Wimbledon 2025 – Novak Djokovic, Carlos Alcaraz, Jannik Sinner… Comment ces rois de la glisse ont changé le jeu sur herbe

Le jeu sur gazon est probablement celui qui a le plus évolué au cours de ces dernières années, comparativement aux autres surfaces. Mais au-delà de la disparition actée du service-volée, l'un des plus gros changements a été la maîtrise de la glissade sur herbe, popularisée par Novak Djokovic et reprise en chœur par ses deux héritiers à la tête du tennis mondial, Jannik Sinner et Carlos Alcaraz.

Novak Djokovic, Wimbledon 2021.

Crédit: Getty Images

Qu'est-ce qui fait un bon joueur sur herbe ? Fût un temps où la question, comme on dit, était relativement vite répondue : un bon service, une bonne volée, éventuellement un bon chip, et on avait là l'essentiel du pack nécessaire pour briller à Wimbledon. Aujourd'hui où le gazon est devenu plus lent, où le jeu est en revanche devenu plus rapide, où les joueurs sont devenus plus complets et plus polyvalents, l'équation est, elle, devenue plus complexe. Il y a des fondamentaux qui demeurent, comme le fait d'avoir une bonne main, de savoir garder la balle basse, de faire preuve d'agressivité… Mais par-dessus tout, c'est peut-être la maîtrise du déplacement sur gazon qui est devenue l'atout essentiel du parfait herbivore.
Jusqu'à une certaine époque, le déplacement sur gazon était, en quelque sorte, en opposition avec le déplacement sur terre battue. Classiquement, il y avait les "aériens", montés sur coussin d'air et capables de réduire le temps de contact pied/sol pour éviter au maximum le risque de chute toujours élevé sur herbe. Et les "terriens", dotés d'une capacité d'ancrage au sol plus puissante leur permettant, a contrario, d'augmenter ce temps de contact au sol. Désormais, la frontière est moins marquée. L'uniformisation du jeu a aussi entraîné une uniformisation des déplacements et l'art de la glissade, autrefois exclusivement réservé à la terre battue, s'est progressivement étendu au dur, puis désormais au gazon.
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Jannik Sinner, Wimbledon 2024

Crédit: Getty Images

Quel est le fou qui, en premier, s'est dit que ça pourrait être une bonne idée de glisser sur herbe, là où tout le monde évitait auparavant de le faire sur cette surface suffisamment casse-gueule par nature ? Difficile à dire. On aurait pu évoquer Gaël Monfils, "Sliderman" en personne, qui fait depuis longtemps crisser ses semelles sur dur, mais le Français a toujours été plus craintif sur gazon, un peu comme Rafael Nadal. En revanche, un homme a, plus qu'aucun autre, popularisé la glissade sur herbe : on veut parler de Novak Djokovic, qui n'a pas à proprement parler révolutionné la manière de jouer sur gazon, mais qui a sûrement révolutionné la manière de s'y mouvoir.
"Quand ils doivent aller chercher une balle en bout de course, la plupart des joueurs courent pour aller frapper, puis font quelques pas pour se freiner et ensuite se replacer : personnellement, je trouve plus naturel de glisser", avait expliqué le Serbe en 2021, avant sa finale remportée cette année-là contre Matteo Berrettini. Cela a un lien avec Spiderman, que j'ai passé beaucoup de temps à observer (sourire). Non, plus sérieusement, je pense que ça a un lien avec le ski que j'ai beaucoup pratiqué dans mon enfance, ainsi qu'avec la souplesse de mes chevilles. La glissade est un mouvement naturel chez moi : quand je dois aller chercher une balle loin de moi, mon premier réflexe instinctif est de glisser."
C'est comme s'il conduisait sa voiture sur de la glace et qu'il parvenait à la stopper quand bon lui semble. C'est assez irréel.
"Il est le seul à glisser sur cette surface !, s'enthousiasmait la même année notre consultant Mats Wilander. Ni Federer, ni Nadal ne glissent sur gazon. Sur terre battue, vous lancez votre glissade et, en appuyant sur votre jambe, vous décidez quand vous vous arrêtez. C'est facile. Mais sur herbe, normalement, on ne peut pas arrêter son mouvement. Lui y parvient. C'est comme s'il conduisait sa voiture sur de la glace et qu'il parvenait à la stopper quand bon lui semble. C'est assez irréel. En fait, il a inventé la glissade sur gazon."
Sauf que depuis, Novak Djokovic, qui a encore fait quelques belles glissades contrôlées lundi lors de sa victoire contre Alex de Minaur, a fait des émules. Ou plus exactement deux émules : Jannik Sinner et Carlos Alcaraz, les deux seuls joueurs à avoir hissé la qualité de leur déplacement sur gazon à la hauteur de celui du "maître". Concernant Sinner, même si on a vu qu'il avait encore des progrès à faire avec cette vilaine chute contre Grigor Dimitrov, la filiation est évidente : comme Djokovic, l'Italien a énormément skié dans sa jeunesse.
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Video credit: Eurosport

"Le ski et le tennis sont évidemment deux sports complètement différents, mais je crois que la pratique du ski m'a aidé à garder mon équilibre dans les glissades, expliquait-il il y a deux ans au site américain interviewmagazine. Et puis, il y a le côté mental. Quand je skiais, je savais que je pouvais me faire très mal. Au tennis, on peut à la limite se faire une entorse, mais pas mourir. Donc je n'ai pas peur de glisser. Et cela peut faire une grande différence."  
Il y a deux ans, une vidéo de Tennis TV diffusant quelques glissades bien senties de Sinner lors de sa victoire contre Lorenzo Sonego à Halle avait d'ailleurs amusé certains de ses pairs. "Comment tu fais pour glisser sur herbe ?", s'était amusée la joueuse australienne Daria Saville en repostant le tweet. "Si je fais ça, je pense que ma cheville se casse en deux", lui avait répondu son compatriote Thanasi Kokkinakis. Preuve que la glissade sur gazon restait, et reste encore aujourd'hui, quelque chose d'assez surréaliste pour le commun des mortels.
Et pourtant, de manière peut-être plus surprenante pour un joueur estampillé plutôt "terrien", Carlos Alcaraz est lui aussi venu se rajouter au club select' des rois de la glisse sur herbe. Ses qualités athlétiques hors normes le lui permettent, sans doute. Mais encore lui fallait-il passer un petit cap mental et aussi, sans doute, un petit cap technique. Car la glissade sur gazon est avant tout un vrai geste technique, et le Murcien concède qu'il lui faut toujours un petit temps d'adaptation avant de s'y mettre. Un temps qui se réduit d'année en année.
"Cette année, j'ai commencé à glisser plus tôt que les années précédentes, déclarait-il ainsi après sa victoire contre Andrey Rublev, dimanche, en huitièmes de finale. En 2023, je m'étais mis à glisser seulement en finale, il me semble. L'an dernier, je crois que c'était à partir du troisième tour contre Frances Tiafoe. Mais cette année, j'ai commencé à glisser dès le tournoi du Queen's. Au début, en fait, j'ai un peu peur de glisser sur gazon. Et puis, au bout d'un moment, l'appréhension s'envole et je commence à me sentir beaucoup mieux. Pour moi, c'est très important de glisser sur herbe car c'est ce qui me donne confiance en mon déplacement. Cela me procure une sensation de liberté."
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Carlos Alcaraz lors de son succès contre Andrey Rublev en huitième de finale de Wimbledon 2025.

Crédit: Getty Images

Djokovic, Sinner, Alcaraz, ou peut-être Gaël Monfils, Kim Clijsters et Michael Chang avant eux. Au-delà des noms, les pionniers de la glissade sur les surfaces "autres" que la terre battue sont surtout le reflet de leur temps, et d'une accélération du jeu au fil des années. Au bout d'un moment, on finit par arriver à des vitesses si extrêmes qu'il n'y a plus tellement le choix : pour avoir une chance de toucher la balle, il faut glisser, quel que soit le revêtement, quelle que soit la difficulté technique et, on a envie de dire, quelle que soit la dangerosité.
L'une des choses qui m'impressionne le plus chez Alcaraz, c'est que sa vitesse diminue moins que celle des autres. On a presque l'impression de voir un vaisseau spatial face à des avions classiques.
Récemment invité du podcast Served d'Andy Roddick qui lui demandait ce qui avait le plus changé depuis le temps où il jouait (il a pris sa retraite en 1994, NDLR), Darren Cahill, l'un des deux coaches de Jannik Sinner, mettait en avant deux choses : l'équipement, et la capacité à glisser partout. "Les joueurs d'aujourd'hui ont vraiment incorporé la glissade dans tous leurs coups, estime le technicien australien. Ainsi, ils vont et ils viennent dans tous les coins du court à pleine vitesse. Et ça, c'est vraiment nouveau. Même Roger Federer, le joueur le plus élégant que j'ai pu voir sur gazon, ne glissait pas dessus. L'aspect physique, donc la manière de se déplacer sur le terrain, a énormément changé."
Andre Agassi, qui a lui aussi été entraîné par Cahill à la fin de sa carrière, fait le même constat en évoquant plus précisément le cas Carlos Alcaraz. "L'une des choses qui m'impressionne le plus chez lui, quand je le regarde sur des surfaces glissantes comme la terre battue ou le gazon, c'est que sa vitesse diminue moins que celle des autres, faisait observer à Roland-Garros l'ancien numéro un mondial. Il y a d'autres joueurs très rapides, comme Tommy Paul ou Alex de Minaur, mais quand on les voit glisser, on sent une légère perte de confiance dans leur équilibre et leur mouvement. Alcaraz, jamais. Au bout du compte, on a presque l'impression de voir un vaisseau spatial face à des avions classiques."
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