à l'US Open, on joue sur dur, une surface plus "neutre", qui favorise moins radicalement un joueur par rapport à un autre. Surtout aujourd'hui, où l'homogénéisation des styles de jeu – lui-même entraîné, il est vrai, par l'homogénéisation des surfaces – fait que tout le monde sait parfaitement s'y exprimer. "C'est encore plus vrai depuis qu'il ontremplacé l'ancien Rebound Ace (en 2008, NDLR), qui avait la particularité de devenir caoutchouteux sous la chaleur, ce qui accélérait encore plus les conditions", comme le fait remarquer Nicolas Escudé, demi-finaliste à Melbourne en 1998... sans être tête de série.
Pour cet autre consultant d'Eurosport, lui aussi grand spécialiste des surprises australiennes puisqu'il est le recordman français du nombre de "perfs" réussies à Melbourne (7), à égalité avec Fabrice Santoro, un grand tournant s'est opéré au passage du XXIe siècle via la conjonction de deux phénomènes (quasiment) concomitants : le passage de 16 à 32 têtes de série en 2001, un an après la création de la Race en 2000. "Avant, beaucoup de joueurs parmi les meilleurs ne jouaient pas de tournoi avant l'Open d'Australie, hormis l'exhibition de Kooyong. La création de la Race a constitué une motivation supplémentaire à jouer au moins un tournoi avant, parce que c'est gratifiant pour l'ego de pouvoir se retrouver n°1 mondial. Et ça peut permettre aussi de lancer une saison."

La loi du Big Four, à Melbourne comme ailleurs

Comme Arnaud Clément, "Scud" avait lui aussi ce sentiment, à son époque, qu'il y avait un coup à jouer plus important à Melbourne qu'ailleurs. "L'approche de l'Open d'Australie était particulière, encore plus pour nous Français parce que c'était très agréable d'aller là-bas, en plein cœur de l'hiver parisien. C'était l'un des premiers tournois de l'année, à un moment où tout le monde n'avait donc pas suffisamment de tennis derrière soi pour être prêt, alors on se disait : 'Il y a peut-être quelque chose à faire.' " Et d'ailleurs, ils l'ont fait.
Mais il semble que ce champ des possibles, ou plutôt de l'impossible, offert à tous les participants du tournoi du bout du monde appartienne bel et bien au passé. D'ailleurs, depuis 2001 et ce fameux passage aux 32 têtes de série, l'Open d'Australie n'est plus le Grand Chelem qui a généré le plus grand nombre de joueurs non tête de série quart de finalistes : il est devancé par Wimbledon (23 contre 22) qui, rappelons-le, compte une édition en moins puisque celle de 2020 a été annulée pour les raisons que l'on sait.
Sur la dernière décennie (2011-2020), l'Open d'Australie reste certes le seul Grand Chelem qui a généré plusieurs demi-finalistes "non numérotés" : c'était donc Chung et Edmund, lors d'une édition 2018 très particulière puisque marquée par la méforme du maître des lieux, Novak Djokovic, qui a phagocyté une grande partie des titres durant ces dix ans. Mais aussi par celle d'Andy Murray, son "habituelle" victime en finale, et par la blessure de Rafael Nadal, qui avait abandonné en quarts. Une édition marquée, au bout du compte, par la victoire de Roger Federer.
Sinon, au complet et en pleine possession de ses moyens, le Big Four, depuis presque 15 ans, aura douché les espoirs de bon nombre d'éventuels prétendants aux derniers accessits. Quelle que soit la ville, quelle que soit la surface, quel que soit le contexte, ces quatre-là, plus que n'importe qui ou n'importe quoi, auront contribué à réduire la notion de surprises à sa portion la plus congrue. Et ce, à Melbourne comme ailleurs.
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