Federer, ou l'histoire d'une disette aussi improbable qu'implacable

US OPEN – Intouchable à New York au cœur des années 2000, Roger Federer court après un sixième titre à Flushing depuis 2008. Un sevrage surprenant au vu des aptitudes du Suisse sur la surface et de la longueur de son règne. Mais si, entre occasions manquées, blessures ou vrais ratages, les causes de ses échecs successifs varient, sa décennie d'insuccès ne doit rien au hasard.

Roger Federer

Crédit: Eurosport

Si vous m'aviez dit, au soir de son quintuplé new-yorkais en septembre 2008, que Roger Federer ne gagnerait plus jamais l'US Open, j'aurais répondu "pourquoi pas". Après tout, Rafael Nadal avait déjà largement griffé l'icône bâloise, en l'éjectant ce même été de son double piédestal tennistique, à Wimbledon et au sommet de la hiérarchie mondiale. Novak Djokovic avait intégré, toujours en 2008, la caste des vainqueurs en Grand Chelem. Même Andy Murray, dont cet US Open marqua la première finale majuscule, pointait le bout de la raquette. Bref, le vent se levait.
Si, en revanche, vous m'aviez annoncé que, parallèlement à son sevrage dans le Queens, le Suisse continuerait de garnir son palmarès majeur partout ailleurs pendant une décennie entière, l'hypothèse m'aurait tout de suite semblé moins crédible. Pourtant, depuis son dernier US Open victorieux, Federer a bien remporté sept titres du Grand Chelem supplémentaires. Un à Roland-Garros (2009), trois à Wimbledon 2009, (2012, 2017) et trois autres à l'Open d'Australie (2010, 2017, 2018). Flushing est donc devenu pour lui une sorte d'exception culturelle de la frustration.
La brutalité de la césure entre son implacable (il n'avait perdu que deux sets en cinq finales) et historique (c'était du jamais vu à l'US Open depuis Bill Tilden au début des années 1920) passe de cinq et son incapacité chronique à aller au bout depuis plus de dix ans peut sembler à première vue incongrue. Federer l'a encore martelé vendredi, il adore New York et il n'aime pas moins Flushing. Ville ou stade, il s'est toujours bien senti dans le contexte général du tournoi et la surface n'est certainement pas celle qui lui sied le moins.
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Andy Murray Roger Federer - US Open 2008

Crédit: Imago

Deux nuances de déceptions

Bien sûr, on pourra toujours arguer du fait qu'entre 2004 et 2008, il survolait le circuit (à l'exception de 2008, où son cinquième titre avait "sauvé" sa saison après la prise de pouvoir de Nadal). "A l'époque, avait-il confié l'an passé, quand j'arrivais à New York, j'avais l'impression d'avoir toutes les réponses. Je maitrisais tout. Tous mes adversaires, toutes les conditions, que ce soit le vent, le bruit, le jour, la night session." Alors, oui, sa période de domination sur le tennis mondial a vécu mais, comme évoqué plus haut, il a gagné partout ailleurs depuis 2008.
De cette frustrante décade, on distinguera deux périodes. Deux nuances de déceptions. La première en relais direct de son quintuplé, de 2009 à 2011. Lors de ces trois éditions, Federer a clairement raté le coche. Surtout la première. Il n'aura jamais été aussi proche d'une sixième victoire que cette année-là. En finale, contre Del Potro, il sert pour mener deux sets zéro, mène deux manches à une puis s'incline en cinq.
Lors des deux années suivantes, il cale deux fois de suite en demi-finale contre Novak Djokovic, en cinq sets, en manquant deux balles de match. Certes, il restait Nadal derrière en finale mais, sur cette surface, Federer aurait a minima eu sa chance. C'est là, au cœur de ce triptyque douloureux, que le Bâlois a laissé filer l'opportunité de donner des proportions plus monstrueuses encore à son palmarès new yorkais.
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Djokovic - Federer 2011 : Et le Djoker crucifia (encore) "Rodgeur"

Video credit: Eurosport

Ni hasard ni poisse

Depuis, il n'y a guère que lors de l'enchainement 2014-2015 que le Suisse a joué un rôle majeur à Flushing, avec une demi-finale puis une finale. Mais la destruction en règle par un Cilic dans un état second ne peut lui laisser ni regret ni amertume et la finale 2015 face à Djokovic à peine plus. Certes, il avait eu sa chance face au Serbe, mais rien de comparable avec ses défaites contre le même Djokovic ou Del Potro quelques années plus tôt. Ces matches-là, Federer aurait dû les gagner.
Parallèlement aux regrets, il y eut aussi quelques sérieuses désillusions, comme ses sorties de route dès les huitièmes face à Millman l'an dernier ou Robredo en 2013. Peut-être une des pires de sa carrière. Après le match, Federer n'avait rien trouvé de mieux à dire que "c'était juste nul" pour résumer sa performance. Il ne pouvait être plus juste, surtout.
Mais qu'il soit passé à un cheveu ou à des années-lumière d'un sixième titre au gré des campagnes, la diversité des aléas et des contextes forme au fond un tout assez homogène. Si Federer n'a plus gagné depuis 2008 à New York, ce n'est dû ni au hasard ni à une quelconque forme de poisse. "Est-ce que je me suis senti malchanceux ?Non, ça a plus souvent été une affaire de santé que de chance ou de malchance", a-t-il concédé il y a quelques jours.
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Roger Federer pensif lors de son 8e de finale contre John Millman à l'US Open

Crédit: Getty Images

Optimisme et inconscience

Avec l'âge, l'US Open a eu un énorme défaut pour Roger Federer : être le dernier Grand Chelem de la saison. Ces dernières années, il l'a souvent abordé fatigué, diminué, ou les deux. Sans parler de titre, il n'a ainsi plus figuré dans le dernier carré depuis 2015. Absent en 2016, sorti en quarts par Del Potro l'année suivante alors que son dos couinait dans tous les sens, il a ensuite été victime des efforts conjoints de Millman et de l'humidité extrême d'une night session de triste mémoire pour lui.
D'où l'inévitable question : est-il raisonnable d'envisager qu'un joueur de 38 ans, incapable de gagner le tournoi depuis plus de dix ans, et plutôt loin du compte dans le passé le plus récent, puisse (re)mettre tout le monde d'accord ?
Si ce joueur ne s'appelait pas Roger Federer, je répondrais non en un clin d'œil. Vous pourriez mettre votre PEL, votre Livret A ou votre 13e mois dessus sans souci. Mais cela reste Federer. Mettez son âge de côté et que voyez-vous ? Un numéro 3 mondial, demi-finaliste à Roland-Garros, passé à un point du titre à Wimbledon. Au vu des dix dernières années, il est certes optimiste de l'imaginer en "King of New York" mais il apparait inconscient de le rayer purement et simplement de la carte.

Double bonne nouvelle

Deux signaux orientent la flèche dans le sens d'un certain optimisme. D'abord, Federer a assuré n'avoir pas ressenti d'aussi bonnes sensations en arrivant à Flushing depuis "très longtemps". Ce type de propos est souvent de bonne guerre, mais, il y a deux ans, le Suisse n'avait pas caché une certaine inquiétude quant à ses dispositions physiques. Ensuite, le mercure et le taux d'humidité sont très raisonnables sur New York et, a priori, même si l'on flirtera avec la trentaine de degrés en fin de première semaine, cette quinzaine s'annonce comme une des moins extrêmes de ces dernières années au plan climatique. Et c'est plutôt une bonne nouvelle pour lui.
La maigreur de sa préparation (en compétition s'entend, avec seulement deux matches dans les pattes) ne me parait pas plus alarmante que ça. Maintenant, la donne est toujours plus ou moins la même pour lui : il peut se débarrasser de n'importe qui à Flushing, mais, sauf surprise, la route du titre passera par Djokovic et/ou Nadal.
A Paris, il avait explosé contre le second avant de le battre à Londres pour finalement échouer dans les circonstances que chacun connait à Wimbledon face au premier. Un tel enchainement, à Londres, aurait constitué un monumental exploit. A New York, il serait peut-être plus grand encore. Plus étonnant, aussi. Pas loin d’être improbable, même. Parce que, ici, en dix ans, tempête ou grain de sable, il y a toujours eu quelque chose pour l'éloigner de son glorieux passé.
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Roger Federer - US Open

Crédit: Getty Images

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