Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

"Bal des faux-culs", "chape de plomb", "horreur" : Leconte raconte sa finale 1988

Laurent Vergne

Mis à jour 05/06/2018 à 11:15 GMT+2

C'est l'histoire du dernier joueur français à avoir joué une finale à Roland-Garros. Trente ans déjà. Si les Tricolores ont, depuis, disputé des finales à Wimbledon, à l'US Open ou en Australie, ils n'ont plus jamais atteint le dernier dimanche à Paris. Henri Leconte revient sur cette édition 1988 où il aura tout connu, l'ivresse des sommets et la chute vertigineuse.

Hneri Leconte et Mats Wilander après la finale de Roland-Garros 1988.

Crédit: Getty Images

EPISODE IV - Le calvaire final

Ce sera sa seule finale de Grand Chelem. Mais de cet événement hors normes à l'échelle de sa carrière, Henri Leconte ne garde que des souvenirs pénibles. Avant. Pendant. Après. Passée la courte euphorie de sa victoire contre Jonas Svensson, le Français se trouve plongé dans une dimension où tout va lui échapper. Jusqu'alors, il maitrisait tout. A chaque nouveau défi, des chausse-trappes du premier tour à la demi-finale en passant par le choc avec Becker, il pouvait s'amarrer à des points de repères passés. Là, plus rien. C'est l'inconnue totale. Le saut dans le vide.
Pour être passé par là cinq années plus tôt, Yannick Noah aurait pu, peut-être, prodiguer des conseils précieux. Mais le contact est coupé. "Je n'ai pas eu Yannick, raconte-t-il. A aucun moment nous n'avons échangé. Après sa défaite, il est parti, on ne s'est pas croisé." Quand bien même il aurait encore été dans le coin, Noah n'aurait de toute façon pas eu envie de tuyauter son pote. Il l'avouera plus tard, il espérait secrètement que Leconte échoue face à Wilander, là où lui avait si bien réussi.
Conscient de cette fourberie, Leconte assure ne jamais en avoir voulu, même rétrospectivement, à son futur capitaine de Coupe Davis. "Il ne voulait pas que je gagne, et d'une certaine manière, c'est normal, estime-t-il. Il voulait rester le dernier vainqueur français. C'est humain. Je ne lui en veux pas du tout."

Le bal des faux-culs

Leconte est donc seul. Plus que jamais. "Une fois que je prends conscience que je suis en finale, le calvaire commence, l'horreur, avoue le Nordiste. Là, tu réalises. Tu te dis 'je suis en finale de Roland-Garros'. Tu es dans tous les journaux. A la télé, on te met la photo de ta licence quand tu étais gamin. Et tu comprends que tu vas jouer un match pour gagner un tournoi du Grand Chelem. Pour gagner Roland-Garros." La quasi-totalité de cette confession, Henri la livre à la deuxième personne du singulier. Pas à la troisième, en mode Alain Delon, mais à la deuxième, comme s'il s'adressait à lui-même par la voix d'un autre. Ce n'est pas "je" qui raconte. C'est "tu".
Il ne sait pas encore ce qu'il mesure parfaitement aujourd'hui, mais ces 48 heures seront les plus mal gérées de sa carrière. A l'époque, il habite à Neuilly-sur-Seine, avec son épouse, Brigitte. Leur appartement se transforme en défilé de personnalités qui ont toutes envie de partager ces moments-là avec le champion, quand il faudrait lui foutre la paix. Le jeune maire de la ville et futur président de la République, qui a marié le coupe Leconte, y prend notamment ses quartiers.
"Le bal des faux-culs commence autour de toi, dit-il, aigre-doux. C'est le miel avec les abeilles. Les rapetous sont là. Tu en as beaucoup, des rapetous... Tu rentres chez toi, tu veux être tranquille, et tu as douze personnes dans le salon. J'aurais dû gueuler, leur dire de se casser. Mais ce n'est pas toi qui gères le truc. Et puis j'étais faible, influençable." Le seul moment qu'il goûtera dans ce week-end sera son entrainement, au Racing, le samedi : "Les gens viennent te voir, te disent 'c'est super, tu peux battre Wilander comme Yannick.' Ça, tu arrives à gérer."

Il est seul, Riton

La France entière est derrière lui, les "people" en tous genres, les mêmes qui lui cracheront au visage dans 24 heures, lui cirent les pompes. Mais en réalité, il est seul, Riton. Seul avec cette "chape de plomb", comme il dit. Parce qu'il ne sait pas sur quoi s'appuyer. "Si j'avais pu jouer une autre finale de Grand Chelem, je n'aurais pas commis les mêmes erreurs. Mais là, je ne savais rien. Tu es pris dans un tourbillon, tout d'un coup, tu te fais manger par la pression." La nuit ne lui portera pas davantage conseil. "Tu dors mal, explique-t-il. Tu te dis 'et si je ne gagne pas ? Et si je n'y arrive pas ?' Tu te vois gagner, perdre, lever la coupe, prendre une déculottée, tout... " Bref, il réfléchit trop. C'est humain, mais ce n'est pas bon.
Arrive le dimanche 5 juin. Le grand jour. Henri Leconte n'en a rien oublié. Pas même la météo. "Le temps est gris, façon Hitchcock." Pour sa finale, on lui a sorti le grand jeu. Michel Sardou vient sur le central pour chanter la Marseillaise. Dans le ciel, la Patrouille de France défile. Un peu too much ? "Pourquoi, too much?, s'insurge-t-il. Je ne pense pas que c'était too much. Mais de toute façon, comme joueur, tu n'as rien à dire." Quand Sardou chante, Leconte est encore dans le vestiaire. "Seul avec Wilander. Là, tu te rends compte. Mats, lui, a beaucoup plus d'expérience. Il n'est pas chez lui. Il n'a pas la même pression."
En réalité, ce match n'a pas encore commencé qu'il l'a déjà perdu. "Mentalement, poursuit-il, tu es tellement cuit... Mais tu ne t'en rends pas encore compte. Puis est arrivé ce qui est arrivé..." Son entame sera pourtant prometteuse et, pendant trente-cinq minutes, le fol espoir sera plus vivace que jamais. "Je joue un tennis parfait au début, se souvient la plus belle patte gauche du tennis tricolore. Je prends beaucoup de risques. Mats, lui, a un peu de mal à rentrer dans la partie." Henri breake le premier, dès le troisième jeu. Wilander recolle mais, à 4-4, le Suédois perd à nouveau sa mise en jeu. Henri Leconte va servir pour le gain du premier set. Le Central est prêt à prendre feu. Ce sera la douche froide.

Le discours, ce moment surréaliste

Une heure et quart plus tard, la finale est terminée. Wilander a remporté quinze des dix-huit derniers jeux. Il aura suffi de ce jeu de service à 5-4 pour enterrer Leconte, qui avoue s'être "précipité" au moment de servir pour le set. Après, c'est le retour de la "chape de plomb". Les deux dernières manches s'apparentent à un calvaire. Le public, qui a compris que cette finale n'aurait ni la saveur ni le dénouement espéré, gronde, siffle. "Quelque chose de terrible s'abat sur moi. Tu n'as qu'une envie, c'est de partir. Le public attendait mieux que ça. Moi aussi d'ailleurs", souffle Leconte dans un demi-sourire.
Balayé en trois sets (7-5, 6-2, 6-1), il va alors transformer une défaite sportive en naufrage personnel. C'est le (trop) fameux discours. "Je n'avais rien préparé, ni en cas de victoire ni en cas de défaite, jure-t-il. Même si d'autres ont voulu penser à ma place, mais moi, je suis quelqu'un de vrai." Alors ça sort comme ça vient. Mais ça vient mal.
Installé dans la tribune, là où, à l'époque, se remet le trophée, il se noie. Lâche cette phrase qui va lui coller comme le sparadrap à la barbe du capitaine Haddock : "J'espère que vous avez un petit peu compris mon jeu..." Moment surréaliste. "Ce jour-là, personne n'a compris. Tu me diras, moi non plus", lance-t-il. Ceux qui l'aiment ont mal pour lui. Ceux qui ne l'aiment pas jubilent.
Je ne sais pas quoi faire, alors je fais n'importe quoi...
Pourquoi ces mots-là, si maladroits ? Il réfléchit, puis avance : "La peur, le fait de pouvoir donner une raison. J'avais l'impression de devoir me justifier". Avec le public, qui lui a tant donné pendant quinze jours, et inversement, la rupture est brutale, totale. "Tu souffres, tu ne comprends pas pourquoi le public a été si dur avec toi, regrette-t-il. Pourtant, j'en avais retourné des situations, mais je me suis senti abandonné."
Leconte répond ensuite à un spectateur qui lâche un ironique "on va pleurer...". Tout est raté dans ces 90 secondes, jusqu'à sa posture, avec la jambe gauche posée négligemment sur la rambarde. "Quand on voit comment je suis, j'ai la jambe comme ça (il mime)... Je suis un peu arrogant. Je ne sais pas quoi faire, alors je fais n'importe quoi."
Malgré la défaite, ce dernier moment de partage aurait dû être l'heure des remerciements respectifs. Oui, il avait pris une raclée. Mais c'était Wilander, un des princes de Roland-Garros, dans sa plus grande année, celle du Petit Chelem et de la quête de la place de numéro un mondial. Il n'y avait rien de honteux. En s'enfonçant de la sorte, Henri Leconte a presque fait passer au second plan son échec. On peut rater une finale. Il n'est ni le premier ni le dernier à échouer dans un tel contexte. Mais rater son après-finale, c'est plus rare. Une forme de suicide public.
Il ne le sait pas encore, mais le pire est à venir. Les mois qui suivent seront terribles. Rarement un sportif français aura dégusté à ce point. Il faudra trois ans et demi pour refermer la plaie. Il faudra une autre finale, de Coupe Davis cette fois, pour enterrer les démons de Riton.
A SUIVRE : EPISODE V - L'après finale, du lynchage à la rédemption
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité