US Open 2023 - Les petits secrets des services de Ben Shelton, flashés à 240 km/h

Tommy Paul a voulu faire le roublard. Pendant son 8e de finale face à Ben Shelton, l'Américain n'avait plus de réponses tennistiques à apporter au gamin et son service de feu. C'est presque en riant jaune face à tant de facilité qu'il avait applaudi le jeu complètement dingue de son cadet au cœur du troisième set, ponctué par trois aces, dont deux flashés à 240 km/h. Au moment du changement de côté, il a donc tenté un truc.

"J’ai essayé de le faire sortir de son rythme, mais je ne voulais pas être irrespectueux de quelque manière que ce soit, a-t-il souri en conférence de presse. […] Par exemple, lors des changements de côté, je lui disais : 'Mec, tu sers bien aujourd’hui', ce genre de choses. Je lui ai lancé quelques phrases comme ça aujourd’hui, mais il n'a pas réagi. Cela n’a pas vraiment fonctionné". Pas trop, non. Sur ce 8e de finale, Paul a essuyé 16 aces. 16 missiles accompagnés d'une flopée de services qu'il n'a jamais vraiment pu appréhender. Si cela peut le rassurer, il n'est pas le seul à avoir échouer de casser le rythme dingue de son adversaire dans l'exercice.

Dans cet US Open, Ben Shelton est le leader au nombre d'aces (62) devant l'inévitable John Isner (59) qui s'est arrêté au 2e tour. Comme un symbole. A l'heure où le bombardier américain tire sa révérence, c'est donc une passation de pouvoir plutôt inattendue tant les carrures divergent. Le néo-retraité est un géant de 2m08 là où le gamin d'Atlanta culmine à 1,93m. Ces quinze centimètres d'écart se compense autrement. Car Shelton est avant tout une boule de muscles, d'où son surnom de "The Mountain" lors du dernier opus de l'UTS.

C'est aussi ce qui a sauté aux yeux de Lucas Pouille. "Il suffit de voir son biceps quand il serre le poing, a-t-il souri au moment d'évoquer le physique du jeune Américain. La carrure qu'il a à seulement 20 ans... Le pire, c'est qu'il va encore se développer physiquement. Donc son record, je pense qu'il le battra encore". Avec ses services à 149 mph, soit 240 km/h, Shelton a effectivement battu tous les autres au petit jeu de la vitesse de service. Un malin plaisir pour lui.

"Il est devenu un peu arrogant lorsqu'il a vu la vitesse de 149 mph. Je le serais aussi à sa place. C'est ce que je fais normalement en kilomètres", se marrait ainsi notre consultant John McEnroe, fan absolu du garçon et de son jeu spectaculaire. "Ce qui est rigolo, c'est qu'il regarde l'écran après son service, complétait Camille Pin. Déjà au tour précédent, il avait servi à 236 km/h. On sent qu'il joue ça alors que normalement, c'est un paramètre qu'on regarde peu quand on est dans un match. Ça lui donne une respiration, ça lui donne presque envie d'aller battre un record. C'est léger au fond dans un match".

New York a adoré, les réseaux sociaux s'en sont délectés mais une personne a détesté : son père, également son entraîneur. "Mon père est toujours dépité quand je tente une 'bombe', s'était-il marré après son 3e tour. Après le match, il m'a dit 'je sais que tu as regardé l'écran, juste après ton service'. Ils affichaient alors le classement des services les plus rapides du tournoi. Il m'a dit 'je sais que tu as aussi regardé ça !'. Et il m'a vraiment engueulé. En fait, il devient fou parce qu'il sait que je cherche à battre les scores précédents. C'est quelque chose sur lequel on s'embrouille régulièrement".

Si le paternel est aussi énervé face à la fronde de son poulain, c'est aussi qu'il sait que son service ne se résume pas à ce kilométrage impressionnant mais forcément efficace. Son service de gaucher est à un nid à effets franchement compliqués à gérer, comme l'a très bien résumé Tommy Paul après coup.

"Il est gaucher, a-t-il expliqué. Et c'est un vrai gros avantage d'être gaucher, surtout au service. L'effet va dans le sens inverse et il est très lourd à contrôler. Franchement, c'est impressionnant. En plus de ça, il a un service tout en jump, très dynamique. Aujourd'hui, même après ses deuxièmes services, il était hyper agressif." Le voir tenter des service-volées sur deuxième balle est ainsi devenu une habitude à Flushing et sur le circuit.

Cette variété, il veut absolument l'entretenir. "Ma stratégie au service change à chaque match, détaillait-il encore après sa victoire sur Aslan Karatsev. La philosophie globale reste la même mais j'essaye de varier, de mélanger certains trucs pour déstabiliser l'adversaire. Aujourd'hui, j'ai énormément varié les effets et la vitesse. J'ai eu l'impression qu'il n'a jamais été en mesure d'avoir le moindre indice de tout le match."

Dans le détail, les faits confirment cette tendance : Shelton est loin de fermer les yeux et voir où part sa balle au service. Selon les données compilées par l'ATP, il sert au T presque une fois sur deux côté égalité (47,9%) mais préfère logiquement le service extérieur côté avantage (50,3%). Son pourcentage de points gagnés derrière la première cette saison (76,3%) fait de lui l'un des 15 joueurs les plus performants sur le circuit.

Pour autant, la régularité n'est pas le point fort de Shelton. Ni au service ni dans ses résultats (16 victoires cette saison, dont 8 en Grand Chelem). A 20 ans, forcément, il reste un "work in progress". Même au service : "Je dirais que mon plus gros problème dans mes jeux de service, c'est que je me breake tout seul parfois. Ce n'est pas seulement les autres qui me font des retours gagnants ou qui montent au filet pour faire des volées gagnantes. Il y a aussi beaucoup d'erreurs dans ma raquette. J'ai l'impression que ces derniers temps, je gère mieux mes jeux de service, je sais quand il faut appuyer sur la gâchette et quand il faut se calmer un peu".

Si Shelton est dans la zone à New York, c'est aussi qu'il a pris conseil auprès des meilleurs. John Isner lui a ainsi prodigué de précieux conseils quant à l'appréhension de ce geste si particulier mais si précieux. "En fait, il m'a surtout aidé mentalement, a-t-il révélé. Et ça m'aide physiquement. Je cherche juste à avoir l'état d'esprit nécessaire pour être fluide au service. C'est un état un peu particulier à décrire mais c'est comme ci je ne réfléchissais pas". Qu'il continue ainsi. Parce que sa légèreté d'esprit rend décidemment toutes ces "bombes" bien plus lourdes…