Les plus populaires
Tous les sports
Voir tout

Roland-Garros : Il y a 19 ans, à 19 ans, Nadal amorçait un règne unique

Laurent Vergne

Mis à jour 25/05/2024 à 10:27 GMT+2

Tout ceci ne nous rajeunit pas. Nous étions tous beaucoup plus jeunes, à commencer par Rafael Nadal. Les moins anciens d'entre vous n'étaient même pas nés. L'Espagnol, lui, fêtait ses 19 ans. C'était en 2005. Son tout premier Roland-Garros. Son premier sacre. Le premier de ses 14 triomphes. Retour sur un couronnement initial entre évidence et sidération.

Rafael Nadal lors de son premier sacre en 2005.

Crédit: Getty Images

Si, le 23 mai 2005, vous étiez assis dans les gradins du défunt court numéro un, vous avez assisté, sans en mesurer tout à fait le sens et la portée, à un événement unique. Ce jour-là, Rafael Nadal disputait le tout premier match de sa carrière à Roland-Garros, face à l'Allemand Lars Burgsmuller, entré lui aussi sans le savoir dans l'histoire du Grand Chelem parisien grâce à ce statut plus ou moins enviable de première victime du futur roi. La première d'une longue, d'une très longue série.
Accessoirement, ce fut aussi l'unique match disputé par le souverain d'Espagne ailleurs que sur le Chatrier ou le Lenglen. Un signe, peut-être, qu'à l'aube de cette édition 2005, le jeune Rafa n'est encore qu'un jeune champion en devenir. Il est pourtant déjà bien installé. Vainqueur des Masters 1000 de Monte-Carlo et Rome ainsi qu'à Barcelone, il débarque porte d'Auteuil avec une étiquette de favori. Mais ici, c'est un Grand Chelem. C'est autre chose. Sera-t-il assez fort, assez solide, assez grand, assez mature pour tenir sur l'ensemble de la quinzaine ? A l'époque, rappelons-le, aucun joueur de moins de 20 ans n'a plus gagné un Majeur depuis Pete Sampras à l'US Open 15 ans plus tôt.
Mats Wilander se souvient pourtant d'une forme d'évidence. "J'en avais vu assez de lui pour être convaincu que c'était quelque chose de totalement inédit, nous explique le consultant d'Eurosport. Ce style de jeu, cette façon de frapper la balle, c'était du jamais vu sur terre battue. D'abord parce qu'il était gaucher, ensuite parce qu'il mettait une telle passion dans sa volonté de botter les fesses de tout le monde qu'il était le favori pour gagner cette année-là, puis la suivante et encore la suivante." Mais encore fallait-il le prouver sur le terrain.

Rafa, ce garçon "très timide"

Depuis plus d'une décennie, le tennis espagnol avait pris l'habitude de goûter régulièrement à la Coupe des Mousquetaires, de Sergi Bruguera (1993, 1994) à Juan Carlos Ferrero (2003) en passant par Carlos Moya (1998) ou Albert Costa (2002). Nadal semblait appelé à prolonger la tradition, peut-être à la transformer en une hégémonie durable. Alex Corretja, double finaliste à Paris, est un des rares joueurs à être invaincu face à Nadal avec plus d'une confrontation avec lui. Deux matches, deux victoires. Bon, OK, en 2003. Le "petit" Rafa n'avait pas encore 17 ans quand Don Alex l'avait croisé pour la première fois à Barcelone, sur terre. Une victoire pénible, en trois sets.
Nadal commençait déjà à faire du grabuge sur terre. En ce printemps 2003, il bat Costa à Monte-Carlo et Moya à Hambourg. "L'affronter, c'était déjà faire face à une intensité énorme dès le premier point", se souvient Corretja. Mais pour lui "il était encore en plein apprentissage". "Avant notre match à Barcelone, j'avais essayé, non pas de l'intimider, mais de lui faire comprendre que j'étais le joueur installé, celui qui avait le plus d'expérience, nous dit-il. Je pense que pour lui, c'était difficile d'affronter quelqu'un comme moi, même si ça a l'air d'être une plaisanterie de dire ça aujourd'hui avec le recul quand on compare nos deux carrières..."
Alex Corretja se souvient d'un jeune homme"très timide". "Quand vous lui parliez, c'est tout juste s'il vous regardait dans les yeux, il baissait la tête." Et l'ainé d'évoquer ses premiers pas en Coupe Davis, quelques mois plus tard : "Je ne sais pas s'il était impressionné, mais il montrait beaucoup de respect envers nous (lui, Moya, Ferrero, le staff). On sentait de l'admiration chez lui dans la manière de nous regarder."
picture

Rafael Nadal en avril 2003, à 16 ans.

Crédit: Imago

Federer, déjà souffre-douleur

Retour en 2005. Rafael Nadal est à peine en train de sortir de l'adolescence, puisqu'il va fêter son 19e anniversaire pendant Roland-Garros, ce qui deviendra une habitude pour lui comme pour le tournoi, mais c'est le jour et la nuit entre le minot de 2003 et celui qui s'avance désormais en conquérant et fait déjà peur à tout le monde, au moins sur terre battue. "Pour moi, il était prêt, souffle Corretja. Il avait deux ans de plus, beaucoup de vécu pour son âge, il connaissait mieux le circuit, mieux ses adversaires."
Son troisième tour face à Richard Gasquet, dans le match le plus excitant de la première semaine, s'avère révélateur. Les deux jeunes ont le même âge, à quelques jours près, et leur récent duel acharné à Monte-Carlo semble augurer d'une rivalité future durable. Mais dans l'immensité du Philippe-Chatrier, tout semble encore trop grand pour le Biterrois. Le court, le cadre, l'enjeu, et par-dessus tout, l'adversaire. Nadal, lui, est à sa place. Ce n'est pas encore son jardin, mais plus très loin.
Le match le plus attendu de la quinzaine, la finale avant la lettre, c'est la demie contre Roger Federer. Leur troisième duel, après les deux premiers sur dur, à Miami. Nadal avait remporté le premier (à 17 ans !) et perdu le second en cinq sets après avoir mené deux manches à rien. Là encore, 2005 va poser les bases d'une réalité immuable à Roland-Garros. Six rencontres, six victoires de Nadal.
"Ce qui est très, très étrange dans le fait de regarder Federer et Nadal s'affronter à Roland-Garros, c'est que même lorsque Federer a bousculé Rafa et l'a poussé en quatre sets, il semblait inévitable qu'il ne sortirait jamais vainqueur. Il ne pouvait tout simplement pas le faire, constate Mats Wilander. J'ai assez vite pensé 'Avec son top spin de coup droit qui tombe sur le revers de Federer, Roger ne pourra pas battre Rafa sur terre." En tout cas pas en trois sets gagnants. Ce sera son éternelle limite sur la surface ocre.
picture

Roger Federer et Rafael Nadal.

Crédit: Getty Images

Le "cauchemar" de Wilander

Vainqueur en quatre sets sous la grisaille, le Majorquin enterre les illusions bâloises. Un échec qui en annonce donc d'autres. Federer deviendra son souffre-douleur préféré à Roland. Cette demi-finale, jouée le 3 juin, jour des 19 ans de Nadal, lui ouvre les portes de sa première finale majeure. Son dernier adversaire est tout aussi novice que lui dans un duel de ce genre. Mais lui était nettement moins attendu. Mariano Puerta, gaucher gaucho et bûcheron, propose une équation différente de Federer. Surtout, il pose à Nadal une question qui taraude tout le monde : jouer sa première finale de Grand Chelem aussi jeune, avec une telle étiquette de favori, n'est-ce pas un peu lourd à porter ?
Pour certains, peut-être. Pas pour Nadal. "Je connaissais Puerta, je l'avais déjà joué, il était dangereux mais paradoxalement, je pense que Rafa se sentait plus expérimenté, même s'il était plus jeune, juge Corretja. Je pense qu'il est entré sur le court avec, dans son esprit, la sensation d'être le favori, d'être celui qui devait gagner. J'aurais adoré ressentir ça. Oui, ça met plus de pression, mais donnez-moi cette pression-là. Elle donne aussi confiance. Si je me plante, c'est parce que je n'aurais pas été à la hauteur. Face à Moya ou Kuerten (ses deux bourreaux en finale à Paris, NDLR), je savais au fond de moi qu'ils avaient un truc en plus." Savoir qu'on a toutes les cartes en main, c'est un luxe. Et les vrais grands champions aiment ça. La pression, ils s'en chargent.
"J'ai un souvenir", nous raconte quant à lui Mats Wilander à propos de cette finale. Curieusement, il date… du samedi. Le jour de la finale dames, celui entre la demie contre Federer et le match pour le titre face à Puerta. "Carlos Costa, l'agent de Rafa, m'appelle le vendredi pour me dire 'Mats, est-ce que tu pourrais taper quelques balles avec Rafa demain ?' 'OK, pas de problème', reprend l'ancien numéro un mondial. Il ne m'a pas fallu plus de 10 minutes pour regretter ma décision. Ça a été une heure de cauchemar absolu pour moi." Avec Nadal, tout était déjà différent. Sa balle ne ressemble à aucune autre.
picture

Mats Wilander et Rafael Nadal en 2005 à Roland-Garros.

Crédit: Getty Images

Le parfum de la première

Le Suédois et l'Espagnol partagent en tout cas une chose. Un exploit qu'ils sont les deux seuls à avoir accompli dans l'ère Open : s'imposer à Roland-Garros dès leur première participation. Si le sacre de Nadal ne portait pas en lui le même caractère surprenant que celui de Wilander 23 ans plus tôt, il n'en reste pas moins que le parfum d'une grande première a toujours les mêmes effluves. Notamment le fait de révéler à soi-même qui on est vraiment.
"Je n'aurais pas imaginé une seule seconde en 1982 que je pourrais battre des grands champions comme Vitas Gerulaitis, Ivan Lendl, Jose-Luis Clerc ou Guillermo Vilas", concède Wilander, quand le débutant de Manacor n'était probablement pas venu à Paris pour faire du shopping ou du tourisme. "Mais, ajoute-t-il, il y a une chose que je peux imaginer sans problème. Je pense que Rafa a dû réaliser en 2005 qu'il était fort et se dire 'wow, je suis bon à ce point-là ? Mais est-ce que ça suffira pour être meilleur que n'importe qui d'autre ? Je n'en ai aucune idée. Alors je vais jouer comme je le fais depuis que j'ai 12 ans. Je ne vais pas faire d'erreurs. Je ne serai pas fatigué. Et mentalement, je vais être costaud.'"
La finale (quatre sets pour Nadal, 6-7, 6-3, 6-1, 7-5), intense et acharnée, est peut-être une des plus sous-estimées de la collection de Nadal. Parce que Puerta n'a pas le prestige d'un Thiem, d'un Wawrinka, sans parler évidemment d'un Federer ou d'un Djokovic. Dans le corps et plus encore dans la tête, l'Espagnol impressionne en tenant la distance et en ne clignant pas des yeux après avoir vu l'ébouriffant premier set lui glisser entre les doigts. Puerta, englué dans les affaires de dopage, ne remettra plus jamais les pieds à Roland-Garros. Nadal y disputera 13 autres finales, et les gagnera toutes.
picture

Roland-Garros : La finale 2005 entre Rafael Nadal et Mariano Puerta.

Crédit: Getty Images

Le vieux Nadal aurait mis 6-1, 6-0, 6-1 au jeune Rafa

Evidemment, l'ampleur et la durée presque surnaturelles de sa domination n'étaient pas imaginables en 2005. "Honnêtement, avoue Corretja, quand je l'ai vu gagner à 19 ans, j'ai pensé qu'il pouvait remporter 5 ou 6 fois le tournoi, sans problème, peut-être même 10, pourquoi pas. Mais 14... Mais j'étais bluffé par ce qu'il avait réussi et j'étais certain qu'il allait avoir l'occasion de marquer l'histoire, oui."
Mais il y a un élément presque aussi impressionnant que le palmarès de Rafael Nadal ici. C'est la manière dont son jeu a évolué. "Physiquement, c'était déjà épuisant de faire un point contre lui, c'était tellement dur, parce qu'il était très rapide et couvrait très bien le terrain, relève Corretja. Mais il ne servait pas aussi bien. Son service était correct mais il ne vous posait pas d'énormes problèmes. Son revers était solide, mais il ne le frappait pas si fort."
"Si vous comparez le Nadal de la decima avec celui de 2005, le vieux Nadal aurait mis 6-1, 6-0, 6-1 au jeune Rafa, tranche même Mats Wilander. Ce dernier avait déjà un cran extraordinaire, une absence de peur incroyable. Mais il était loin du joueur qu'il deviendrait. En vieillissant, Nadal est devenu de plus en plus fort." Personne n'aura jamais le luxe d'assister à ce Nadal vs Nadal, confrontation du tennis terrien ultime, mais Wilander a sans aucun doute raison : le Nadal de 2005 était encore un "produit" très imparfait. Pourtant, du haut de ses 19 ans, il était déjà au-dessus de tous. Mais en-dessous de ce qu'il serait. Et cela paraît fou.
Rejoignez Plus de 3M d'utilisateurs sur l'app
Restez connecté aux dernières infos, résultats et suivez le sport en direct
Télécharger
Sur le même sujet
Partager cet article
Publicité
Publicité