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"Redevenir champions"
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Publié 02/07/2010 à 23:58 GMT+2
Dans un entretien exceptionnel qu'il nous a accordé, Steve Nielsen, le directeur sportif de Renault F1, décrit la relation de confiance qui lie Robert Kubica à toute l'équipe. Et dresse un bilan plus que mitigé du retour de Fernando Alonso en 2008 et 2009 ; qui était peut-être une erreur...
2010 GP de Malaisie Renault Kubica
Crédit: Renault F1 Limited - LAT
Moins d'une demi-saison aura suffi à Renault pour mettre cette pénible saison 2009 derrière elle. Quand avez-vous senti que l'écurie pensait de nouveau à l'avenir ?
Steve Nielsen : Après cette terrible affaire du GP de Singapour (2008) et le départ de Flavio [Briatore], nous sommes entrés dans une période très noire. Nous entendions à l'extérieur et en interne aussi des gens dirent que nous allions fermer, être vendus, ou des trucs du genre. Je crois que c'est la semaine avant Noël que nous avons entendu que 75% de l'usine allait être vendus à Genii. Beaucoup de nous ont alors de nouveau cru à un futur.
Quelle est à été votre réaction lorsque vous avez appris que Robert Kubica allait remplacer Fernando Alonso ?
S.N. : Nous connaissions les capacités de Robert pour avoir couru contre lui pendant quelques années. Nous avons été très heureux qu'il remplace Fernando, avec qui nous avons eu un bon passé, des temps avec une voiture gagnante, d'autres non. Robert était vraiment en haut de notre liste en raison de ses compétences pour développer une voiture. Et puis, il ne commet aucune faute en piste et c'est un gros travailleur. C'est ce dont nous avions besoin, considérant où se trouvait l'équipe. Nous étions ravis.
L'équipe l'a très vite aimé. Pourquoi ?
S.N. : Nous avons eu une conversation récemment. Nous nous sommes demandé : 'Avec une baguette magique, quel pilote passé ou présent mettrions nous dans la voiture à sa place ?' Eh bien, nous en sommes tous venus à la conclusion que nous ne l'échangerions contre aucun autre pilote, pas même Fernando. C'est le résultat de l'énorme confiance que l'équipe place en Robert, de son potentiel aussi. Je crois profondément qu'il sera champion du monde. J'y crois pour toutes ces raisons, et aussi pour les efforts qu'il produit par rapport à la voiture, surtout quand elle ne fonctionne pas. Beaucoup d'autres pilotes seraient exaspérés et n'y travailleraient pas dur. Robert n'est pas comme ça. Qu'il soit content ou non de la voiture, il est le même. C'est très profitable pour l'équipe, qui reste ainsi motivée. Ça rend la vie facile de récolter des informations de la part d'un pilote. Et tout ce qui vient de lui est pertinent.
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2010 GP du Canada Renault Nielsen Boullier
Crédit: Renault F1 Limited - LAT
Avez-vous un exemple à l'esprit de cet apport particulier ?
S.N. : En réunion, on l'entend souvent dire des choses surprenantes de part le niveau de détails et de compréhension technique qu'il apporte. Ça se situe aussi dans la façon qu'il a de se souvenir des choses. Récemment, au cours d'une réunion au GP du Canada, nous parlions de la performance des pneus lors des récentes courses. Et il s'est souvenu que Toyota avait été capable, sur ce circuit, d'utiliser les gommes d'une certaine manière, à un moment donné de la course, il y deux ans ! Ça n'était même pas son écurie, puisqu'il était chez BMW, mais il s'en souvenait et remettait ça bien dans le contexte, deux ans après ! C'est juste un aperçu de la fonction dont fonctionne son cerveau. Pour une équipe, c'est sensationnel.
Il semble aussi avoir un feeling avec l'équipe. A Bahreïn, il avait été le premier à monter des gommes dures valant deux secondes de mieux au tour. En Australie, il avait été le premier à rentrer après Button...
S.N. : C'est vrai. Cependant, à Bahreïn, nous n'avions pas grand-chose à perdre. Mais effectivement, nous l'aimons, nous l'admirons, et j'aime personnellement cette idée que la confiance a grandi entre lui et l'équipe, rapidement. Parce que, si vous portez un regard extérieur sur l'équipe à travers ses résultats de l'an passé, il est très facile de dire que nous ne sommes pas si bons que ça. Lui et nous avons appris à nous connaître et à interagir.
L'équipe pousse pour le renouveler, avec l'idée d'être champion avec lui...
S.N. : Complètement. Notre équipe n'existe que pour une chose : gagner des courses et le championnat du monde. Nous n'avons pas tellement connu le succès lors des trois dernières saisons, mais nous avons gagné régulièrement et remporté les championnats 2005 et 2006. Les gens qui y sont parvenus sont toujours en place. Redevenir champion est ce à quoi nous travaillons au quotidien.
Petrov a surpris, en particulier en tenant tête à Hamilton en Malaisie. En tant que directeur sportif, comment avez-vous réagi en voyant Hamilton faire des vagues ?
S.N. : C'était assez inhabituel de la part de Hamilton. Je n'avais jamais vu ça auparavant en Formule 1. A l'instant précis où ça s'est passé, j'ai appelé le directeur de course, Charlie Whiting.'Tu as vu ça ?", lui ai-je demandé. "Oui. Je suis surpris de voir ça", m'a-t-il répondu. Les stewards ont décidé que ça ne valait pas de pénalité. De notre point de vue, ça n'était pas correct. Depuis, la FIA a fait une clarification et cela n'est plus permis.
Johnny Herbert est le steward qui a jugé ce fait de course. Pensez-vous que, même inconsciemment, un steward puisse être moins sévère envers un compatriote, faire preuve de favoritisme ?
S.N. : Non. J'ai pris part à de nombreuses réunions de stewards, depuis des années, et je n'ai jamais vu la preuve d'un quelconque favoritisme. Je crois vraiment que les stewards essaient de faire le meilleur boulot possible, en suivant les règles en vigueur. Il faut reconnaître que c'est vraiment dur pour eux car ils opèrent sur un GP dans l'année, voire deux ou trois. Cependant, leur vrai travail n'est pas la F1 mais quelque part ailleurs, au sein de la FIA. Je pense qu'il y a inévitablement des variations de jugements mais pas que les mauvaises décisions soient du fait d'un favoritisme.
Qu'avez-vous pensé en entendant Alonso appeler Ferrari pour demander de saisir Charlie Whiting sur la question du dépassement de la voiture de sécurité par Hamilton, à Valence ?
S.N. : En fait, Ferrari n'avait pas besoin que Fernando l'appelle. Elle l'aurait fait de toute façon. Je pense que Hamilton a enfreint la règle qui interdit de passer la safety car après le franchissement de la ligne blanche, ce qu'a entériné la FIA. Le vrai problème est que la pénalité a mis trop longtemps à tomber. Et ils ont tellement attendu pour proclamer la pénalité qu'au bout du compte c'en n'était plus une. Elle ne signifiait plus rien. Si Hamilton avait été sanctionné deux ou trois tours après, il aurait chuté à la 10e ou 12e place et plus personne n'en aurait parlé.
Fernando Alonso semble se comporter de façon plus émotionnelle hors de chez Renault. Ça a été le cas chez McLaren et ça semble encore l'être chez Ferrari, vu sa réaction pendant et après le GP d'Europe...
S.N. : Oui, c'est effectivement un point intéressant. Fernando était clairement notre pilote N.1, excepté dans sa première année, où c'était Trulli. Je pense qu'il a aimé cette situation. Et quand il a rejoint McLaren, je suis sûr qu'il s'attendait à la même chose. Hors McLaren traite ses pilotes à strict égalité. Mais Lewis, déjà dans sa première année en F1, était très rapide. Fernando a été surpris de ne pas être l'indéniable N.1, et surpris de la rapidité de Lewis. C'était une situation inconfortable pour lui. De là, sa relation avec McLaren s'est détériorée, et tout a été publié (au cours du Stepneygate). Nous savons ce qui s'est passé, et il nous est revenu. En fait, je pense -et je ne sais pas s'il sera d'accord avec moi mais il sait que je l'aime - que revenir chez nous a probablement été une erreur. Si j'avais été son manager du temps de McLaren, je lui aurais dit : 'Ecoute, tu dois faire avec, rester pour battre ce gars. Premièrement parce que tu as la meilleure voiture du moment, deuxièmement parce que ta meilleure chance d'être champion l'an prochain est de conduire encore pour McLaren. Je pense qu'il en serait sorti plus fort.
Quel est votre jugement sur la saison de Renault jusqu'à présent ?
S.N. : Robert a fait un boulot fantastique pour nous, de même que l'usine a été fantastique en produisant une voiture de premier plan. Depuis, les gars ont continué à faire un boulot fantastique en développant des pièces à une cadence très élevée, à chaque course. Depuis dix ans que j'appartiens à cette équipe, je ne l'ai jamais vue travailler aussi dur que lors des six derniers mois. Du premier au dernier membre de notre écurie, chacun donne absolument le meilleur de lui-même. Pour être honnête, nous ne l'avons pas fait lors des deux dernières années.
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2010 GP d'Europe Renault Petrov
Crédit: Renault F1 Limited - LAT
Quand et pourquoi avez-vous renoncé au F-duct ?
S.N. : Le F-duct est quelque chose de très visuel et McLaren doit être crédité de cette très bonne idée. Quand les équipes ont vu ça, beaucoup ont décidé de l'installer ; avant même qu'il ne fonctionne. Nous avons mené une étude en soufflerie et James [Allison] a décidé de ne pas le mettre sur la voiture tant qu'il n'apparaîtrait pas comme un bénéfice en soufflerie. C'est une brèche dans laquelle nous avons voulu nous engouffrer mais nous avons délibérément renoncé à ce projet fin mars/début avril. D'autres s'y sont un peu perdus.
Justement, le F-duct a coûté beaucoup de temps et d'énergie à Ferrari, qui a mis de côté d'autres projets. Il est curieux de voir qu'ils n'ont pas vraiment développé leur propre projet, cherchant plutôt à imiter le F-duct de la McLaren, les échappements soufflés de la Red Bull...
S.N. : Je ne vous contredirais pas sur ce point. Je dirais qu'il faut construire sur ses propres forces. Mais si vous remontez à 2003-2004, lorsque Ferrari dominait, tout le monde cherchaient à les copier, nous compris. Ils avaient un département aéro si fort ! Maintenant, nous avons développé notre propre département, et tout le monde est attentif à ce que nous faisons. C'est la même chose pour McLaren et Red Bull. Et Ferrari semble porter un véritable intérêt à ce que nous faisons.
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2010 GP de Turquie Renault Kubica
Crédit: Renault F1 Limited - LAT
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