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Les Grands Récits : Len Bias, le prodige qui fit rêver et pleurer l'Amérique

Maxime Dupuis

Mis à jour 08/12/2018 à 07:05 GMT+1

LES GRANDS RECITS – Len Bias, c’est l’histoire d’un rêve devenu cauchemar. D’une promesse qui n’aura pas eu le temps de prendre corps. Le 19 juin 1986, à l’aube, le jeune homme succombe à une overdose de cocaïne. Il venait d’être drafté par les Boston Celtics, champions en titre. Le drame a bouleversé l’Amérique du sport et eu des répercussions sur la société américaine.

Len Bias - Les grands récits

Crédit: Eurosport

C'est mardi, c'est Grands Récits. Notre série vous propose de vous plonger dans la folle histoire du sport, entre pages de légendes, souvenirs enfouis et histoires méconnues. Toujours à hauteur d'hommes. Après les héros improbables, les miraculés, les malédictions et les seconds rôles, place, jusqu'au mois de février, aux destins brisés du sport. Dans ce quatrième volet, place à une promesse partie sans pouvoir exprimer son immense talent : Len Bias, mort deux jours après avoir été drafté par les Boston Celtics.

L'Amérique n'est pas née à Boston. Mais elle y a poussé ses premiers cris, de révolte et d'indépendance. Dans la courte histoire des Etats-Unis, "Bean Town" a toujours été une ville à part, consciente de sa singularité, de l'image d'excellence qu'elle véhicule et entretient savamment. C'est vrai dans l'éducation. Ça l'est aussi en sport. Parce qu'avec New York, aucune autre ville nord-américaine ne symbolise autant la gagne que la capitale du Massachusetts. Des Red Sox aux Patriots, en passant par les Bruins et les Celtics, ce sont 38 titres majeurs qui vous contemplent du haut de Beacon Hill. Dont 17 pour les seuls C's.
Longtemps, la franchise la plus glorieuse de la NBA s'est crue éternelle. Immortelle, même. Et puis le destin s'est souvenu qu'il avait beaucoup donné aux Celtics et qu'il était, sans doute, temps de reprendre. Ç'a été fait, de la manière la plus cruelle possible. Par la mort d'un homme qui n'avait pas assez vécu pour entrer dans l'histoire. Mais suffisamment pour se frayer un chemin dans la légende. Cet homme, c'est Len Bias et sa disparition, il y a trente-deux ans, a eu des répercussions sur le sport, la société et la politique US.
Leonard Kevin Bias est peut-être le meilleur joueur à ne jamais avoir foulé les parquets de la NBA. Un talent unique qui était voué à prolonger la dynastie des Celtics, l'autre puissance des années 80 avec les Lakers de Magic Johnson. En 1986, au moment où le jeune ailier de 22 ans s'apprête à faire le grand saut, les deux franchises se retrouvent parfois en finale (1984 et 1985) mais se partagent surtout les lauriers : trois titres pour la bande à Larry Bird (1981, 1984 et 1986), autant pour Magic Johnson et ses copains (1980, 1982 et 1985).
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Magic Johnson et Larry Bird

Crédit: Imago

Coup de pot, coup de génie

17 juin 1986. Les confettis et autres cotillons flottent encore dans les rues de Boston quand les Celtics s'apprêtent à décrocher l'autre gros lot de ce début d'été. Neuf jours après avoir vaincu les Houston Rockets (4-2) et accroché une bannière de plus au plafond du mythique Boston Garden, Red Auerbach et les C's attendent la draft avec une impatience non feinte. Les Celtics possèdent le deuxième choix. Pourquoi ? Parce qu'il y a deux ans, l'état-major de la franchise a échangé Gerald Henderson à Seattle contre… du cash et le premier tour de draft des Supersonics en 1986. Coup de génie doublé d'un coup de pot : Seattle s'est écroulé sportivement et le sort a réservé aux Sonics une récompense amère avec ce 2e choix qui tombe droit dans la poche de… Boston. Bingo.
Les Celtics se frottent les mains. Grand vainqueur de la loterie, Cleveland possède le premier choix et devrait drafter le prometteur Brad Daugherty. Tant mieux. Boston et Red Auerbach, mythique coach devenu président, n'ont d'yeux que pour Len Bias, de l'université du Maryland. Comme si Bird, McHale et Parish ne suffisaient pas, les champions en titre vont ajouter une pierre à leur édifice. Peut-être la plus talentueuse de toutes.
Qui est donc ce gamin, dont le nom claque à la première évocation ? C'est d'abord un visage, lumineux, et des yeux rieurs. La grâce et la douceur se lisent dans son regard. Sa tête attire la sympathie. Mais Bias, c'est aussi et surtout un ailier de 2,06 mètres qui n'a ébloui personne la première fois qu’il a poussé les portes de l'université. Arrivé sur la pointe des pieds, Bias est un "late bloomer" qui a progressé au fil de son cursus universitaire. A force de travail.
La preuve par les chiffres : 7,1 points par match la première année, 15,3 la deuxième, 18,9 la troisième et 23,2 la quatrième. En 1984, Bias permet aux Terrapins de décrocher le tournoi de la très relevée Atlantic Coast Conference pour la première fois depuis 1958. Une éternité. Cerise sur le gâteau, "Lenny" sera élu deux fois joueur de l'année de l’ACC (1985, 1986) et dans le cinq des meilleurs universitaires du pays en 1986. Dans la deuxième équipe "All America", on retrouve Brad Daugherty, David Robinson ou encore Danny Manning. Soit les numéros 1 des trois prochaines drafts NBA. Excusez du peu.

Le chaînon manquant entre Jordan et Olajuwon

A l'heure du grand saut, Bias coche toutes les cases. Son élégance n'a d'égale que sa puissance. Son jump shot, quand il monte (très) haut et droit comme un "i", est d'une pureté absolue. Bias, c'est un peu le chaînon manquant entre Michael Jordan et Hakeem Olajuwon. Ajoutez à cela qu'il possède les qualités athlétiques dont les Celtics, aussi dominants et talentueux soient-ils, sont dépourvus.
Assez rapidement, le natif de Landover comprend qu'il est destiné à faire de grandes choses ballon en main. Red Auerbach aussi. Le président des Celtics ne jure que par le numéro 34 des Terrapins et va le dissuader de quitter l'université en 1985. "Attends un peu", lui dit-il en substance le jour où il le rencontre, conscient que Boston a une chance de récupérer l'été suivant… si la chance sourit une nouvelle fois à la franchise au trèfle. Ce sera le cas.
Arrive la draft NBA. New York. David Stern monte à la tribune pour la deuxième fois de la soirée. Comme attendu et espéré par Boston, les Cavaliers ont choisi Daugherty. Au tour des C's. Ce sera évidemment Len Bias. Le gamin se lève, sourire aux lèvres. "J'espérais que ce soit Boston. Un rêve est devenu réalité", lance-t-il, casquette des Celtics sur la tête, avant de révéler le songe qui l’a perturbé la nuit précédente : "J'ai rêvé que je ratais la draft. J'étais chez moi, je faisais du stop pour venir à New York." Sa mère Lonise, elle aussi, connait des nuits agitées, comme elle le révélera dans le documentaire d'ESPN "Without Bias". Depuis des mois, elle se réveille en fracas : dans ses rêves, un membre de la famille meurt.
La saison 1986/1987 n'est pas commencée que les Celtics ont déjà la bague de champion au doigt. Pas jaloux pour deux sous et ravi de voir la relève débarquer dans le Massachusetts, Bird a promis de participer au camp des rookies pour mettre Bias dans les meilleures dispositions. Il n'en aura pas l'occasion.
Dans ma carrière, deux joueurs adverses m’ont épaté : Jordan et Bias
Le conte de fées va tourner au cauchemar en un peu plus de quarante-huit heures. Len Bias n'aura jamais l'honneur de revêtir le maillot mythique des Celtics. Son numéro 30, on ne le verra qu'une fois. Dans les mains de sa mère, le jour de la cérémonie organisée en sa mémoire. Parce que Bias va succomber à une overdose de cocaïne, deux jours après avoir incarné la plus belle promesse de la ligue depuis l’arrivée, deux années auparavant, de Michael Jordan.
A peine le numéro 23 des Bulls a commencé son carnage dans la ligue que l'Amérique lui cherche un individu à sa hauteur. "Dans ma carrière, deux joueurs adverses m'ont vraiment épaté : Michael Jordan et Len Bias. Len était un athlète incroyable avec un niveau de compétitivité formidable. Je pense qu'il aurait été un des meilleurs joueurs de la NBA, regrette Mike Krzyzewski, mythique coach de Duke et du Team USA qui a eu affaire aux deux phénomènes dans les années 80. Il créait des choses, comme Jordan et trouvait toujours le moyen de scorer sans que vous ne parveniez à faire quoi que ce soit". Ed Badger, recruteur pour Boston, ne dit pas autre chose : "C'est peut-être ce qui s'est le plus rapproché de Michael Jordan. Je ne dis pas qu'il était aussi bon que lui, mais le même type de joueur, aussi excitant et explosif."
Les deux hommes ne se croiseront qu'une fois sur les parquets. Le 13 janvier 1984, la surpuissante North Carolina se défait de l'Université du Maryland 74-62. Jordan score 21 points. Bias 24. Il n'y aura jamais de revanche parce que le destin a décidé de briser le rêve. Bias aura néanmoins son heure de gloire face aux Tar Heels durant son année senior. Son match référence. Le 20 février 1986, à Chapel Hill, Len Bias martyrise North Carolina. Daugherty ne pèse pas lourd à côté de l'ailier, qui plante 35 points sur les 77 de son équipe. Les Terrapins s’imposent après prolongation. Quatre mois avant le drame, l'Amérique est sous le charme.
A peine drafté, Len Bias passe par la case La Guardia. Direction Boston le 18 juin. Un bonjour à la franchise qui devient sa maison, un coucou aux médias et un contrat de cinq ans pour 1,6 million de dollars avec Reebok. Moins de vingt-quatre heures après être devenu un Celtic, le rêve devient réalité. Bias n’a qu’une envie : fêter sa réussite naissante. Il rentre dans la soirée à Washington. Et après avoir savouré en famille, le futur de la NBA file retrouver ses copains d’université, au campus. Au volant de sa nouvelle Nissan 300ZX, il attrape son pote Brian Tribble sur le chemin, file acheter de l'alcool et rejoint sa chambre d'étudiant. Son dernier voyage.

1103 Washington Hall

Au 1103 Washington Hall, Bias et Tribble retrouvent David Gregg et Terry Long, proches et partenaires sur le parquet. Tribble n'est pas venu les mains vides : il a apporté de la cocaïne. Gregg et Long ne sont pas des balances, ils ne diront rien. Bias n’est pas accro à la coke, rien ne le laisse imaginer. Mais le numéro 34 du Maryland n’y goûte pas pour la première fois. Si sa petite amie de l’époque assurera plus tard que Bias n’avait jamais consommé ce type de substances, on apprendra par divers témoignages, ceux de Tribble ou de Long notamment, qu'il avait déjà mis son nez dans la poudre. Occasionnellement.
Cette nuit-là, on va et on vient dans la chambre. En fonction des convives, on cache la drogue, "qui, à la différence de la bière, n'est pas socialement acceptable", dixit Tribble. Mais dès que les quatre compères se retrouvent seuls, ils ressortent le miroir et sniffent de la poudre blanche.
A l’époque, la cocaïne a fini par se répandre dans toutes les strates de la société américaine après avoir été longtemps réservée aux stars du showbiz. Drogue avant tout récréative, ses effets restent méconnus. Ils seront fatals à Len Bias. Ce que le futur Celtic et ses copains s’envoient, c’est de l’écaille de poisson, de la drogue pure à 98%.
C'est Len Bias, il faut le ramener à la vie. Il ne doit pas mourir
Sur les coups de six heures du matin, Len Bias s’enfile un dernier rail, puis file aux toilettes et commence à se sentir mal. Il revient dans la chambre, s’allonge sur son lit. Il ne se relèvera pas. Il commence à respirer fort, convulse et son souffle se raréfie. Un vent de panique fait redescendre la bande sur terre. Long prend rapidement conscience de la gravité de la situation et saisit le manche d’une paire de ciseaux qui trainait par là pour le mettre dans la bouche de Bias. Il veut lui éviter d'avaler sa langue. Gregg lui tient les jambes. Tribble panique. Il appelle sa mère avant les urgences. Une hérésie que cette dernière lui signale manu militari.
911. 6h32. "C'est Len Bias, il faut le ramener à la vie. Il ne doit pas mourir", lance Tribble, mortifié. Une voix lui répond de l'autre côté du combiné. "On se fiche de son nom… Où êtes-vous ?" Les secours finissent par arriver. Direction l'hôpital. A 8h51, Len Bias est déclaré mort. Le ciel vient de s'éffondrer sur la tête de sa famille. De ses amis. Des Celtics. De l’Amérique.
“Je partais jouer au golf et j'écoutais la radio quand j’ai entendu que Len Bias était mort, se souvient Kevin McHale pour le Boston Herald. Je me suis dit 'ce n’est pas possible…' mais on ne fait pas de blagues sur des choses aussi graves. J’ai changé de station et entendu la même chose." McHale fait demi-tour et fonce au Boston Garden pour voir Red Auerbach dans son bureau. "Tout le monde était sous le choc. A ce moment-là, on pensait qu'il avait fait un arrêt cardiaque."
Red Auerbach va rapidement avoir vent de la réalité. L'homme aux neuf titres NBA est un gars de Washington et a ses antennes du côté de DC. Quand il apprend les causes de la mort de Bias, Red prend un second coup de massue sur le crâne. Larry Bird, au moment de découvrir la nouvelle, aura cette réaction laconique et restée dans les mémoires : "C'est la chose la plus cruelle que j'ai jamais entendue".
La Une du Boston Herald
Si on avait trouvé des traces de drogue, on l'aurait quand même peut-être drafté
Le rapport d'autopsie numéro 86-999 du 19 juin 1986 est clair comme de l'eau de roche. "Leonard K. Bias, un homme noir de 22 ans est mort d'une intoxication à la cocaïne, qui a interrompu le contrôle électrique normal du battement de son cœur, ce qui a entraîné des crises et un arrêt cardiaque. (…) Les études toxicologiques sur l'alcool et les autres drogues sont négatives."
Si Len Bias n'en était pas à son premier coup, pourquoi personne n'a jamais rien vu, dit ou même trouvé quoi que ce soit lors des contrôles antidopage effectués en NCAA et avant la draft ? La raison est simple et basique : contourner les divers tests était un jeu d'enfant dans les années 80. Mais aussi et surtout parce que la guerre aux substances nocives n'a pas encore été déclarée. Ce que confirmera Jan Volk, general manager des Celtics, bien plus tard : "Si on avait trouvé des traces de drogue, on l'aurait quand même peut-être drafté. Les dangers n'étaient pas aussi clairs qu'ils le sont devenus après sa mort."
L'Amérique ne savait pas non plus. Mais, comme à chaque fois qu'elle est frappée en plein cœur, elle s'arrête et se penche sur ce qu'elle a fait de travers. Ronald Reagan, comme Richard Nixon lors de la décennie précédente, va saisir son glaive. Et taper fort. Trop fort. Et, surtout, à côté. Le président des Etats-Unis criminalise le crack et ses petits dealers, qui n'ont pas grand-chose à voir avec la mort de Len Bias. Avant les élections de mi-mandat, les peines plancher pour la détention de drogue sont rétablies. Résultat : les prisons deviennent vite trop petites. Les Afro-Américains sont, comme toujours, les premiers visés. A tort. Un coup pour rien. Un mort pour rien.

Pas un ange, ni un démon

Si vous demandez à James Bias, père du malheureux, ce qui a tué son fils, il ne vous répondra pas la drogue. Ou pas seulement. Il ajoutera "l'argent". Purement et simplement. Depuis quelque temps et subrepticement, Len Bias avait commencé à basculer du mauvais côté. L'appel de la NBA, de la gloire et de la richesse avaient déjà transformé le gamin.
"Lenny" n'était pas un ange. Ni un démon. Mais un type influençable. "Si vous le mettez avec des bons à rien, il deviendra le meilleur d'entre eux. Mettez-le avec des bons gars, il deviendra le meilleur de la bande", avait parfaitement cerné son coach de lycée, Bob Wagner.
Après sa mort, l'étoile Bias pâlit quelque peu. La presse et la justice lèvent le voile sur les derniers mois de sa vie. Celui qui s'était imaginé architecte d'intérieur avant d'avoir un avenir sur les parquets ne venait plus régulièrement à l’école, il avait contracté des prêts pour se parer des premiers signes extérieurs de richesse et son diplôme universitaire lui avait été gracieusement offert alors qu'il n'avait pas validé tous ses modules. Petit à petit, le natif de Landover s'était consacré au sport et avait laissé le reste de côté.
Comme les potes de Bias présents lors de la funeste nuit du 19 juin 1986 et qui auront maille à partir avec la justice (ndlr : Long et Gregg témoigneront contre Tribble, qui finira par être acquitté… avant de prendre 10 ans de prison en 1990 pour trafic de stupéfiants), l'Université du Maryland ne sortira pas indemne de cette histoire. Lefty Driesell, entraîneur de l'équipe, devra démissionner après avoir été accusé à tort d’avoir couvert Len Bias. Le recteur aussi y laissera son poste.

Jay, l’autre drame des Bias

Fin de l'histoire ? Pour la famille, le cauchemar est éternel. Parce que sa mère Lonise a depuis consacré son existence à la lutte contre les ravages de la drogue. James, le papa, mène un vain combat contre les armes à feu. La drogue et les armes, deux fléaux de la bannière étoilée qui auront emporté deux de leurs fils. Parce qu'après Len, il y a eu Jay, tué en décembre 1990 sur un parking de supermarché par un gars qui l'accusait de flirter avec sa femme. Il avait 20 ans. Il repose en paix aux côtés de son grand frère.
Juin 1987. Les Celtics retrouvent les Finales NBA une fois encore. Mais ils s'inclinent face aux Lakers (4-2) au terme d'une saison éprouvante, à tous les sens du terme. Larry Bird est déjà sur le déclin. Boston aussi. Les C’s ne le savent pas encore mais le chemin des sommets de la Ligue leur sera barré jusqu’en 2008. 22 ans d'attente. L’âge de Bias à sa mort. Le temps de digérer, probablement. Mais pas d'oublier. On n'oublie jamais le jour où le sol se dérobe sous ses pieds.
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