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Entretien avec Philippe Gilbert : "Madiot m'appelle et me dit 'gamin, tu vas faire ton premier Liège-Bastogne-Liège'"

Christophe Gaudot

Mis à jour 08/04/2022 à 14:36 GMT+2

AMSTEL GOLD RACE - Ce dimanche, Philippe Gilbert entame sa dernière tournée sur les Ardennaises puisque le Belge a annoncé sa retraite pour la fin de la saison 2022. A l'orée d'une période forcément particulière, l'un des meilleurs puncheurs du peloton au XXIe siècle a ouvert la boîte à souvenir pour raconter ses Ardennaises et notamment le fabuleux triplé de 2011.

Philippe Gilbert a ouvert son livre de souvenir sur les Ardennaises

Crédit: Getty Images

Vous avez des souvenirs de vos premières Ardennaises ?
Philippe Gilbert : 2003 ! J'avais fait Liège-Bastogne-Liège. Je m'en rappelle très bien parce que je m'étais fait une déchirure du tendon d'Achille à Kuurne-Bruxelles-Kuurne tellement il faisait froid. C'est l'une des éditions les plus terribles qu'on ait vécues. J'ai mis des semaines à m'en remettre. J'étais en convalescence, j'avais repris les entraînements plus sérieusement et le mercredi de la Flèche Wallonne, j'étais au bord de la route pour supporter les coureurs. Marc Madiot m'avait appelé et m'avait dit : "Gamin, j'ai une bonne nouvelle, dimanche tu vas faire ton premier Liège-Bastogne-Liège". J'étais allé voir la Flèche à vélo et j'avais prévu de rentrer en voiture mais j'ai repris le vélo pour refaire 2h30 en plus. Ma première participation à Liège est particulière.
Quand Marc appelle, ça a dû être un choc…
P.G. : Un peu de stress surtout, je ne me sentais pas du tout préparé, entraîné et à la hauteur. C'était spécial. C'était la première fois que je faisais une course si longue, mon premier Monument. J'étais assez stressé. J'avais pu suivre jusqu'au deuxième ravitaillement plus ou moins, ce qui n'était pas mal vu les circonstances, vu l'entraînement que j'avais. Ça reste un bon souvenir.
Vous avez remporté quatre fois l'Amstel Gold Race et gagné le championnat du monde sur le même parcours. Pourquoi vous convient-elle si bien ?
P.G. : L'Amstel me convient parce qu'elle est plus technique, il y a plus de répétitions, c'est tout le temps montée-descente. Il n'y a jamais vraiment de repos et les côtes ne sont jamais très longues. A Liège, quand on passe les dix minutes d'effort, j'ai un peu plus de mal par rapport aux purs grimpeurs qui font souvent dix kilos de moins que moi. Avec mon poids, je suis désavantagé. Par exemple, dans le Col du Rosier, je souffrais un peu plus. Dans mes meilleures années, je passais bien sûr mais je pense que j'allais un peu plus loin dans l'effort que certains grimpeurs plus légers. L'Amstel se joue plus en force, c'est plus court, ça me convient bien.
Le plus beau souvenir à l'Amstel ?
P.G. : La plus belle c'est 2017. Je venais de gagner le Tour des Flandres, j'avais refusé de faire Paris-Roubaix dans le but de gagner l'Amstel. J'avais dit à l'équipe que je ne voulais pas risquer d'aller à Paris-Roubaix car j'avais de grosses ambitions. C'était en plus la dernière année de Tom Boonen. Je savais que j'avais une forme supérieure donc je voulais en profiter.
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C'était un 16 avril : 2017, Gilbert joue avec Kwiatkowski pour remporter sa 4e Amstel Gold Race

Il y a eu cette fameuse chute à pratiquement 100 kilomètres de l'arrivée. Je me suis retrouvé à terre, j'avais beaucoup de douleurs. J'ai mis pratiquement deux minutes à me relever. J'ai eu un gros soutien de mes coéquipiers, Schachmann et Devenyns. Ils m'avaient ramené dans le peloton et dès que je suis rentré, je me suis remis devant. A peine dix bornes plus loin, j'étais en échappée. On a fait 60 kilomètres devant mais avec la chute, mon final a quasiment duré 100 bornes. C'est ce qu'on appelle une grande journée, elles sont rares.
L'après-course aussi est mémorable…
P.G. : Oui, j'ai fini à l'hôpital parce qu'en allant au contrôle antidopage, on a remarqué que j'avais du sang dans les urines. A l'hôpital où on a découvert que j'avais l'enveloppe rénale déchirée à cause de la chute. A cause de toutes ces choses, j'avais aussi le maillot de champion de Belgique sur le dos, cette Amstel 2017 est très particulière.
Évoquons désormais la semaine de 2011 et ce fabuleux triplé Amstel-Flèche-Liège…
P.G. : C'était vraiment mon objectif. J'avais à cœur de gagner sur les Ardennaises. Je ne m'attendais pas à gagner les quatre. Ça avait commencé avec la Flèche Brabançonne (le mercredi qui précédait l'Amstel) que j'avais gagnée assez aisément. Je ne vais pas dire mais facilement parce que ça dénigrerait mes adversaires mais aisément. J'avais pris de la confiance pour l'Amstel, ça avait motivé tout le monde, l'équipe. On faisait tout à la perfection avec une équipe très forte.
Je me suis entraîné avec Davide Rebellin avant mon quadruplé sur les Ardennaises
Habituellement on parle du triplé sur les Ardennaises, vous ajoutez la Flèche Brabançonne pour un quadruplé…
P.G. : Oui. C'était la seule fois de l'histoire qu'un coureur remportait ces quatre courses d'affilée. Ça n'a jamais été fait depuis. C'était un exploit donc je pense que c'est pour ça qu'il faut parler d'un quadruplé et non d'un triplé.
Comment aviez-vous préparé cette semaine ?
P.G. : Les semaines qui précédaient ce quadruplé, je me suis entraîné avec Davide Rebellin qui est le seul coureur, avec moi, qui a fait le triplé. Je me souviens d'une ascension du Col de la Madone en fin d'entraînement derrière Monaco. On avait monté le col à fond, fini au sprint. Aucun des deux ne voulait lâcher. A l'époque, on n'avait pas les moyens de mesurer le temps d'ascension mais je pense qu'on avait fait une très belle montée. Je pense que je ne pouvais pas trouver un meilleur compagnon d'entraînement pour cette période-là.
Ensuite il y a eu la Flèche Wallonne, une course où vous n'aviez fait qu'un seul Top 10 (6e en 2010). Vous pensiez pouvoir la gagner ?
P.G. : Ce premier Top 10 a été un déclenchement pour moi. L'année précédente j'avais buté dans le final. En 2010, je fais sixième et je sentais qu'il y avait moyen de faire mieux. Je me disais qu'avec un entraînement plus spécifique sur les montées raides et les efforts courts, il y avait moyen de s'améliorer. J'avais travaillé plus spécifiquement.
Quel était votre état d'esprit avant la Flèche ?
P.G. : Comme j'avais déjà gagné les deux courses précédentes et que l'équipe avait fait un énorme travail sur l'Amstel, j'avais dit aux gars que la Flèche n'était pas l'objectif, que c'était plutôt Liège-Bastogne-Liège. Le plan était de ne pas rouler un mètre en tête du peloton. Une échappée est partie rapidement, l'écart est monté. Tout le monde attendait qu'on vienne rouler, personne ne me croyait quand je disais qu'on ne le ferait pas. Les Katusha de Joaquim Rodriguez se sont mis à rouler mais l'écart était énorme. Rodriguez a dû cramer quasiment toute son équipe pour ramener le peloton.
A 30 kilomètres de l'arrivée, on s'est mis à contrôler la course, juste pour garder un peloton groupé. Courir comme ça m'a permis d'avoir encore 3 ou 4 équipiers dans les trois derniers kilomètres. Au pied du mur, je suis deuxième ou troisième. J'ai économisé beaucoup de force et ça m'a permis de gagner. Je pense que tactiquement on avait joué parfaitement.
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Philippe Gilbert | La Fleche 2011

Crédit: Getty Images

Après ce succès, on imagine beaucoup de pression en Belgique…
P.G. : Je m'étais pris un petit hôtel, tout seul aux Pays-Bas. J'avais besoin de ça. J'étais resté concentré sur mes courses. C'était important. Il y avait beaucoup de pression quand même. Lors de la reconnaissance, il y avait du monde pour rouler avec nous. Ensuite la présentation des équipes dans ce chapiteau où il faisait 35 degrés. Il fallait signer 1000 autographes. C'était stressant ce moment pour moi, on a toujours peur de tomber malade.
Le matin de Liège, vous vous disiez que vous aviez réussi à conserver votre énergie ?
P.G. : J'étais bien, j'étais un peu nerveux mais j'avais passé une bonne nuit. Liège est une course assez simple. Une fois que l'échappée est partie, ce sont des grandes routes… C'est même assez long, il ne se passe pas grand-chose. Le final ressemblait à celui de la Flèche, c'était un peu la guerre avec les Katusha. Valverde était lui absent car suspendu. Avec lui, ça n'aurait pas été pareil, c'était un adversaire redoutable. Je ne pensais qu'il y avait que Rodriguez qui pouvait m'emmerder mais finalement les frères, Andy et Frank Schleck ont été les plus compliqués à contenir. Rodriguez a mal couru, il n'avait pas les jambes.
Racontez-nous le final.
P.G. : Ça s'est joué dans la Roche-aux-Faucons. Nous sommes partis à trois avec Andy et Frank, on a repris l'échappée. Je n'étais pas dans la meilleure des situations mais sachant qu'ils n'allaient pas vite au sprint, j'étais confiant. J'avais contré Frank au sommet de Saint-Nicolas avec l'ambition de les lâcher. C'était un moment-clé, ils ont douté. Andy est revenu et s'est mis à rouler pour son frère. C'est devenu plus simple, je n'en avais qu'un à surveiller. Je savais qu'au sprint, j'étais plus fort qu'eux. J'avais hâte de lancer le sprint et de gagner. Il fallait contrôler mes nerfs, c'était stressant.
Quel est votre sentiment avant ces dernières Ardennaises ?
P.G. : L'année passée déjà j'avais eu un beau soutien à Liège-Bastogne-Liège. Ça fait plaisir de courir devant un public comme ça. Pour moi c'est toujours une semaine particulière, j'entends beaucoup mon nom au bord des routes. Là, ce sera encore plus le cas.
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