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Comment Red Bull a boosté Leipzig et remis l'Allemagne de l'Est sur la carte de la Bundesliga

David Lortholary

Publié 20/10/2016 à 10:59 GMT+2

Même les habitués de la Bundesliga se frottent les yeux : le RB Leipzig est sur le podium de la Bundesliga, deux petites longueurs derrière le Bayern Munich ! Pourtant, si la présence de ce "nouveau riche" dans le paysage est inédite, elle n'est en rien le fruit du hasard.

RB Leipzig

Crédit: Panoramic

Comme sur les autres, le piège du Rasenballsport Leipzig s’est refermé sur Wolfsburg. Implacablement. Les Loups, pourtant à domicile le week-end dernier, se sont à leur tour laissé surprendre par cet adversaire compact, solidaire et tenace qui terrasse à peu près tout ce qui se trouve sur son passage. Le dernier promu avant Leipzig toujours invaincu au terme des 7 premières journées était Kaiserslautern, en 1997-1998. Cette saison-là, performance unique dans l’histoire, le club a fini champion…
Leipzig n’en est pas encore là mais sa progression, irrémédiable depuis la création du club il y a seulement sept ans, impressionne. Et ne laisse pas indifférent : le sujet RB Leipzig est l’un des plus brûlants en ce moment en Allemagne. “RB” – pour Rasenballsport et non Red Bull car le naming est interdit outre-Rhin – est le club le plus contesté de l’histoire du football allemand. Ses adversaires dénoncent l’artifice de ces millions d’euros investis qui, avancent-ils, détruisent la concurrence. Ses partisans constatent que du bon football est enfin produit dans l’Est de l’Allemagne.
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L'équipe de Leipzig

Crédit: Panoramic

Que le club s’appelle Red Bull ou Nutella m’est totalement égal
Leipzig est l’une des grandes villes de la région de Saxe, aux confins de la République tchèque. Ses clubs, depuis le siècle dernier, n’ont pas cohabité dans la concorde, en témoigne la tradition de violence régionale, notamment dans les derbies entre FC Leipzig et Lokomotiv Leipzig. “Que le club s’appelle Red Bull ou Nutella m’est totalement égal. Il y a enfin du bon football ici, et surtout un football apaisé”, constate à ce sujet un fan du RB. Le public, au stade, est aux antipodes du supportérisme ultra : il est au contraire ultra familial, abritant beaucoup d’enfants et de femmes. C’est un public amical, qui applaudit. Naïfs, les supporters du RB ? Sans doute plutôt pragmatiques. Et conscients, surtout, que leur club représente l’espoir pour le football de l’Est de l’Allemagne de parvenir au niveau européen. Avec une dose d’autodérision : “Red Bull mit Cola, Red Bull mit Wodka, Red Bull für uns und ganz Europa” (Red Bull au cola, Red Bull à la vodka, Red Bull pour nous et pour toute l’Europe), s’amuse une chanson entonnée dans le stade.
Sans avoir éteint tout pluralisme régional, RB agrège les différents clubs passés de Leipzig. “Chaque jour, ici, nous construisons notre propre tradition, notre propre histoire footballistique”, estime Tim Thoelke, l’homme qui s’agite à l’intérieur de Sakko, la mascotte du club. RB a ouvert une nouvelle ère, où la traditionnelle “currywurst” (saucisse au curry) et la bière ont laissé la place à la limonade sucrée. “Leipzig pourrait devenir un club comme Dortmund ou Schalke”, n’en croyait pas moins Gérard Houllier, alors directeur sportif de Red Bull, en 2014. “La seule différence entre le Barça, le Bayern et RB Leipzig, c’est que dans 500 ans, ces clubs auront 600 ans, et nous 500”, formule avec malice Dietrich Mateschitz, le milliardaire autrichien qui finance le développement du club.

Les millions de Mateschitz

Né le 20 mai 1944, de descendance croate, le très discret Mateschitz est l’homme le plus riche d’Autriche, à la tête d’une fortune estimée à environ 10 milliards d’euros. Commercial pour les cafés Jacobs puis fondateur des dentifrices Blendax, il est évidemment connu pour avoir co-fondé le fabriquant de boisson Red Bull en 1984. Passionné et collectionneur d’avions, il est engagé en Formule 1 et d’autres disciplines sportives diverses, dont le football, donc, avec New York, Salzbourg et Leipzig. Mateschitz, dans ce dernier chapitre, a tout du même eu besoin d’un peu de patience. La première tentative d’investir à Leipzig date de 2006, au FC Leipzig. Cette velléité s’est soldée par un échec devant le refus fédéral et la fronde des supporters. Qu’à cela ne tienne, le Rasenballsport Leipzig sera créé le 19 mai 2009 sur les vestiges du SSV Markrandstädt, club évoluant en 5e division, et du FC Leipzig.
Monté en 4e division en 2010, en 3e division en 2013 et en 2e division en 2014, “RB” atteint la Bundesliga au printemps 2016, 7 ans seulement après sa création. Tout au long de ces années, Mateschitz, aussi discret qu’efficace et déterminé, investit des dizaines de millions d’euros. 18,6 millions d’euros sont notamment déboursés pour les transferts en 2015, soit 2,1 de plus que les 17 autres clubs de 2e division allemande réunis… L’été dernier, environ 50 millions ont été dépensés et la balance des transferts, sans surprise, s’est affichée comme la plus déséquilibrée du pays.
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Dietrich Mateschitz

Crédit: AFP

Au début de l’aventure, Dietrich Mateschitz mettait son nez partout, choisissait jusqu’au design des maillots, changeait de personnel tous les mois… le mécène a pris beaucoup de recul depuis. Il peut compter sur ses hommes forts, sur le terrain, que sont Ralf Rangnick et Ralph Hasenhüttl. Le premier nommé, alias “der Professor” en raison, entre autres, de ses notes excellentes lors du passage de ses diplômes d’entraîneur, a l’expérience des gros projets financiers. Il était en effet de l’aventure Hoffenheim, le club d’un autre milliardaire, Dietmar Hopp, qu’il a contribué, comme entraîneur, à faire monter en Bundesliga.
Champion d’automne dès la 1e saison, le TSG faisait sensation, jusqu’en décembre 2008, avant la blessure de son avant-centre vedette Vedad Ibisevic, qui fait aujourd’hui les beaux jours du Hertha Berlin. Rangnick a également participé aux récents succès de Schalke, en 2005 puis en 2011, avant d’être victime d’un burn-out en septembre 2011. De retour comme directeur sportif à Salzbourg en juin 2012, il a débarqué à Leipzig comme coach, en 2015, le temps de faire monter le club en Bundesliga, de se faire arroser par ses joueurs, et de prendre à nouveau un recul mesuré comme directeur sportif.

La "filiale" Salzbourg

L’Autrichien Ralph Hasenhüttl, en provenance d’Ingolstadt, lui a succédé cet été. International à la fin des années 1990, Hasenhüttl a fait ses gammes de coach dans la banlieue de Munich, à Unterhaching, de 2004 à 2010. Il s’y est occupé des jeunes, a dépanné comme intérimaire, y est devenu entraîneur adjoint puis entraîneur principal. À Ingolstadt de 2013 à 2016, il a remporté la Bundesliga 2 avec cet autre club bavarois, qu’il a donc fait monter en Bundesliga où il s’est aisément maintenu la saison dernière. Avec Rangnick et Hasenhüttl, Mateschitz dispose d’hommes de terrain efficaces et à poigne.
Mais cette efficacité dans les ressources humaines managériales se double d’un système de profonds vases communicants avec les “filiales” que constituent, pour Leipzig, le club de Salzbourg et à un degré moindre celui de New York. Le club allemand se sert de ses partenaires comme d’un laboratoire de joueurs, soit pour les faire monter en température s’ils sont encore tendres, soit pour les “évacuer” facilement s’ils ne sont pas ou plus compétitifs.
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RB Leipzig

Crédit: AFP

Ce système de “clubs frères” n’est pas inédit en Europe – le Chelsea d’Abramovitch avec le Vitesse Arnhem de Tchigirinski en sont un autre exemple – mais RB l’utilise sans scrupules. Au mercato de l’été 2016, quatre joueurs ont transité de Salzbourg vers l’Est de l’Allemagne moyennant finances : le Guinéen Naby Keita (21 ans, 15 M€), le Brésilien Bernardo (21 ans, 6 M€), l’Allemand Benno Schmitz (21 ans, 0,9 M€) et l’Israélien Omer Damari, dont le cas est différent des trois autres : à 27 ans, en fin de prêt, il est ensuite parti… à RB New-York. Un an plus tôt, l’amplitude des transferts était encore plus forte : pas moins de six joueurs (le Belge Bruno, les Autrichiens Sabitzer et Ilsanker, les Allemands Bredlow et Quaschner et le Hongrois Gulasci) avaient été transféré de Salzbourg à Leipzig, dont trois en fin de prêt.

Le jeunisme comme atout

Leipzig peut ainsi s’appuyer à l’envi sur un réservoir de jeunes performants, et ne s’en prive pas. Au-delà de la dimension financière, c’est même cet aspect qui l’installe comme un club crédible, voire compétitif en haut de tableau, pour les saisons à venir. Un centre d’entraînement ultra-moderne a ouvert il y a un an, pour un coût estimé à pas moins de 30 millions. Toutes les équipes de jeunes du club jouent dans la division la plus élevée. Leipzig affiche la moyenne d’âge la plus basse de Bundesliga (23,9 ans), devant Leverkusen (24,1 ans) et Schalke (24,4 ans). De quoi courir, et courir beaucoup, pour perturber le jeu adverse. C’est un souhait de Ralf Rangnick : ne recruter que des joueurs de moins de 24 ans.
Et c’est ainsi que Leipzig a réussi un énorme coup en enrôlant cet été Timo Werner, l’international espoir du VfB Stuttgart, pour 10 millions à la barbe des grands clubs. “Je me réjouis de faire partie de ce qui se construit ici, et peut-être de voir grandir le club sur du long terme”, explique le jeune prodige. “C’est vraiment quelque chose de tout nouveau. Venir d’un club traditionnel vers un club qui va le devenir”. Pour entrer dans les cœurs de l’Allemagne du football, il va néanmoins encore falloir de la patience.
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