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Les Grands Récits - Perdu sur les parquets, disparu dans les abysses : la vie et la fin tragiques de Bison Dele

Maxime Dupuis

Mis à jour 05/10/2021 à 12:12 GMT+2

LES GRANDS RÉCITS - Bison Dele, c’est l’histoire d’un basketteur qui n’aimait pas le jeu. Qui a quitté la scène à 30 ans en laissant des dizaines de millions de dollars derrière lui. Et qui a fini par disparaître, tué par son frère au cœur du Pacifique. Empreint de liberté et vie, Dele avait été rattrapé par une relation familiale toxique, lui qui rêvait d’autre chose.

Bison Dele

Crédit: Eurosport

Si vous aimez les belles histoires ou celles qui, a minima, débouchent sur un point final, inutile de perdre votre temps. Vous pouvez passer votre chemin : ce récit ne connaît ni épilogue heureux ni dénouement, tout court. Cette histoire est un mystère. De A à Z. A l’image du héros malheureux de cette odyssée, Bison Dele. Du jour de sa naissance jusqu’à sa disparition dans la fascinante et tout autant effrayante immensité de l’Océan Pacifique, Bison Dele fut une énigme. On parle bien de sa disparition et non de sa mort.
Si l’issue ne fait guère de doute, la dépouille de l’ancien basketteur n’a jamais été retrouvée, pas plus que celle des deux compagnons d’infortune qui voguaient sur cette mer d’intranquillité, à bord du catamaran de Dele. Les trois malheureux ont été engloutis par les fonds marins, entraînés par la jalousie et la cupidité d’un homme, le propre frère de Bison Dele, dans un lointain remake d’Abel et Caïn.
A quelques encablures de la fin de sa trop courte vie et de sa carrière professionnelle, à laquelle il avait fini par renoncer en laissant derrière lui les dizaines de millions de dollars et la célébrité qui allaient avec, Brian Williams, devenu Bison Dele, avait décidé de s’éclipser, de s’échapper des contraintes et d’un quotidien qui lui avaient toujours pesé et dont il n’avait jamais vraiment voulu. Pendant près de trente ans, il avait pourtant fait comme si, sans renoncer à la vie rêvée et sa liberté, celle qu’il s’était finalement offerte et dont il ne profiterait que trop peu.

Bigger than life

Bison Dele était un type qui ne tenait pas dans le cadre, tout simplement. Par son gabarit, déjà. Joli bébé de 2,11m et 118 kg, il était naturellement gêné aux entournures et flirtait avec les bords, quoi qu’il fasse. Par son caractère, aussi et surtout. Parce que ce qu’il avait fini par devenir n’était pas lui. Parce que la nature l’avait pourvu de qualités dont il n’avait que faire. D’autres auraient tué pour être aussi doué que lui, et ont même fini par le faire. Mais Bison Dele, lui, n’en avait que faire. “J’aurais aimé être passionné de basketball, autant que lui l’était par la musique”, dira-t-il un jour, après avoir englouti une biographie de Miles Davis.
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Bison Dele a remporté le titre NBA avec les Bulls

Crédit: Getty Images

La première partie de la courte existence de Brian Willams, né le 6 avril 1969 à Fresno, est d’une banalité assez confondante et aux antipodes de ce qu’il sera la suite de sa vie, jusqu’à sa disparition. A un détail près : il est le deuxième fils d’Eugene Williams, dit “Geno”, qui a chanté avec les Platters durant les années 70. Avec Patricia Phillips, qu’il a épousée quand elle avait 17 ans, il aura deux fils : Brian donc, et Kevin, qui est l’aîné de la fratrie et qui, lui aussi, changera un jour de patronyme pour devenir Miles Dabord.
Rapidement, le couple bat de l’aile et Patricia, au bout de cinq années dysharmonieuses, met les voiles avec ses deux rejetons. Bison n’est âgé que d’un an. Elle se remarie avec un beau-père bientôt toxique pour les deux jeunes garçons en construction. Elle finira par élever ses fils, seule.
Il n'avait pas de passion pour le jeu
Brian et Kevin sont tous deux de solides gaillards, bâtis pour faire du sport. Assurément. Kevin s’adonne au water-polo, à la course à pied ou au basketball. Il est grand, comme Brian, mais n’a pas grand-chose à apporter de plus que ses centimètres quand il se retrouve dans la raquette. L’asthme dont il souffre de manière chronique l’éloigne à jamais d’une brillante carrière. Il se met alors aux échecs et lit, beaucoup.
Brian, lui, n'a pas ces soucis. Il lit, aussi. Mais brille sur les terrains. "Il n’avait pas joué au basketball en équipe avant la seconde, rappelait sa mère au moment de sa disparition. Il était un athlète mais il n’avait pas de passion pour le jeu". La passion et le détachement, on y revient. Toujours et encore.
Il n’empêche : Brian Williams est trop doué pour passer à côté de la carrière qui s’offre à lui. Il pousse de trop, aussi, pour continuer à user ses pointes sur les tartans. Ce sera le basketball. Au lycée, que ce soit à la Bishop Gorman High School de Las Vegas puis à Santa Monica, il brille. A l’université de Maryland, même chose. Seul hic : il a un souci avec ses coachs et décide de zapper sa deuxième année. Il s’en va alors parfaire sa formation chez les Wildcats de l’Arizona, où il termine son année senior à 14 points, 7,8 rebonds et 1,1 contre de moyenne. Statistiques suffisantes pour intéresser les General Managers de NBA. L’intérieur est drafté au 10e choix de la draft 1991, par le Magic d’Orlando.

Shaq, somnifères et suicide

Ses premiers pas dans la grande ligue, au sein de la jeune franchise floridienne, ne sont pas ridicules. Rookie, il tourne à 9,1 points de moyenne, sur 48 matches. Orlando ne progresse guère mais la médiocrité du Magic lui offre un drôle de cadeau : le premier choix de la draft suivante, à laquelle postule un certain Shaquille O’Neal. A l’été 1992, le pivot le plus dominant de sa génération, l’un des meilleurs basketteurs de l’histoire, est en route pour la Floride.
Le Shaq prend déjà beaucoup de place dans la peinture et Brian Williams, en conséquence, apparaît tout pâlot à côté du phénomène. Mais le futur Hall of Famer n’est pas la raison principale de l’écroulement de celui qui deviendra bientôt Bison Dele. Le Sophomore du Magic, qui voit ses moyennes et son temps de jeu divisés par deux, est déjà miné par le doute et l’introspection. Cette vie-là, rêvée pour le commun des mortels, est un sacerdoce pour lui. A 23 ans, il tombe en dépression, elle flingue sa saison. Il a même envie d’arrêter. La nuit tombée, il n’arrive pas à trouver le sommeil. Un soir, il va jusqu’à ingurgiter quinze somnifères. Pas pour en finir, juste pour dormir. N’empêche, les tentatives de suicide suivront.
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Brian Williams

Crédit: Getty Images

Williams paraît parfois détaché, d’autres fois distant. Il est simplement différent. "Il n’était pas le genre de type à vous regarder dans les yeux. Non, il regardait à travers vous, se souvenait John Gabriel, ancien dirigeant du Magic au moment de la disparition. Brian était difficile à déchiffrer, compliqué à atteindre."
"Il pouvait jouer pourtant, et bien ! Il était capable de remonter le ballon comme un meneur, de réussir un bras roulé ligne de fond. Il s’améliorait chaque année, expliquait sur ESPN, Matt Muehlebach, l’un de ses coéquipiers à l’Université de l’Arizona. Mais son envie n’a jamais été à la hauteur des efforts nécessaires pour atteindre l’excellence. Il savait qu’il aurait pu devenir l’un des meilleurs joueurs des 10 ou 15 dernières années. S’il avait été passionné par le jeu 24 heures sur 24, il serait peut-être devenu l’un des meilleurs".
Les gens pensent que je suis fou. Mais la vie ne vient pas à vous. Il faut aller à elle
Problème : la vie est courte et le monde trop vaste pour se cantonner aux parquets des terrains de basket, aussi cirés et prestigieux soient-ils. Bison Dele a toujours été plus aimanté par la liberté que les arceaux. Dès qu’il le peut, à savoir dès que la saison est terminée, il file en vadrouille, sac sur le dos. Direction le Liban, souvent. L’un de ses anciens copains de fac l’a encouragé à investir dans un complexe de traitement des eaux.
Direction l’Europe, aussi. Où ? Là où le vent le porte. Dans un portrait qu’il lui avait été consacré par Sports Illustrated, sa présence avait été relevée à Pampelune, avec des taureaux, dans des casinos de Monaco, au Caire à dos de chameau, à la Havane dansant à moitié nu dans la rue. Bientôt pilote, il se déplacera de lui-même avec son petit avion de tourisme quatre places.
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Brian Williams/Bison Dele signe un autographe

Crédit: Getty Images

Excentrique, il est dans sa manière d’être. Excentrique, il est aussi par son allure, remarquée. Il ne s’habille pas comme les autres et est très porté sur la contre-culture quand ses congénères profitent de leur fortune de manière bling bling. Il n’est pas le basketteur lambda, ce qui perturbe beaucoup de monde. Toutes sortes de rumeurs jaillissent sur son compte : il serait homosexuel, certains vont même aller jusqu’à dire qu’il mange… des excréments pour leurs vertus nutritives.
Pendant la saison et lors des quelques respirations que lui offre celle-ci, il essaie, toujours et encore, de s’évader. Durant son année aux Clippers, il se lie d’amitié avec Pete Serrano, responsable de l’équipement de l’autre franchise de LA. C’est avec lui qu’il vadrouille. Un jour, dans un hélicoptère à survoler le Texas durant cinq bonnes heures. Un autre, à Philadelphie, à arpenter les couloirs et allées d’un musée. Serrano, interrogé par ESPN, se souvenait très bien de ce que le géant lui avait dit : “Je sais que les gens pensent que je suis fou. Mais la vie ne vient pas à vous. Il faut aller à elle.”

Le cœur sur la main

Sa curiosité est parfois malaisante ou dangereuse : un jour, à 30 000 pieds du plancher des vaches, il tente d’ouvrir la porte de secours de l’avion des Pistons. Comme ça. Pour voir. Son ancien coéquipier, Jerome Williams témoigne : “Tout le monde s’est levé pour l’attraper. Il s’est arrêté. Il a juste dit qu’il voulait voir quelque chose… C’était juste lui, toujours à essayer de faire quelque chose de fou.” Quand il est aux commandes de son avion, Bison joue avec le feu, aussi. Il cabre l’appareil pour tester les limites.
Type un peu barré, Brian Williams a aussi le cœur sur la main. Ses primes de playoffs aux Pistons ? Partagées avec les ballboys, gardiens de la salle et autres membres du staff de la franchise. Que vous soyez puissant ou misérable, ça ne change rien. Il ne fait pas de différence. A Doug Collins, son coach à Detroit, il offrira un cristal de chez Lalique en forme de cheval. “Il m’a dit que ça lui rappelait le logo des Pistons, et quand il l'a vu, il a pensé que je devais l'avoir, témoigna un jour le technicien dans les colonnes de Sports Illustrated. Maintenant ça vous dit qu'il a quelque chose que tout le monde n'a pas : de la sensibilité."
Après deux années quelconques passées à Denver, il est tradé aux Clippers en 1995. La saison à venir est une promesse : enfin, Brian Williams déploie ses ailes pour tourner à 15,8 points de moyenne. LA ne décolle pas pour autant et termine à la dernière place de la division Pacifique.

Un titre avec MJ

En fin de contrat, Williams estime qu’il est tout de même temps de rentabiliser son talent. Les Clippers ne jugent pas pertinent de sortir la planche à billets pour le numéro 8 parce que celui-ci traîne un souci au genou. Le futur et éphémère compagnon de Madonna prend la porte. Et, sans ciller, décide de zapper la saison à venir, jusqu’à la toute fin d’exercice 1996/1997 où les Bulls de Michael Jordan viennent le chercher pour muscler leur secteur intérieur et s’en aller décrocher une cinquième bague.
Williams est un simple role player dans cette équipe de Chicago mais il aura son heure de gloire en demi-finale de la Conférence Est. A Atlanta, lors du match 3 et alors que la série est à égalité, il sort du banc et de sa coquille pour une prestation qui fera du bien à Phil Jackson et sa bande (14 points, 5 rebonds). Bis repetita lors du cinquième et dernier match (12 points, 10 rebonds). Lors des finales NBA, il enchaîne deux matches en double figure et participe pleinement au sacre des Bulls. Pour l'anecdote : durant les trois matches disputés à Salt Lake, il partage une chambre d'hôtel avec Billy Corgan, chanteur des Smashing Pumpkins et fan des Bulls. Les deux jouent de la musique à leurs heures perdues. Bientôt champion NBA, le futur Bison Dele sera également riche d'ici peu.
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Bison Dele avec les Bulls en 1997

Crédit: Getty Images

Après une saison réussie et prometteuse, dans les pas de l’exceptionnel Grant Hill, les Detroit Pistons se disent qu'il ne serait pas mal de se renforcer à l'intérieur en signant Brian Williams. A 28 ans, un contrat de 7 ans et de 45 millions de dollars l'attend. Le plus gros jamais signé par la franchise du Michigan. Individuellement, il fait le job : 16,9 points et 9,7 rebonds en 1997/1998 mais Detroit se ramasse.
La saison à venir est meilleure pour les Pistons. Williams a abandonné son nom de baptême pour Bison Dele, en l'honneur de ses ancêtres Cherokee et africains. Les Pistons se qualifient pour les Playoffs, où ils sont rapidement sortis par Atlanta. Mais Dele est déjà moins performant, s'entend de moins en moins bien avec ses dirigeants et décide de quitter la scène. Pas de trade, rien. Non, il s'en va. Point barre. En laissant un peu plus de 35 millions sur la table. Le plus gros "buy out" de l’histoire. Les quelques 21 millions glanés en huit ans suffiront bien à son bonheur à venir. Il est désormais suffisamment riche pour être libre.
Ma mère ne m’aime pas, et elle ne m’aimera jamais
L'argent ne fait pas le bonheur. Mais il y contribue fortement. Ce n'est pas son frère aîné qui aurait dit le contraire. Comme Brian Williams/Bison Dele, Kevin a également échangé son patronyme pour un autre, Miles Dabord. Mais à la différence de son cadet, il n'est qu'une ombre. Tout a toujours tourné autour de Bison.
Interrogée par le Los Angeles Times au cœur du drame, Patricia Williams, la maman, ne cherchait pas à embellir la réalité : "Les gens ont toujours gravité autour de Brian, avant même qu’il ne devienne célèbre. Miles est plus studieux et discret. Il a grandi dans l’ombre de son frère. Tout ce qui est arrivé à Brian était plus grand que tout ce que Miles a connu dans sa vie. Je pense que Miles, à un moment, en est venu à se dire 'ma mère ne m'aime pas, et elle ne m’aimera jamais'."
Bison Dele a l'argent et le talent. Miles Dabord a besoin d'argent. Et, régulièrement, en réclame à son millionnaire de frère, qui nourrit son aîné sans sourciller. Une rivalité sourde mais bien réelle accompagne leur relation, toujours plus toxique. Miles, qui se sent rabaissé par son petit frère, se plaint parfois du traitement que lui réserve Bison. Ajoutez à cela que le petit a plus de succès avec les filles et qu'il gère, aussi, mieux ses relations avec l'extérieur que le grand et le cocktail explosif du ressentiment prend forme. Les deux hommes ont en commun d’être différents. Mais Miles Dabord ajoute à cette description la frustration qui va faire dégénérer cette histoire, jusqu'au point de non-retour.
Parti à la retraite quand certains atteignent le prime de leur carrière sportive, Bison Dele passe ses journées à rencontrer le monde. Dès le début de l’année 2000, il file en Australie où il vit une vie d’aventurier. Sa fameuse vie rêvée. A un journaliste qui veut le rencontrer et raconter son histoire, il répond laconiquement : "Merci pour votre intérêt mais une vie vécue est une vie expliquée". Du Bison dans le texte.

Huis clos à ciel ouvert

"Hakuna Matata", expression swahilie popularisée par le dessin animé de Disney Le Roi Lion, signifie "Pas de souci". Depuis son retrait des parquets, il a fait sienne cette formule et c’est ainsi qu’il va nommer le catamaran qu’il s'offre pour voguer sur les mers du sud et sur lequel il va passer les derniers mois de son existence. Avec celle qu’il aime, Serena. Les deux amants avaient eu une relation durant la première vie de Bison. Mais ils s’étaient mutuellement éloignés. Après les attentats du 11 septembre, Bison l’a convaincue de tout quitter. Pour lui. Pour découvrir la planète. Loin du fracas du monde.
Miles Dabord, aussi, a décidé de prendre du recul avec le monde professionnel. Pas la première fois. Depuis toujours, l’encombrant frangin de Bison Dele court après le travail et a souvent du mal à le rattraper. Et comme Brian/Bison a les moyens de subvenir à ses besoins… Pourquoi s’ennuyer ? Un jour, il débarque par on ne sait quel miracle devant le pont du bateau de son petit frère. Il embarque. La quiétude laisse vite place à une tension nourrie par les deux adultes qui se chamaillent comme des ados pour tout et surtout pour rien.
Bison Dele. Miles Dabord. Serena Karlan. Bertrand Saldo. Ils sont les quatre acteurs de ce tragique huis clos à ciel ouvert. Bison et Miles, les deux frères. Serena (30 ans), la compagne de Bison. Bertrand (32 ans), skipper français qui devait emmener tout ce petit monde de Moorea à Honolulu. L’embarcation n’atteindra jamais Hawaii et sera retrouvée à Tahiti dans la ville de Taravao. Vidée de ses âmes, repeint et rebaptisée Arabella. Pas même celle, tourmentée, de Miles Dabord. Selon des témoins, le bateau a été accosté au port autour du 20 juillet. Personne n’a tiqué. Rien d’étrange. Sauf que le fil du temps va s’étirer, jusqu’à casser.

Le silence de l'océan

Bison, Serena et Bertrand ne donnent plus signe de vie. Si le voyage et la traversée de l’infini Pacifique ne sont guère propices au contact, l’absence de signes de vie finit par inquiéter la famille de Serena. La dernière fois que Gale a entendu le son de la voix de sa fille, celle-ci lui a décrit son périple et expliqué qu’elle ne donnerait pas beaucoup de nouvelles d’ici son arrivée à Hawaii. Souci : l’attente a duré plus que de raison et, fin août, le silence de l’océan commence à inquiéter Gale. Ce n’est pas dans les habitudes de sa fille. Elle ne l’a pas appelée pour son anniversaire non plus. Elle ne l'appellera plus. Ni pour célébrer le temps qui passe. Ni pour papoter. Personne n’aura plus jamais de nouvelles de personne. Sinon de Miles Dabord.
Au cœur du mois d'août, avec l’inquiétude des proches des familles concernées, commencent alors les recherches. Saldo n’a enregistré aucun plan de route. Aucune fusée de détresse n’a été déclenchée. “Hakuna Matata” est une absence.
Près de deux mois après les disparitions de Bison, Serena et Bertrand, Miles redonne signe de vie. Bien malgré lui et dans un commissariat de Phoenix, interrogé par la police locale. Bizarrement, le frère aîné de Bison a cherché à acheter de l’or pour la rondelette somme de 152 000 dollars. On dit le frère aîné, à tort, d’ailleurs. Parce que le chèque présenté au vendeur est signé Bison. Or, Bison n’a plus donné de signe de vie depuis de longues semaines et, détail qui met rapidement la puce à l’oreille de Kevin Porter, fidèle ami de lycée qui gère les affaires de l’ancien basketteur depuis longtemps, celui-ci ne fait jamais de chèques. Et, de toute manière, la signature ne colle pas.
Si tu veux tout savoir, on doit aller au Mexique
Porter a été témoin de longue date de la relation tourmentée entre Brian et Kevin. Les deux frères s’aiment. Mais ils vivent dans un conflit permanent, pour savoir qui est le plus beau, le plus fort, etc. Et comme, à toutes ces questions, la réponse pointe invariablement vers Brian, des tensions naissent et grandissent. Et ce passif n'est pas pour rassurer Porter, qui ne tarde pas à imaginer le pire.
Le 5 septembre, Dabord se pointe à Phoenix avec l'argent, les papiers d'identité et la carte de crédit de son cadet pour récupérer l'or. Rapidement, il est cueilli par la patrouille, qui l’invite dans ses locaux. L’interrogatoire dure mais tourne court. Miles n'a rien lâché et, après tout, rien ne prouve que son frère ne lui a pas demandé d'aller chercher de l’or pour lui. C'est d'ailleurs la version du gaillard.
Les poignets sans entrave, Dabord file à l'aéroport, direction Palo Alto, en Californie. Porter ne peut s'y résoudre. Il le suit pour lui tirer les vers du nez. Sans succès. A un détail près, qui glace le sang. "Viens au Mexique avec moi", lui demande Dabord avant d'embarquer. Pourquoi ? "On est dans un Etat qui pratique la peine de mort. Je me rends en Californie qui autorise la peine de mort. Si tu veux tout savoir, on doit aller au Mexique." Un frisson d'effroi lui parcourt l'échine.
Si la police de Phoenix n'a pas cherché à aller plus loin, le FBI, lui, part sur les traces de ce drôle de bonhomme alors que le bateau de Bison Dele a été retrouvé dans l’intervalle. Le temps et les recherches ont fait leur œuvre. Direction la baie de San Francisco. Miles Dabord a disparu. Finalement, on retrouve la trace du fuyard à Tijuana, au Mexique. La fin est proche.
Si les corps ont été jetés, il sera impossible de les retrouver
Sa chambre d’hôtel est vide. Désespérément. Seule sa mère a eu des nouvelles de lui depuis l’épisode de Phoenix. A elle, il se confie à demi et menace de mettre fin à ses jours. Et ajoute : "Maman, j'ai besoin que tu me croies. Je n'aurais jamais fait de mal à mon frère. Je dois être sûr que tu m'aimes avant que je meure. Je ne peux pas aller en prison. Tu me connais et tu sais que je ne pourrais pas survivre en prison. Personne ne me croirait."
Il ne dira jamais que Bison est mort. Ni qu’il l’a tué. Il ne dira plus rien, d’ailleurs. Au cœur du mois de septembre, on retrouve sa trace au Scripps Memorial Hopital de Chula Vista, vingt minutes au nord de Tijuana. Il a été déposé par une personne non-identifiée. Le personnel hospitalier ne sait qu’une chose de lui : il est mal en point et a été enregistré sous le patronyme de John Doe, celui qu’on donne aux anonymes aux Etats-Unis. Grâce à ses empreintes, on découvre sa véritable identité.
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La mère de Bison Dele, Patricia Williams, en larmes

Crédit: Getty Images

Miles Dabord est plongé dans le coma à cause d’une overdose d’insuline et de l’arrêt volontaire de son traitement pour l’asthme. Un suicide, donc. Durant plus d’une semaine, ses parents, les forces de police patientent et espèrent son réveil. Il ne sortira pas de sa léthargie. Le 27 septembre 2002, Miles Dabord emporte son secret avec lui, dans sa tombe. Au moins connaît-on la fin de son histoire. Celle de son frère n’aura jamais de point final.
"Mon opinion personnelle est que les corps sont dans la mer. Au large de nos côtes, les eaux sont très profondes. Des avions, qui se sont abîmés ici, sont toujours portés disparus, expliquait alors un policier français au Los Angeles Times. Donc si les corps ont été jetés, il sera impossible de les retrouver."

A jamais perdus

Que s’est-il vraiment passé sur ce bateau, autour du 7 ou 8 juillet 2002 ? Aucun témoin direct ne peut s’épancher sur le drame qui s’y est noué. Erica Wiese, petite amie du défunt Miles Dabord, a fini par livrer ce qu’elle savait au FBI, relayant une version que lui aurait racontée Miles au début du mois de septembre, alors qu’elle l’avait rejoint à Moorea après le triple homicide.
Ce jour-là, une engueulade de plus aurait tourné au drame. Alors que les deux frères étaient en train d’en venir aux mains, Serena aurait tenté de s’interposer et aurait fait une mauvaise chute. Elle serait morte instantanément. Bison Dele aurait alors tué Saldo avec une clé à molette car le capitaine s'apprêtait à signaler l’accident aux autorités. Le combat entre Bison et Miles se serait prolongé. Et Miles aurait fini par tuer son frère avec le pistolet de ce dernier. Légitime défense, s’était-il justifié devant sa petite amie. Puis, il aurait jeté tous les corps par-dessus bord. On vous laissera juger de la crédibilité de la version relayée par Erica Wiese qui, d'une certaine manière, amenuise la responsabilité de Miles, le dernier vivant.
Bison, Serena et Bertrand n'ont jamais été retrouvés. Miles, lui, s'était perdu bien avant ce funeste été, rongé par la jalousie et l'envie d'être un autre. Son frère. A Phoenix, le jour où il avait tenté d'acheter de l'or et avait été arrêté, aux policiers qui le cuisinaient et lui demandaient, curieux, s'il était basketteur lui aussi, il avait eu ces mots : "Non, Brian a eu toute la chance et le talent de la famille".
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