Ils sont sortis de l'enfer

La victoire est en eux. Il n'y a pas d'autre explication. Peu importe l'adversaire, les circonstances, le lieu. Peu importe même le score. Ces Bleus là sont invincibles. C'est comme ça, et ça fait sept ans que ça dure. "Je ne sais pas comment l'expliquer, mais on ne se voyait pas perdre, explique Jean-Michel Lucenay. Il y a toujours quelque chose qui fait que nous restons unis." Pourtant, à 26-17 en faveur des Etats-Unis au cœur de cette finale, le titre paraissait bien loin, comme le fameux record de la Scherma Azzura, qui avait dominé le monde sept années de suite dans les années 50. L'épée française, elle, était à six samedi matin, après ses quatre titres mondiaux et les deux médailles d'or olympique conquis depuis 2004. Elle a décroché son 7e ciel.

Même si tout peut aller très vite dans une finale par équipes, neuf touches d'écart au début du 6e relais, l'affaire était plus que mal embarquée. Gauthier Grumier venait de prendre un terrible trou d'aire face au virevoltant Ben Bratton. "J'ai perdu les pédales, avoue le vice-champion du monde. Sur le coup, je pense que j'ai tout foutu en l'air et qu'on ne sera pas champions à cause de moi. Je n'arrivais même pas à m'asseoir. Je ne pouvais même pas regarder le relais d'Ulrich. Puis on a eu un gros débrief avec Hugues Obry et Patrice Menon. Ils m'ont soufflé dans les bronches, ça m'a fait du bien."

Pendant que Grumier encaisse la tempête force 10, ses potes réparent les dégâts. Grâce à trois relais phénoménaux d'Ulrich Robeiri (par deux fois) et Jean-Michel Lucenay, l'équipe de France va repasser devant. Quand Gauthier Grumier revient sur la piste pour conclure cette finale, il a trois touches d'avance (34-31). Cette fois, il ne craque pas. "Ils m'ont dit de me lâcher, de me faire plaisir, reprend Grumier, qui va maitriser Weston Kelsey, qu'il avait déjà dominé lundi dernier dans le tournoi individuel. Là, je mets une touche d'entrée et tout s'enchaine. Il y a eu un truc de magique à la fin. Au moment de la touche finale, je ne savais pas ce que j'allais faire. C'est une grosse émotion."

Cette victoire, avant d'être technique, est de l'ordre de la force psychologique. "Je pense que techniquement, les Américains étaient nettement moins forts que nous, juge Hugues Obry, ancien champion du monde et aujourd'hui entraîneur adjoint. Ils le savent. Mais ils s'engagent à fond et par équipes, les considérations techniques s'estompent. Il a fallu répondre sur ce terrain là." C'est sur ce terrain là que Grumier a d'abord coincé, avant de se ressaisir. C'est sur ce terrain là que Robeiri et Lucenay ont répondu aux Américains. Coup pour coup.

Plus qu'une finale, ce fut un combat, ce fut un véritable match de boxe. "Ouais, c'est exactement ça", résume Lucenay quand on lui soumet la métaphore. "Ce qu'on a fait aujourd'hui, c'est au-delà du sport, ajoute-t-il. Je ne sais pas trop comment le décrire. Pour nous battre, il faut vraiment être très, très fort. C'est le mental qui a joué. D'autant qu'il a vraiment fallu se battre toute la journée. Tous les matches ont été accrochés. Mentalement, on s'est mis minables. Et en finale, franchement, c'est le scenario rêvé, avec le retournement de situation, le public qui était en feu." Pour la 7e année consécutive, les voilà donc seuls sur le toit du monde, ou de l'Olympe. Une histoire de talent, de travail. "Une histoire de fous, comme cette finale", sourit Ulrich Robeiri.