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Etats-Unis - Mexique : Un Clasico entre rivaux qui n'ont jamais été aussi liés

Thomas Goubin

Mis à jour 09/10/2015 à 23:58 GMT+2

Dans la nuit de samedi à dimanche (3 heures), Etats-Unis et Mexique, les deux grands ennemis de la Concacaf et deux derniers vainqueurs de la Gold Cup, s'affronteront pour un billet pour la Coupe des confédérations. Mais au-delà de la rivalité entre les deux voisins, le football mexicain et américain entretiennent aujourd'hui une relation complexe et des destins entrelacés.

Cirilo Saucedo face aux Etats-Unis en avril dernier

Crédit: AFP

"Quand le Mexique nous envoie ses gens, ils n'envoient pas les meilleurs éléments, ils envoient ceux qui posent problèmes. Ils apportent avec eux la drogue. Ils apportent le crime. Ce sont des violeurs." Ces derniers mois, les déclarations incendiaires de Donald Trump ont tendu les relations entre les USA et le Mexique. Chez le voisin du sud, l'indignation face à ces propos a été telle qu'elle a même conduit le microcosme du football à s'aventurer sur le terrain politique. Lors de la dernière Gold Cup, l'ex-sélectionneur d'El Tri, Miguel Herrera, assurait ainsi que le candidat républicain à l'investiture "avait perdu le vote latino". Plus récemment, TV Azteca, diffuseur de la sélection mexicaine, a promu le match Etats-Unis - Mexique, qui se disputera samedi au Rose Bowl de Pasadena (Californie), en retournant les propos de Donald Trump, à son encontre.
Les rencontres entre Etats-Unis et Mexique ont toujours été un peu plus qu'un match de football. Surtout pour le pays d'El Chicharito. Car le ballon rond est l'un des rares domaines où le Mexique se trouve dans la position du dominant vis à vis du grand voisin du nord. Un revers face aux "gringos" peut alors être vécu comme une véritable tragédie nationale, comme ce fut le cas lors du 8e de finale de la Coupe du monde 2002 (0-2). Question d'orgueil. Côté américain, le Mexique, avec qui le rapport de force s'est équilibré au siècle présent, est le meilleur ennemi que l'on aime chambrer en cas de victoire. Le hashtag "dosacero" (deux à zéro), le score sur lequel le Team USA a pris l'habitude de dominer El Tri, a ainsi animé l'avant-match du barrage pour la Coupe des confédérations 2017.
Mais derrière la rivalité entre les deux sélections, il existe aussi une relation gagnant-gagnant entre les deux pays. Ainsi, la Fédération mexicaine réalise une bonne part de son chiffre d'affaire sur le sol américain, où elle organise la plupart de ses matches amicaux. La raison ? La communauté mexicaine, qui regrouperait près de 35 millions de personnes selon une étude du Pew Research Center, est un public captif, qui ne regarde pas le nom de l'adversaire quand il s'agit d'avoir l'opportunité d'assister à un match d'El Tri et de vivre ainsi un moment de communion nationale dans son pays d'exil. Le 1er juillet, un amical préparatoire pour la Gold Cup entre Honduras et Mexique s'était ainsi joué devant 70 000 personnes, à Houston. Une belle recette en dollars pour la Fédération, bien supérieure à ce qu'aurait généré la même rencontre à Mexico, Guadalajara, ou Monterrey. Samedi, le Mexique disputera son quatorzième match de l'année sur le sol américain...
Etre chez toi, mais savoir que l'accueil sera hostile, c'est vraiment difficile à vivre
A Pasadena, dans la banlieue de Los Angeles, les Etats-Unis joueront sur leur territoire. Mais difficile d'estimer qu'ils évolueront à domicile, car les 93 000 sièges du Rose Bowl devraient avant tout être occupés par des supporters mexicains, même si la Concacaf a mis en place un système de billetterie pour éviter une présence trop écrasante des visiteurs, dans une région à forte migration mexicaine. En 2011, au terme de la finale de la Gold Cup jouée dans ce même stade, Tim Howard, le gardien américain, s'était d'ailleurs agacé que cette domination mexicaine dans les tribunes conduise à ce que la cérémonie de remise du trophée soit réalisée en espagnol. "Etre chez toi, mais savoir que l'accueil sera hostile, c'est vraiment difficile à vivre", nous confie l'international américain, Herculez Gomez, né de parents mexicains, mais qui s'est révélé au haut niveau en évoluant en LigaMX, le championnat mexicain, dont il a été le meilleur buteur en 2010.

Né aux Etats-Unis de parents mexicains : l'exemple Alvarado

Il se nomme Ventura Alvarado. Ce jeune homme de 23 ans cristallise sur sa personne la relation antagonique, mais aussi complexe et entrelacée entre football américain et mexicain. Né aux Etats-Unis de parents mexicains, ce défenseur est titulaire à l'América, le club le plus puissant du Mexique, et a été retenu par Jürgen Klinsmann pour le barrage face au Tri. Il a grandi à Phoenix et a commencé à se distinguer dans une filiale américaine du club mexicain, de Pachuca. Dès ses 14 ans, il décide alors de partir au Mexique, avec l'appui de ses parents, qui avaient pourtant fait le trajet inverse avant sa naissance pour chercher une vie meilleure.
Après Pachuca, le défenseur intègrera finalement le centre de formation de l'América. Dans un environnement beaucoup plus compétitif que celui qu'il trouverait aux Etats-Unis, Ventura savait qu'il grandirait plus vite qu'aux USA, où la densité en talents se révèle beaucoup plus faible. "D'un côté vous avez un championnat qui a 100 ans, introduit Herculez Gomez, qui, à 33 ans, évolue à présent au Toronto FC, et de l'autre une MLS qui a 20 ans, qui a bien travaillé, mais où le système de draft, qui se base sur le talent universitaire, empêche de faire ses débuts pros avant ses 20-21 ans et de s'entraîner à temps plein, sans parler de la barrière économique que représente une inscription à l'université".
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Ventura Alvarado avec les Etats-Unis

Crédit: Panoramic

Sauf à intégrer la caste des "designated players", Ventura Alvarado savait qu'il pourrait beaucoup mieux gagner sa vie au Mexique que dans son pays de naissance. Il n'existe pas de chiffre officiel, mais le salaire moyen annuel d'un joueur de LigaMX approcherait les 400 000 dollars annuels, selon diverses enquêtes. Aux Etats-Unis, en revanche, la transparence est de mise, et permet de constater, par exemple que sur les trente joueurs de l'effectif des Los Angeles Galaxy, dont le Mexicain, Giovani dos Santos, est la star, 22 touchent moins de 200 000 dollars annuels. Pour le footballeur chicano (américano-mexicain qui a grandi aux Etats-Unis), le Mexique représente un Eldorado, et la MLS, un pari risqué. Autrement dit, en termes de football, le peso pèse plus lourd que le dollar.
Mon rêve est qu'une sélection m'appelle, que ce soit les Etats-Unis ou le Mexique
Né aux Etats-Unis, formé au pays d'Hugo Sanchez, Alvarado se sent-il mexicain ou américain ? Quand la question du choix de la sélection s'est posée à un jeune homme qui parle mieux espagnol qu'anglais, le défenseur né en Arizona, un ancien territoire… mexicain, avait avant tout exhibé son indécision. "Mon rêve est qu'une sélection m'appelle, que ce soit les Etats-Unis ou le Mexique", avait-il déclaré en 2014, une réponse qui avait été peu appréciée des deux côtés du Rio Grande. Finalement, Jürgen Klinsmann sera le premier à le réquisitionner… A défaut de disposer d'un système de formation efficace, la fédération américaine se révèle au moins prompte à repérer des binationaux qui évoluent au Mexique.
L'histoire de Ventura Alvarado, formé au Mexique pour le bénéfice de la sélection américaine, n'a d'ailleurs rien d'un épiphénomène. Car, pour les clubs de LigaMX, les Etats-Unis sont devenus un terrain de chasse privilégié. Ils y installent des académies et profitent aussi des détections organisées depuis 2008 par Alianza futbol, une organisation qui s'adresse, en priorité, aux jeunes footballeurs latinos. "Cette année, 7000 joueurs ont participé à nos détections, nous indique Joaquin Escoto, son attaché de presse, notre organisation permet d'élargir le panorama de détection des clubs mexicains, alors qu'un règlement empêche les clubs de MLS de recruter au-delà d'un rayon de 80 kilomètres autour de leurs installations." Selon un décompte réalisé par ESPN, les Américano-Mexicains seraient près de soixante à peupler les centres de formation du Mexique.
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Jürgen Klinsmann

Crédit: Imago

S'il existe un club qui incarne cette tendance, ce sont les Xolos Tijuana. Pour Ignacio Palou, directeur sportif de l'équipe frontalière, les joueurs recrutés en Californie, au Texas, ou en Arizona, ont "le meilleur du Mexicain et de l'Américain, la malice et la discipline" comme il le déclarait à So Foot, en 2014. Les Xolos peuvent d'ailleurs être considérés comme le meilleur centre de formation... américain. Une moitié du onze titulaire de son équipe U20 est ainsi née aux Etats-Unis. Dans un documentaire dédié au club, Jürgen Klinsmann félicitait les Xolos pour leur oeuvre.

Au final, ils sont complémentaires

C'est finalement un peu comme si Etats-Unis et Mexique se répartissaient les tâches. Alors que le pays du sud attire les talents chicanos, les Etats-Unis profitent de la qualité de la formation mexicaine sur des éléments qui renforceront ensuite leurs sélections. L'un des derniers cas de binational arrivé au Mexique est emblématique. Il s'agit d'Alex Ramos, un attaquant qui a quitté l'université de Iona (New York) pour signer un contrat pro avec Pachuca en janvier dernier, et qui n'est autre que le fils de Tab Ramos, actuel sélectionneur des U20 américains ! Pour être né à Monterrey, où son père a évolué pour le compte des Tigres, le club d'André-Pierre Gignac, Alex jouit de la double nationalité. La négociation a été menée directement avec le père, qui estimait sans doute que son enfant progresserait davantage au Mexique qu'aux Etats-Unis. Pour le bénéfice de l'US soccer ?
Quoiqu'il en soit, il peut exister des barrières culturelles à l'émigration des américains au Mexique. "L'adaptation n'est pas forcément facile, estime ainsi Herculez Gomez, quand je suis arrivé au Mexique, je ne comprenais pas, par exemple, leur sens de l'humour, j'étais le gringo, mais au final ils apprécient la mentalité très professionnelle des chicanos, et je suis devenu leur gringo". Cas inverse, Abraham Romero, gardien U20 des Los Angeles Galaxy a récemment expliqué qu'il avait quitté la sélection américaine pour celle du voisin du sud, car la culture mexicaine dans laquelle il baigne n'était pas bien acceptée au sein du vestiaire. Au site mediotiempo, le gardien né à Pasadena a résumé ainsi sa situation : "Avec la sélection US, je ressentais l'amour pour l'équipe, pas pour la maillot, avec la sélection mexicaine, je ressens les deux."
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Le Mexique, sacré lors de la Gold Cup

Crédit: AFP

Le cas de figure ne s'est pas encore présenté. Mais il est redouté des deux côtés de la frontière. Que se passera-t-il quand un talent phénoménal de nationalité américaine et mexicaine émergera ? Une bataille entre les deux Fédérations, sous fond de discours identitaires, peut être redoutée. Car, pour le moment, les chicanos formés au Mexique qui optent pour l'US Soccer n'étaient pas franchement désirés par El Tri, même ceux qui ont sauté des sélections de jeunes mexicaines au Team USA, comme Joe Corona (Veracruz), ou Edgar Castillo (Rayados). Le Mexique ne s'est pas non plus inquiété outre mesure de perdre Ventura Alvarado. Aujourd'hui, dix-huit footballeurs binationaux officient au sein des sélections de jeunes américaines, et la moitié évolue ou a évolué au Mexique, selon un décompte réalisé par El Economista. Alors, avec ce métissage croissant de leurs footballeurs, El Tri et Team USA vont-ils finir par se ressembler ?
En attendant, samedi, aux alentours du Rose Bowl, des messages destinés à Donald Trump devraient fleurir. En Californie, ex-territoire mexicain, la qualification pour la Coupe des Confédérations 2017 se jouera, mais aussi, la suprématie régionale. Dans les tribunes cohabiteront des familles parfois divisées. Des enfants de Mexicains, nés aux Etats-Unis, et qui parlent mieux l'anglais que l'espagnol, pourront ainsi être derrière Michael Bradley, Clint Dempsey, et consorts. Herculez Gomez, lui, regardera le match, depuis Toronto, avec son épouse, rencontrée au Mexique. "Elle appuie les Etats-Unis quand je joue, assure-t-il, mais samedi elle sera à fond derrière le Mexique".
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