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Pour Nick Kyrgios, Novak Djokovic aurait détruit Pete Sampras mais peut-on vraiment comparer les époques ?

Maxime Battistella

Mis à jour 14/12/2023 à 17:08 GMT+1

En estimant que Novak Djokovic aurait "détruit" Pete Sampras s'ils avaient pu s'affronter, Nick Kyrgios a réveillé un débat passionnant : celui de la comparaison des meilleurs joueurs de tennis à travers le temps. L'Australien avance des arguments intéressants et révélateurs de l'impact du "Big 3" dans les esprits, quitte à faire fi des conditions qui ont favorisé la création de ces monstres.

Visuel Sampras-Djokovic en 2023

Crédit: Getty Images

Rod Laver face à Roger Federer, Björn Borg contre Rafael Nadal ou encore Pete Sampras opposé à Novak Djokovic : quel passionné de tennis n'a jamais fantasmé sur ces duels impossibles ? C'est le propre d'un sport à l'Histoire déjà (très) riche et qui magnifie les légendes qui l'ont forgé. Cette semaine, Nick Kyrgios a remis une pièce dans la machine à rêves en évoquant un hypothétique duel entre "Pistol Pete" et l'actuel incontestable roi du circuit. Avec un avis aussi implacable que tranchant : selon lui, le premier n'aurait pas existé face au second.
On le sait, l'Australien n'a pas sa langue dans sa poche et n'a peur ni de dire ce qu'il pense, ni de susciter la polémique, ni de froisser les egos. Mais il est difficile de lui reprocher de ne pas développer ses idées. Dans ce cas précis, il expose deux arguments principaux : la vitesse accrue du jeu de nos jours – les meilleurs canonniers servant à 220 km/h en moyenne d'après lui, contre 200 pour Sampras – et la qualité exceptionnelle de la relance d'un Djokovic. Pour illustrer ce déséquilibre des forces, Kyrgios prend pour référence la finale de l'US Open 2001 ultra-dominée par son compatriote Lleyton Hewitt (7-6, 6-1, 6-1), dont les qualités de retourneur se rapprochent de celles du Serbe sans les égaler.
Personne n'est capable actuellement de servir comme Sampras
Le discours se tient. Mais il peut être remis en cause. Et notre consultant Arnaud Clément, qui a joué contre la génération Sampras-Agassi puis celle des Federer, Nadal et Djokovic, est bien placé pour s'atteler à la tâche. "On ne chronomètre pas du tout de la même manière qu'à l'époque. On ne servait pas à 200 alors et à 220 aujourd'hui, c'est faux. On perdait systématiquement 15 km/h quand on servait à l'extérieur par rapport au T. Les joueurs servent sûrement un peu plus fort de nos jours, mais il n'y a pas 20 km/h d'écart", fait-il d'abord remarquer.
Et d'ajouter : "Mais Kyrgios est assez bien placé pour savoir que le service, ce n'est pas simplement la vitesse. Et actuellement, aucun joueur du circuit n'est capable de servir comme Sampras servait, c'est-à-dire toutes ses secondes balles à 185-190 km/h qu'il mettait sur la ligne quand il fallait le faire. Il était capable de faire des aces sur seconde au meilleur retourneur de l'époque Andre Agassi. Il pouvait enchaîner service-volée systématiquement comme personne ne pourrait le faire désormais."
L'ancien capitaine des Bleus n'est pas un grand fan de la comparaison entre les époques et du tennis-fiction, mais quitte à se prendre au jeu, pas de doute pour lui : Sampras est le meilleur serveur de tous les temps. Et face au meilleur relanceur de tous les temps, le duel a de quoi intriguer, les deux hommes en avaient d'ailleurs convenu lors d'un dialogue à l'occasion des 50 ans du Masters en 2020 (vidéo ci-dessus). Encore faut-il en préciser les conditions. Sur terre battue, il y a fort à parier qu'il n'y aurait effectivement pas eu photo entre le Serbe, trois fois vainqueur de Roland-Garros, et le Californien, demi-finaliste au mieux sur une surface qu'il abhorrait et où il était incapable de glisser correctement.

L'évolution des surfaces et du matériel biaisent le rapport de force

Mais sur d'autres terrains, "Pistol Pete" aurait sans doute eu son mot à dire. Surtout sur le gazon traditionnel de Wimbledon et les "moquettes" en indoor ultra-rapides des années 1990. Et c'est tout le paradoxe de l'argumentaire de Kyrgios qui évoque la "lenteur" présumée du tennis d'il y a 30 ans – égratignant au passage Boris Becker qui ne s'est pas privé de lui répondre sur les réseaux sociaux – en ne mentionnant que la vitesse au service. Or avec le ralentissement des surfaces, le jeu a changé de nature et a naturellement accouché d'une génération plus solide en fond de court, mais moins adroite au filet.
A ceci s'ajoute l'évolution du matériel, bien évidemment. "Avec Sampras, on parle quand même de l'ère moderne du tennis, pas des raquettes en bois. Mais à cette époque, on jouait avec un cordage en boyau, avant l'arrivée du monofilament, note Arnaud Clément. Est-ce que Djokovic aurait battu Sampras ? Oui. Est-ce que Sampras aurait battu Djokovic ? Oui, aussi. Djokovic aurait peut-être été meilleur, mais c'est dur à évaluer. Ce ne sont pas les mêmes trajectoires, ce n'est pas la même facilité à garder la balle dans le court. Avec du boyau, la balle sort beaucoup plus facilement de la raquette mais est beaucoup plus difficile à maîtriser. C'est la dernière révolution matérielle, le cordage. Le tennis a basculé dans une autre dimension au niveau du lift, la marge d'erreur est supérieure en termes de centrage."
Si les lacunes en revers de Sampras étaient particulièrement criantes plus les échanges duraient, il serait aussi bon de se remémorer sa finesse et sa dextérité exceptionnelle avec un tout petit tamis dans des conditions ultra-rapides où le temps de réaction était plus limité. Combien de prouesses a-t-il réalisées au filet, en détente verticale au smash (les fameux "slam dunks"), en demi-volées, ou encore en passings en bout de course côté coup droit ? En termes d'endurance physique, Djokovic l'aurait certainement surpassé, mais techniquement, le déséquilibre semble moins évident.

Une époque chasse l'autre, parfois injustement

Le Serbe aurait incontestablement eu les armes pour gifler encore plus sévèrement l'Américain en 2001 que ne l'a fait Hewitt à Flushing Meadows. Mais "Pistol Pete" était alors sur le déclin, refusant d'ailleurs de changer sa vieille raquette. En 1995 toujours à New York ou en 1999 à Wimbledon, quand Sampras, au sommet de son art, avait majestueusement donné la leçon à Agassi en finale, rien ne dit qu'il n'aurait pas aussi trouvé la solution contre Djokovic.
Et Clément de conclure un débat aussi passionnant qu'insoluble. "Et est-ce que Sampras ne se serait pas adapté s'il avait joué sur des surfaces plus lentes dès le départ ? On peut penser que si : ce n'était pas qu'un serveur, il ne faut pas oublier quel joueur c'était. A part sa carence sur terre battue, il était monstrueux partout ailleurs. Et il y avait de la concurrence quand même : les Agassi, les Kafelnikov, les Becker… C'est sûr que si on compare tout au Big 3, c'est différent. Et oui, ils ont tous battu son record en Grand Chelem, mais il ne faut pas oublier de qui on parle. On oublie ces rivalités parce qu'elles ont duré moins longtemps. Les titres étaient plus partagés, mais ça jouait pas mal quand même à l'époque."
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