Roland-Garros 2023 | Karolina Muchova, peur de rien et rien à perdre en finale contre Iga Swiatek

C'est un ovni sur le circuit féminin. Le genre de joueuse sur laquelle personne ne veut tomber, tant elle est dangereuse. Karolina Muchova n'a jamais été dans le Top 10 mondial et elle n'avait atteint qu'une demi-finale en Grand Chelem à l'Open d'Australie en 2021 (ainsi que deux quarts à Wimbledon en 2019 et 2021) avant cette quinzaine. Elle ne pouvait donc pas être décemment rangée parmi les favorites du tournoi - elle n'avait jamais fait mieux qu'un 3e tour à Roland-Garros -, et pourtant, la retrouver en finale n'est pas la plus grande sensation de ces dernières années.

Contrairement à sa compatriote Barbora Krejcikova, sacrée il y a deux ans et que peu de gens avaient vu venir, ceux qui suivent attentivement le circuit WTA connaissaient la menace représentée par Muchova. Pour s'en persuader, une statistique est plus efficace que mille développements : en cinq duels face à des membres du Top 3, la Tchèque n'a jamais perdu. Jeudi en demi-finale Porte d'Auteuil, sa dernière victime fut donc Aryna Sabalenka, numéro 2 mondiale et meilleure joueuse depuis janvier.

Mais comment expliquer une telle réussite face aux meilleures ? "Je ne connaissais pas ce chiffre. Peut-être que mon jeu et mon fighting spirit font que je me débrouille bien dans ces matches. Ça montre que je peux jouer et rivaliser contre ces joueuses. Évidemment, les matches sont super serrés. Même aujourd'hui (jeudi, NDLR), j'avais une balle de match à sauver, on ne pouvait pas savoir si j'allais gagner ou perdre, mais c'est super d'être consciente d'avoir des chances de l'emporter contre des top joueuses. Et, bien sûr, ça me donne encore plus de confiance", a-t-elle expliqué en conférence de presse.

Cette capacité à jouer sans complexe à son meilleur niveau dans ces grands matches peut donc s'expliquer par son tennis atypique, varié, fait de slices de revers pour casser le rythme, de changements de rythme abrupts, de montées à contre-temps ou de services-volées inspirés. Un jeu presque d'un autre temps et si rare sur le circuit féminin qu'il déstabilise même les plus aguerries. Mais il y a aussi quelque chose à aller chercher du côté mental. Dans ces rencontres au couteau, Muchova parvient peut-être un peu plus que les autres à rester dans le moment présent.

"Lors de la balle de match contre moi, honnêtement je me concentrais uniquement sur le fait d'essayer de bien servir et ça a marché. Donc je ne me suis pas mis la pression en me disant que c'était une balle de match. C'était juste un autre point où je devais me concentrer au maximum. Ensuite, elle m'a donné l'opportunité de débreaker et je l'ai saisie. Et j'ai surfé sur la vague, je pouvais voir qu'elle était un petit peu en difficulté, qu'elle partait vite à la faute. J'ai juste essayé de lui maintenir la tête sous l'eau. J'essayais de jouer tous les points et de la mettre sous pression, de revenir dans la partie, de varier avec des slices et de ne pas lui donner de balles faciles", a-t-elle détaillé.

Face à Sabalenka comme face à ses autres victimes les plus prestigieuses – dont Maria Sakkari au 1er tour –, Muchova a aussi et surtout gagné la bataille de la gestion des émotions. Au lieu d'être affectée par les éléments extérieurs, elle sait se servir de ce qui peut l'aider. "Emotionnellement, j'ai eu besoin de crier un petit peu dans cette demi-finale. Mais j'essayais de rester globalement calme durant l'intégralité du match, de contrôler ça, a-t-elle encore expliqué. Mais oui, c'était fou. Je pouvais entendre les gens et ça m'aidait beaucoup."

Cette maîtrise d'elle-même, Muchova la doit peut-être à une certaine prise de recul. Car la Tchèque a traversé bien des épreuves ces dernières années. Eloignée des courts pendant sept mois de l'US Open 2021 (août) au WTA 1000 de Miami 2022 (mars) à cause d'une blessue aux abdominaux puis au dos, elle avait aussi quitté Roland-Garros l'an passé sur une chaise roulante après s'être tordu la cheville au 3e tour contre Amanda Anisimova. Résultat : elle était même retombée à la 235e place mondiale l'été dernier. De quoi relativiser.

"Il y a eu beaucoup de bas, d'une blessure à l'autre. Quand j'ai manqué l'Open d'Australie l'an passé, j'étais dans un assez mauvais état, je travaillais dur pour essayer de revenir. Certains docteurs m'ont dit que peut-être je ne ferais plus de sport. Mais j'ai toujours gardé un état d'esprit positif. Quand mon classement s'est effondré, j'ai essayé de jouer de petits tournois et je ne me sentais pas si bien. Je savais qu'il me restait quelques classements protégés à utiliser cette année. Et j'ai bien joué à Dubaï et Indian Wells. Il y a des hauts et des bas dans la vie tout le temps. Ces choses vous rendent plus forte. C'est ce qui me fait apprécier encore plus ce résultat en fait maintenant."

"Carpe diem", telle pourrait être la devise de Karolina Muchova. Peut-être le meilleur moyen de ne pas passer samedi à côté de l'événement, puisqu'elle disputera après tout sa première finale de Grand Chelem à 26 ans. Mais la pression sera a priori sur les épaules d'Iga Swiatek, tenante du titre et en lice pour un 3e sacre à Roland-Garros. Si la Polonaise lui entrouvre la porte, il serait étonnant que Muchova n'en profite pas, surtout si elle a bien récupéré de sa demie. Histoire de prolonger sa formidable série et de conclure en beauté.