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Corentin Moutet, hors de l'ordinaire

Laurent Vergne

Mis à jour 30/05/2018 à 16:49 GMT+2

ROLAND-GARROS 2018 - Corentin Moutet, 19 ans, avance pas à pas. Dans sa génération, il est ce que le tennis français a de plus prometteur à offrir. Si le joueur a un profil atypique dans le contexte actuel, loin du morphotype dominant, sa personnalité détonne tout autant. Deux éléments qui le rendent intéressant, voire intriguant.

Corentin Moutet.

Crédit: Getty Images

Corentin Moutet a entamé dimanche ce qui sera peut-être une longue relation avec Roland-Garros. Ou pas. Glorieux ou chaotique, personne ne prophétisera ici son avenir tennistique. Il sera ce qu'il en fera et il est bien trop tôt pour s'aventurer sur ce terrain-là. Mais il suscite la curiosité et attire l'attention. Si je devais choisir quelques mots pour le définir, ce serait, dans le désordre, doué, étonnant, atypique. Il y a quelque chose qui sort de l'ordinaire chez ce garçon de 19 ans, qui aime peut-être davantage la poésie que le tennis.
Si vous le suivez sur Twitter, vous avez sans doute vu passé ses citations de Baudelaire ou Rimbaud. Ses vraies idoles, plus que Nadal ou Federer. Il cite aussi Chaplin, évoque Brel. Parfois, moins mélancolique, il tweet comme le jeune homme de 19 ans qu'il est, comme après sa première victoire en Grand Chelem, dimanche, contre Ivo Karlovic : "La vie c'est fabuleux parfois".
A 19 ans, parce qu'il n'a pas l'intention de porter les ambitions ou les rêves que d'autres nourrissent par procuration, il déteste qu'on le qualifie de grand espoir du tennis français. Ce qu'il est pourtant malgré lui. Alors qu'un creux générationnel s'annonce, via le retrait de la génération Tsonga, qui a touché certaines limites mais dont les résultats d'ensemble seront sans doute regrettés d'ici peu, Corentin Moutet est un des rares à pouvoir pointer le bout du nez à moyen terme.

Composer avec lui-même comme avec les autres

A ce jour, il est un apprenti. Du tennis, d'abord. Du tennis de haut niveau, s'entend. Tous ses coups sont perfectibles. Mais la construction d'un champion, c'est celle d'un joueur et d'un homme. Moutet apprend donc à composer avec lui-même comme avec les autres. Il s'aimerait plus zen et moins impulsif sur le court, tente de mâtiner sa fougue d'une pointe de sagesse. Dimanche, ce fut sa grande fierté lors de sa victoire contre Karlovic. "Mais ce n'est pas parce que j'ai réussi à le faire là que je dois prendre ça pour acquis", dit-il, lucide.
Quant aux autres, nous, vous, il les découvre. Ce premier match à Roland-Garros lui a montré l'impact du rapport entre le public français et ses joueurs. Tout bénéfice pour l'instant. Il en a mesuré la force, pas encore les inconvénients. Jouer à domicile dans un Grand Chelem, ce sont des droits et des devoirs. Le droit d'être porté, atout considérable pour peu qu'on sache s'en accommoder et, mieux, le faire fructifier.
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Corentin Moutet

Crédit: Getty Images

Contre Karlovic, il a touché du doigt le pouvoir du public. Le côté lumineux de la force. Non qu'il ait été surpris, mais entre savoir que le public vous encouragera, et le vivre, il y a une marge. Dans sa soif d'apprendre, il voudrait matérialiser cette force. "Ce sont des moments rares, et des émotions profondes. Il faut les garder à l'esprit et les mémoriser", a-t-il expliqué. Intellectualiser l'émotion, toujours.
Mais il y a aussi le devoir de bien faire. Le devoir que l'on s'impose, sans l'aide de personne. Le jeune Francilien a effleuré cette contrainte l'an passé à Roland-Garros chez les juniors. De son propre aveu, il était passé à côté de son tournoi à cause du poids qu'il avait lui-même placé sur les épaules. Ou quand l'envie de bien faire devient l'envie de trop bien faire. Ça aussi, ça s'apprend, et sa difficile expérience de 2017 l'a aiguillé à l'heure de rentrer sur le court contre Karlovic. Il est sensible, mais il se soigne.

Le tennis comme une part de liberté

Si le bonhomme détonne un peu, le joueur ne répond pas forcément aux standards du tennis du XXIe siècle. Pas très haut perché (1,75m), guère costaud (67kg), il devra se battre avec d'autres armes que celles que l'on a coutume de voir sur le circuit de nos jours. Ce sera peut-être sa limite. Mais ce gaucher a une main magnifique, une faculté à prendre la balle très tôt et une subtilité dans le jeu susceptibles de compenser ses carences physiques.
On dit de lui qu'il aurait choisi le tennis comme il aurait pu s'orienter vers autre chose, parce qu'il était doué plus que par amour de ce jeu et qu'il y a trouvé la part de liberté dont il avait besoin. Ou encore qu'il a parfois un sale caractère. "Du caractère", corrige pour le défendre son entraîneur, Laurent Raymond, qui a succédé il y a deux ans à Thierry Tulasne, avec lequel le contact ne passait plus. En novembre dernier, alors que même le site de l'ATP n'avait pas modifié son staff sur sa fiche, il s'était agacé. Sur Twitter, encore.
Elève doué, personnage sortant un peu de l'ordinaire, il est à suivre de près. Mercredi, l'apprentissage se poursuit avec un deuxième tour contre David Goffin, membre du Top 10. La leçon risque de s'avérer un peu complexe à assimiler. Qu'il boive la tasse, s'accroche ou mieux si affinités, il ne faudra pas le juger à l'aune de ce match-là. On a plus envie de l'observer que de le juger. Et de Baudelaire à son revers, Corentin Moutet donne même envie de l'accompagner.
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