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US Open 2023 | simple Messieurs | Ben Shelton, c'est l'Amérique

Rémi Bourrières

Mis à jour 08/09/2023 à 19:09 GMT+2

Il a joué au foot américain, il a fait ses armes dans le championnat universitaire américain, il n'est jamais sorti des Etats-Unis avant 20 ans, il aime le show, il a une grande confiance en lui et un énorme service… Impossible de faire plus Américain que le détonnant Ben Shelton qui, pour sa première demi-finale en Grand Chelem, est aux portes du test ultime ce vendredi face à Novak Djokovic.

Le showman Shelton surpasse Tiafoe : Les meilleurs moments

Pour battre Novak Djokovic dans cet US Open 2023, il faudra donc soit s'appeler Daniil Medvedev, soit porter un débardeur et avoir des biceps de déménageur, un sourire carnassier, une puissance folle, une joie de jouer communicative ainsi qu'un grain de folie mêlée à une créativité de tous les instants.
Oui, vu comme ça, il y a aussi un peu de Carlos Alcaraz en Ben Shelton. Mais c'est à peu près tout ce que la jeune pépite américaine, qui passera donc au révélateur Novak Djokovic ce vendredi pour sa première demi-finale en Grand Chelem, a d'Européen en lui. Pour le reste, il n'incarne pas seulement les derniers espoirs du tennis américain dans le tableau masculin. Il incarne l'Amérique tout court. Il EST l'Amérique, jusqu'au bout des ongles.
Et c'est peu dire qu'il tombe à pic. En cette année de "commémoration" des 20 ans de la victoire d'Andy Roddick à l'US Open, la dernière pour un joueur américain en Grand Chelem, cela faisait des semaines, outre Atlantique, qu'on n'entendait plus parler qu'au passé. Et voilà qu'au fil d'un parcours ébouriffant qui l'aura vu notamment décoiffer ses compatriotes et amis Tommy Paul puis Frances Tiafoe, Ben Shelton a replacé son continent au centre d'un futur radieux.
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Foot américain, Tiger Woods et conseiller financier : voici Ben Shelton

Qu'il gagne (pourquoi pas) ou qu'il perde (logiquement) contre Djokovic, le bombardier d'Atlanta semble voué à prendre, dans son pays, ce statut de nouvelle star qu'un joueur comme Taylor Fritz, l'actuel n°1 US, ou son prédécesseur, le néo-retraité John Isner, n'ont jamais vraiment réussi à saisir, malgré tout le respect dû à leur plus qu'honorable carrière.
Dans un pays qui a été gâté comme nul autre pareil dans l'histoire du tennis, il n'y a pas d'alternative possible : pour susciter un soupçon d'intérêt, il faut être une graine de star, sinon rien. Top 10 ? A peine de quoi faire lever quelques sourcils. L'avenir dira si les Fritz, Tiafoe et consorts concrétiseront un jour leur rêve de gagner un Grand Chelem. Mais la vérité est que Shelton, qui fera a minima son entrée dans le top 20 après sa folle chevauchée, est peut-être le premier depuis longtemps à susciter vraiment cet espoir fou.

Le plus grand vent de frisson américain depuis Roddick ?

Le jeune gaucher américain (47e mondial pour l'instant) est pourtant encore très loin de tout ça, sportivement. Mais il a d'ores et déjà fait passer sur New York un vent de frisson qu'on n'avait pas forcément ressenti depuis longtemps. Peut-être justement depuis Roddick qui, dans un autre style, avait comme lui ce cocktail détonnant de puissance, d'explosivité et de sens du show. Avec cette même précocité, qui a fini par le conduire jusqu'aux sommets que l'on sait.
Roddick avait 19 ans quand il a atteint les quarts de finale de l'US Open, en 2001, deux ans avant son sacre. Mais pour retrouver un Américain aussi jeune que Shelton (qui aura 21 ans le 9 octobre) dans le dernier carré, il faut remonter à Michael Chang, en 1992. C'était lui-même deux ans après Pete Sampras, devenu en 1990 le plus jeune vainqueur de l'histoire du tournoi, à 19 ans (pratiquement égalé par Carlos Alcaraz l'an dernier). Tout cela pour dire qu'on n'atteint pas aussi jeune le dernier carré du Grand Chelem le plus exigeant qui soit sans en avoir énormément dans la raquette. Et dans l'estomac.
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"Il a des qualités physiques supérieures" : McEnroe encense le service de Shelton

Voilà qui pose déjà les bases de la performance de Shelton, loin d'être anodine et loin de sortir de nulle part, aussi, quelques mois après son quart de finale de l'Open d'Australie. Celui-là, en revanche, venait d'ailleurs. A l'époque, c'était la première fois que le colosse de Géorgie (1,93 m pour 88 kg) utilisait son passeport : à 20 ans, il n'était encore jamais sorti des Etats-Unis. Même pas pour des vacances !
Avant d'aller jouer ailleurs, il faut d'abord être maître chez soi. Beaucoup n'aiment pas faire face à cette pression de se confronter avec leurs proches rivaux.
Une incongruité, quand on pratique un sport aussi itinérant que le tennis. "Disons que pour ma femme (Lisa) et moi, le plus important, c'était avant tout que nos enfants grandissent dans un environnement équilibré, mènent une vie normale, fassent des études et reçoivent une bonne éducation, a expliqué Bryan Shelton, le père et entraîneur de Ben, en conférence de presse. Et puis, avant d'aller jouer ailleurs, il faut d'abord être maître chez soi. Beaucoup n'aiment pas faire face à cette pression de se confronter avec leurs proches rivaux. J'ai vu des jeunes joueurs quitter leur ville parce qu'ils disaient n'avoir personne avec qui s'entraîner. Je me disais : 'mais tu te fous de moi ? Il y a un enfant excellent de l'autre côté de la rue…'"
Pratiquement toute sa vie, Ben Shelton est donc resté chez lui. Né à Atlanta où son père (lui-même ancien 55e mondial et huitième de finaliste à Wimbledon en 1994) entraînait l'équipe universitaire féminine de Georgia Tech, il a ensuite déménagé à Gainesville, en Floride, lorsque le paternel a pris en charge l'équipe masculine des Florida Gators, en 2012. Cette même équipe des Gators avec laquelle Ben signera en 2020 - "drafté" en sa qualité de n°1 américain des moins de 18 ans -, puis sera sacré champion universitaire en 2022. Le tout en poursuivant des études de finance à la Buchholz High School.
Sans ce déménagement, on n'aurait peut-être jamais entendu parler de Ben Shelton en tant que joueur de tennis. Mais peut-être en tant que footballeur américain, en revanche. Pendant plusieurs années, il a été un quarterback prometteur à la Georgia Tech, et rêvait de passer pro dans cette discipline taillée pour son gabarit et son explosivité musculaire.
Mais l'arrivée en Floride a changé son environnement et, progressivement, ses rêves. A 12 ans, le petit Ben s'est finalement focalisé sur le tennis et a commencé à s'entraîner sérieusement avec son père, d'abord aux côtés de sa grande sœur, Emma, pas loin de passer pro elle aussi. Très vite, il a développé ce style très agressif que l'on connaît, porté par ce service exceptionnel. "Il ne fait aucun doute que son passé de footballeur américain, le travail sur le coude notamment, l'a aidé à faire de son service l'arme qu'il est devenu", reconnaissait son père dans une interview à l'ATP, l'an dernier.
C'est qu'aux Etats-Unis, la culture du lancer n'est pas une petite affaire. Si nombre des plus grands serveurs de l'histoire sont Américains, ce n'est pas un hasard. Et Ben Shelton a brillamment pris la relève là-dessus, avec ses deux "bombes" lâchées à 149 mph (239,8 kmh) face à Tommy Paul, tout près des 152 mph (244,6 km/h) d'Andy Roddick en 2004, record de l'US Open à ce jour.

Un apprentissage à la dure sur terre battue

De quoi émouvoir encore un peu plus le public américain, qui a donc été le premier à découvrir en exclusivité Ben Shelton sur le circuit principal, en juillet 2022, à Atlanta. A l'époque, en dehors de sa ville de naissance et de son Etat floridien d'adoption, pas grand-monde ne connaissait ce jeune joueur universitaire, qui n'était même pas encore professionnel. Trois semaines après, l'erreur était rectifiée. Invité au Masters 1 000 de Cincinnati, il terrassait Lorenzo Sonego et Casper Ruud, avant de s'incliner face à Cameron Norrie. L'Ovni était sur orbite. Un an plus tard, le voilà pratiquement dans la galaxie du star-system.
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Trois aces dont deux à 240km/h : le jeu de service incroyable de Shelton

Le fait d'être resté dans sa "bulle" américaine pendant tant d'années n'a pas eu que des avantages, bien entendu. Entre sa révélation australienne et cette explosion new yorkaise, Ben Shelton a gagné très peu de matches, jamais plus de deux d'affilée sur le circuit principal. Mais il a, en revanche, beaucoup appris.
"Il faut se rendre compte qu'il n'avait jamais joué un match sur terre battue rouge ou sur gazon jusque-là, contextualise son père. Du coup, cette année, il a passé beaucoup de temps sur terre battue où il a appris la patience et progressé en défense. Il a compris aussi que son retour de service n'était pas à la hauteur, même s'il doit continuer à s'améliorer dans ce secteur. Et il a réalisé également qu'il devait varier davantage au service. Au final, ce que vous voyez durant cet US Open est le résultat de tout ce qu'il a accumulé comme expérience cette année."
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D'où vient le geste de célébration-téléphone de Shelton ?

Le reste en revanche, ce sens du show invétéré, cette capacité à électriser les foules, est plutôt l'héritage de ses années universitaires, "le meilleur système au monde", dixit Bryan Shelton, qui ne sera pas démenti par cette vague importante de joueurs, y compris français (Arthur Rinderknech par exemple), déferlant actuellement sur le circuit.
"Quand je joue mon meilleur tennis, j'aime ces moments de pression, j'en suis même amoureux.
"Il transpire la fraîcheur et le charisme, synthétise notre consultante, Justine Hénin. Son tennis est spectaculaire et c'est pour ça que les gens l'aiment. On a souvent parlé, avec Carlos Alcaraz, de cette notion de plaisir qu'il dégage sur le court. Shelton, c'est un peu pareil. Pouvoir offrir ça au public américain, c'est exceptionnel."
Sur un court, le garçon dégage effectivement une présence qui ne doit pas tout à son gabarit massif : il est surtout habité par ce qu'il fait, et semble posséder cette qualité commune aux grands champions, à savoir une capacité à se laisser porter plutôt qu'inhiber par la pression. "Quand je joue mon meilleur tennis, j'aime ces moments de pression, j'en suis même amoureux, disait-il après son succès contre Tiafoe. Là, j'ai réussi à bloquer tout ce qui se passait autour de moi quand j'en avais besoin. Je n'entendais plus rien, ne voyais plus rien. Je suis resté calme, concentré sur mon tennis. Bref, dans le moment présent."
Le fameux "right here, right now". Ici, maintenant. Pour espérer créer l'invraisemblable exploit face à Novak Djokovic, qui n'est pas mal non plus dans l'art de rester centré sur le présent, il vaudra mieux, en effet, ne pas laisser son esprit (ni ses services) s'égarer en dehors des limites du court.
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