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"You cannot be serious !" : Il y a 40 ans, le craquage le plus légendaire de McEnroe

Laurent Vergne

Mis à jour 22/06/2021 à 15:54 GMT+2

WIMBLEDON – C'était il y a 40 ans, jour pour jour. Le 22 juin 1981, lors de son premier tour face à son compatriote Tom Gullikson, John McEnroe se lançait dans une tirade envers l'arbitre qui est passée depuis à la postérité. C'est le fameux "You cannot be serious". L'Américain avait ce jour-là flirté avec la limite du tolérable, même selon les standards de l'époque.

John McEnroe et son fameux "You cannot be serious".

Crédit: Getty Images

Ce match, tout le monde l'a oublié. De façon presque paradoxale. "C'est devenu un des moments les plus célèbres de ma carrière, mais presque personne ne se souvient quand j'ai joué ce match, ni contre qui", rappelait à juste titre John McEnroe dans son autobiographie.
C'était donc le 22 juin 1981, il y a tout juste 40 ans. C'était à Wimbledon, au 1er tour, et le gaucher le plus génial de l'histoire du tennis affrontait ce jour-là Tim Gullikson. De cette rencontre, il reste quatre mots : "You cannot be serious". Ils sont si célèbres et emblématiques du personnage que lorsque McEnroe a publié le récit de sa vie, il a intitulé le livre de cette façon.
Une séquence mythique, incarnation parfaite de la légende noire de McEnroe, alors davantage surnommée "Superbrat", le sale gosse, que "Big Mac". A 22 ans, le New-Yorkais est déjà une star. Un statut conquis grâce à ses victoires, puisqu'il a déjà remporté à deux reprises l'US Open, et à une défaite, celle concédée en finale de Wimbledon un an plus tôt, contre Björn Bog. Un match qui l'a fait grandir, malgré la cruauté du dénouement, et qui a en partie modifié le regard du grand public sur le frisé du Queens. A défaut de remporter le titre lors de cette finale londonienne de 1980, McEnroe a gagné du respect. Mais le "You cannot be serious !" va gâcher une partie de ce crédit chèrement acquis.

Le pire ? McEnroe avait "raison"

Ce 1er tour, l'Américain va le plier en trois sets : 7-6, 7-5, 6-3. Tom Gullikson s'accroche comme il peut, mais le frère jumeau de Tim, futur coach de Pete Sampras (ils se ressemblaient tellement qu'ils étaient impossibles à reconnaître, au point que lorsque Brian Gottfried croisait l'un des deux frangins, il les saluait toujours d'un "Hello Tim-Tom" pour être certain de ne pas se tromper) n'a pas les armes pour enquiquiner son compatriote durablement. Non, ce jour-là, sur le vénérable Court numéro 1 alors adossé au Centre Court, le principal adversaire de McEnroe se nomme Edward James. Il n'a pas de raquette en mains.
Quinquagénaire affable au flegme tout britannique, Edward James croise McEnroe dans le vestiaire avant d'entrer sur le court. "Il m'a dit 'Je suis Ecossais, donc nous ne devrions pas avoir de problèmes aujourd'hui', a raconté McEnroe. Je suppose que comme mon nom commençait par 'Mc', il a dû se dire qu'on était des frangins. Je lui ai répondu, sèchement : 'Je suis d'origine irlandaise.'" Le ton était donné. De son propre aveu, le numéro 2 mondial était souvent nerveux dans les premiers tours des tournois du Grand Chelem. Mais ce 22 juin, il se souvient d'une nervosité extrême : "J'étais plus tendu qu'une corde de piano". Il ne va lui falloir que quelques minutes pour dégoupiller.
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Une main unique et un caractère à l'unisson : John McEnroe, la tête de pioche du circuit, ici en 1981.

Crédit: Getty Images

A 5-4 contre lui dans le deuxième set, John McEnroe est au service. Quelques instants plus tôt, il vient de fracasser sa Wilson Pro Staff après une annonce qu'il juge douteuse. Il est au bord de l'ébullition. Sur sa mise en jeu, l'Américain croit claquer un ace plein centre. Mais le juge de ligne annonce la balle faute, dans le mauvais carré de service. Le hawk-eye n'est même pas encore un projet à l'époque, mais, sans excuser quoi que ce soit de ce qui va suivre, il semble que les images donnent raison à McEnroe. Sa balle avait semble-t-il accroché la ligne.
Alors qu'il était prêt à aller servir côté extérieur, Mac s'est arrêté net en entendant l'annonce. Il se tourne alors vers l'arbitre, et plaide que de la craie blanche a volé, ce qui tend à prouver que la balle a bien touché la ligne. "C'est de la craie qui était de l'autre côté de la ligne, monsieur McEnroe", répond l'arbitre. Le joueur n'a pas entendu. "Excuse me ?", demande-t-il alors calmement et poliment. Cette ouverture de dialogue est encore plus savoureuse a posteriori quand on sait ce qu'il s'apprête à dire. Edward James lui confirme que la balle était longue. Et c'est parti pour le pétage de plombs :
"But you can't be serious, man. YOU CANNOT BE SERIOUS ! The ball was on the line. Chalk flew up. It was clearly in. How can you possibly call that out ? How many you can miss ??? Everybody knows it's in. The whole stadium. And you call it out ? Explain that to me, will you ?"
"Vous n'êtes pas sérieux. Vous ne pouvez pas être sérieux !! La balle était sur la ligne. La craie a volé. Elle était clairement bonne. Comment pouvez-vous l'annoncer faute ? Combien vous allez en rater ? Tout le monde a vu qu'elle était bonne. Tout le stade. E vous l'annoncez dehors ? Expliquez-moi ça, voulez-vous."
You guys are the absolute pits of the world, you know that ?
C'est une séquence qui se regarde et s'écoute plus qu'elle ne se lit, pour en saisir tout le sel. Nous ne saurions donc trop vous conseiller d'y jeter un œil si elle vous est étrangère. Le changement d'intonation entre les deux premières phrases va faire entrer dans la légende ce "You cannot be serious", lâché dans ce que McEnroe appellera "un cri venu du fond du Queens pour traverser les âges".
Tout est savoureux ici. Le You Cannot be serious, bien sûr. La voix soudain rocailleuse sous la colère. Mais aussi le contraste entre le coup de gueule de Johnny Mac et la quasi-courtoisie de certaines formulations sur la forme, comme ce "will you ?" à la fin. La gestuelle vaut le détour aussi. Une fois sa diatribe achevée, la première partie en tout cas, McEnroe croise les bras en attendant la réponse, tel un gamin boudant parce qu'on l'a privé de dessert. La réaction placide d'Edward James vaut aussi son pesant de fraises londoniennes. Il reste d'un calme imperturbable, continue d'aligner les "Mister McEnroe" et tente d'argumenter.
L'histoire aurait pu s'arrêter là et c'est d'ailleurs cette passe d'armes qu'elle a choisi de retenir. Ce ne fut pourtant pas le moment le plus tendu de l'après-midi. Quelques minutes passent encore. Gullikson est au service à 1-1, 0-30, dans le troisième set. John McEnroe perd le point et après s'être retenu de fracasser une nouvelle raquette sur le filet (ou sur le ramasseur de balles qui passait par là et a dû avoir une petite suée), il se tourne à nouveau vers son nouveau meilleur ami, Edward James. "You guys are the absolute pits of the world, you know that ?".
En gros, vous êtes les pires ordures du monde. Il s'adresse à M. James mais le pluriel indique bien que, pour McEnroe, il n'y a là rien de personnel. C'est toute la corporation des juges de chaise qui prend. Ironiquement, l'arbitre a mal compris l'insulte de McEnroe. Sur son carnet, il note : "You guys are the absolute piss of the world". Ceci étant précisé, ordure, pisse, ne jouons pas sur les mots.
"I'm going to award a penalty point against you, mister McEnroe", annonce alors Edward James, toujours stoïque, sous les applaudissements du public. Cette fois, c'en est trop. "Vous êtes trop incompétent", balance l'Américain. Il demande l'intervention du juge-arbitre. "Vous allez l'appeler ?Je peux attendre, pas de problème". "Yes", réplique calmement l'arbitre en décrochant le téléphone posé sur sa chaise.
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Entre John McEnroe et Edward James, un grand moment d'incompréhension mutuelle.

Crédit: Getty Images

S'il était 120e mondial, il aurait été exclu aujourd'hui
En attendant l'arrivée de Fred Hoyles, le tandem poursuit sa petite discussion, sous le regard de Tom Gullikson, qui s'est approché. Après tout, lui voulait juste jouer au tennis. "Vous m'avez insulté, monsieur McEnroe. Je vous ai prévenu. 20 fois."
Sur ces entrefaites, arrive le juge-arbitre. "Allez-y, répétez ce que je vous ai dit, je n'ai rien dit d'obscène", lance McEnroe. Puis il lâche une phrase qui, aujourd'hui, lui vaudrait directement l'exclusion : "Je ne vais pas perdre un point parce que ce type est un idiot incompétent." "Intelligemment (ou pas), dira McEnroe, je me suis bien tourné vers le micro des caméras pour être sûr que tout le monde entende." Il n'obtient évidemment pas gain de cause et après un "merde !" cinglant, va reprendre son match et le gagner en trois sets.
S'il est difficile quarante ans après de ne pas être amusé par la séquence et la maîtrise d'une certaine théâtralité du génie new-yorkais, McEnroe s'attire alors les foudres de tout le monde. Tom Gullikson résume le sentiment général après la rencontre : "Ce genre de comportement n'a rien à faire là. Il suffirait de le virer pour le calmer. S'il était 120e mondial, il aurait été exclu aujourd'hui. Le problème, c'est qu'ils (les arbitres) ont peur de ces types-là."
Dans la presse anglaise, c'est la curée. "Honte sur le Superbrat", "John McEnroe touche le fond". "Dans un tabloïd, se souvient le gaucher, ils ont même fait appel à un psychiatre, qui a conclu que j'étais un 'extraverti hystérique'. Hystérique, je veux bien, mais extraverti, j'ai un doute." Après un acte de contrition, John McEnroe va écoper d'une amende de 1500 livres, dérisoire en apparence, mais historique par son ampleur à l'époque. 750 pour obscénité et autant pour conduite antisportive. Avec une menace : à la prochaine incartade, ce sera la porte.
C'était la première fois que je l'arbitrais, et ce fut aussi la dernière
Le "Superbrat" va se tenir à peu près convenablement le reste de la quinzaine, dont il sortira vainqueur, décrochant le premier de ses trois Wimbledon tout en mettant un terme au long règne de Borg. "J'avais dit à mon père que si je gagnais le tournoi, je partirais avec le trophée et je ne remettrais jamais les pieds ici." Il ne tiendra pas son absurde parole, heureusement.
Avec le recul, la sagesse atténuera son propos. "Je tiens à vous le dire, écrira-t-il dans son autobiographie. J'avais honte de moi. Je me suis souvent excusé dans ma carrière, auprès de joueurs ou d'arbitres. Et à ceux qui ont été offensés un jour par mon comportement et auprès de qui je ne me suis jamais excusé, je tiens à le faire ici."
Edward James, lui, n'a jamais reçu d'excuses directes. "En réalité, c'est la dernière fois que nous nous sommes adressés la parole. C'était la première fois que je l'arbitrais, et ce fut aussi la dernière", a-t-il expliqué. Edward James est mort au début de l'année 2021, à l'âge de 91 ans. Bien malgré lui, il est entré ce jour-là, à sa façon, dans l'histoire du tennis. John McEnroe a connu d'autres accrochages épiques avec des arbitres, il finira même par se faire virer, à l'Open d'Australie, neuf ans plus tard. Mais rien n'égalera jamais le "You cannot be serious" du 22 juin 1981.
John McEnroe : You cannot be serious !"
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