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La tige de selle télescopique utilisée par Matej Mohoric lors de Milan-Sanremo : gadget, "one-shot" ou révolution ?

Simon Farvacque

Mis à jour 23/03/2022 à 14:51 GMT+1

SAISON 2022 - Tige de selle télescopique. Voici une locution à la mode depuis samedi et le succès de Matej Mohoric lors de Milan-Sanremo. Ce mécanisme qui permet de varier la hauteur de la selle a été utilisé par le coureur de Bahrain-Victorious dans la descente du Poggio. Il pose plusieurs questions, entre son fonctionnement, son efficacité, sa dangerosité dénoncée par Marc Madiot, et son avenir.

Matej Mohoric vous présente sa - ô combien fameuse - tige de selle télescopique

Crédit: Eurosport

Ce n’était pas un geste obscène. Lorsque Matej Mohoric a franchi la ligne d’arrivée en vainqueur, samedi à Sanremo, il a semblé montrer son entrejambe. Il montrait en fait sa tige de selle télescopique. Un équipement qui est depuis au cœur des conversations, au sein et autour du peloton. "Le cyclisme a changé à partir d’aujourd’hui", s’est même enorgueilli l’acrobate slovène, fier de son coup.
Le coup en question consiste en la possibilité de régler la hauteur de sa selle, sans mettre pied à terre. Mohoric a pu dévaler le Poggio à tout allure, surtout grâce à sa science de la trajectoire, mais avec un centre de gravité plus bas qu’il ne l’était durant le reste de l’épreuve. L’UCI a pris soin dès dimanche de préciser que l’utilisation d’un tel matériel était autorisée, en compétition sur route, depuis 2014.
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Comment ça marche ?

"Nous avons testé une tige de selle télescopique avec une amplitude de 12 cm, a dévoilé Mohoric, dans des propos rapportés par Cycling News. Mais c’était trop, le pédalage n’était plus efficace. Nous avons donc opté pour une tige avec 6 cm de variation. J’avais une poignée sur le guidon et j’ai abaissé et levé ma selle plusieurs fois dans la descente du Poggio." Cinquième et même légèrement distancé au pinacle de la mythique bosse, il s’est retrouvé seul en tête, au pied de celle-ci.
"Il existe trois styles de tige de selle télescopique, note Steve Chainel, concernant le mécanisme à mettre en place. La tige hydraulique : on appuie et on s’assoit sur la selle pour descendre ou on se relève pour la remonter. La tige électronique, avec une batterie, un bouton : position basse/position haute. La tige à câbles, c’est pareil : soit position A, soit position B." Sans être novateur, le procédé fait sensation.
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Une descente de funambule : Comment Mohoric a fait la différence

"C’était du domaine du fantasme"

"Je n’avais absolument pas vu qu’il [Mohoric] avait utilisé une tige de selle télescopique. On s’en est rendu compte à l’arrivée, avoue notre consultant. Cela m’a surpris, énormément surpris. Je connais la tige de selle télescopique pour l’utiliser moi-même en VTT. Je m’étais déjà posé la question de son utilisation en cyclo-cross (…) de là à l’utiliser sur route… c’était du domaine du fantasme."
Deuxième sur la Via Roma, Anthony Turgis abonde. L’hypothèse existait en son esprit mais se heurtait à une contrainte, comme il l’a expliqué lundi dans Bistrot Vélo : "Je m’étais déjà dit, quand on pouvait s’asseoir sur le cadre : ‘Le mieux, pour le confort, serait de pouvoir descendre et remonter sa selle’. Je savais que c’était possible sur certains VTT (…) Mais on recherche tellement le gain de poids sur le vélo."
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Un atout de poids

"Il a ouvert une brèche. Ce qui compte c’est le ratio gain/perte et pour Mohoric, il y a eu un énorme gain, estime Chainel. Rien n’a été fait pour qu’il ait un vélo à 6,8 kg (le seuil minimum, NDLR). En revanche, tout a été fait pour qu’il ait le meilleur matériel dans la descente du Poggio." Et tout n’est pas qu’une question de tige : "Il avait un disque de 180 à l’avant. Le standard c’est 140 ou 160 mm de diamètre. Son freinage était encore plus puissant."
Turgis appelle à ne pas sous-estimer l’importance de ce système de freinage, devenu la norme dans les pelotons. "Les vélos vont de plus en plus vite. Les freins à disque, cela joue beaucoup aussi, considère le coureur de TotalEnergies. Le freinage intervient plus tard, est plus précis. On peut se permettre d’aller encore plus vite jusqu’au dernier moment et mieux ajuster notre vitesse pendant les courbes, cela fait des gains de temps impressionnants."
Il fallait être le meilleur descendeur avec le meilleur matériel pour gratter 4/5 secondes
"Je pense qu’entre la tige de selle télescopique, le système de blocage et de déblocage de cette tige, le disque de 180 à l’avant, énumère Steve Chainel, cela ajoute entre 300 et 600 g. Le vélo de Mohoric devait être entre 7,1 et 7,4 kg. Sur Milan-Sanremo, ce n’est pas grave de trimballer quelques grammes de trop dans le Poggio et la Cipressa… Bien joué, très bien joué." Surtout que le sommet franchi, le poids devient un atout.
"Être l’un des meilleurs descendeurs du monde ne suffisait pas pour gagner Milan-Sanremo de cette manière, il fallait être le meilleur descendeur avec le meilleur matériel pour gratter 4/5 secondes. C’est l’une des plus belles victoires de ces 10/15 dernières années tant la gestion du matériel et la gestion tactique ont été optimisées", s’enthousiasme notre consultant, "très fan" du pari gagnant de Mohoric.
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Sceptique, Madiot "n’aime pas aller à l’hôpital"

Tout le monde n’est pas aussi emballé. L’amplification de la vitesse en descente n’enchante pas Marc Madiot, interrogé par Ouest-France : "Qu’est-ce qu’on aurait dit s’il avait fini dans une chaise roulante après sa descente du Poggio ? Si l’on incite les autres à faire pareil, on va aller de plus en plus vite dans des endroits qui sont censés être dangereux, on va augmenter les risques… et pour quelle sécurité dans tout ça ?"
"Je suis peut-être vieux, je suis peut-être devenu con, mais je n’aime pas aller à l’hôpital. Je garde à l’esprit que je peux très bien aller retrouver mes mecs à l’hôpital, dans un sale état, avertit le manager de l’équipe Groupama-FDJ. (…) On ferait mieux de s’inspirer de ce qu’il se fait en sport automobile : quand ça va trop vite, quand c’est trop dangereux, on fait ce qu’il faut pour ralentir. Mais voilà, c’est un discours qui n’est pas entendu, car on est toujours dans nos conneries à nous…"
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Risques inconsidérés… spécifiques à Mohoric ?

Nicolas Fritsch, ancien coureur que vous pouvez entendre sur nos antennes, ne voit pas une dangerosité accrue dans le fait d’adopter une position plus proche du sol : "Avec le centre de gravité plus bas, tu manies mieux ton vélo". Même son de cloche chez Steve Chainel : "J’ai moins peur de voir un Mohoric descendre le Poggio en 3’47" (voire moins, NDLR), que de voir Roglic qui ne sait pas prendre un virage parce que la route est légèrement humide."
"J’ai l’impression que, parce que Mohoric a utilisé un matériel différent, on va dire : ‘Il a pris des risques inconsidérés, c’est pour ça qu’il a gagné.’ Il a tout simplement utilisé sa technique pour décrocher ses adversaires", salue-t-il, admiratif du tempérament du lauréat de la Classicissima, édition 2022 : "Malgré la chute du Giro l’année dernière, malgré les quelques fois où il a failli partir à la faute, cela reste un des meilleurs descendeurs du monde."
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"J’ai un enfant maintenant…"

Le néo-retraité Dan Martin a déclaré, sur Twitter, au sujet de la tendance du Slovène de 27 ans à tutoyer le drame pour embrasser la gloire : "Flashback d’une conversation que j’ai eue avec Matej Mohoric, durant le dernier Tour de France : ‘J’ai un enfant maintenant, je vais être moins fou dans les descentes’." Et d’ironiser : "Il a fait preuve d’une tolérance au risque absolument plus faible ce samedi." Ne serait-ce pas, finalement, surtout un débat autour du grain de folie du champion du monde Espoirs 2013 ?
Selon Turgis, il ne faut pas décorréler toutes les sueurs froides que Mohoric a pu susciter, et ressentir, dans la descente du Poggio de son stratagème payant. La position basse n’est pas plus en cause que la position haute. C’est plutôt le passage de l’une à l’autre qui a, d’après lui, failli tourner à la catastrophe : "Je pense que sa première sortie de route est due à sa tige de selle télescopique. Il venait de la descendre et regardait si elle était bien descendue."
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Le récidiviste Mohoric

Vainqueur de son premier Monument, Matej Mohoric (Bahrain-Victorious) s’est d’autant plus gargarisé de sa "trouvaille" qu’il y a un an, la position dont il était éponyme (dite aussi "position super tuck", assis sur le cadre) a été interdite par l’UCI : "J’ai détruit le cyclisme une première fois, je le détruis à nouveau. Je pense que tout le monde va commencer à utiliser des tiges de selle télescopiques, ce sera une chose de plus à laquelle penser sur le vélo."
Anthony Turgis, qui a échoué à deux secondes de Mohoric samedi, n’en est pas convaincu : "Je pense qu’il sera le seul à le garder (ce dispositif) cette année." Marc Madiot semble un brin fataliste quant à la généralisation de la méthode : "On n’en est pas encore là, mais si les autres le font, je serai bien obligé de le faire (avec ses coureurs de la Groupama-FDJ, NDLR) et je le regretterai beaucoup. J’estime vraimentqu’on part dans des dérives. Je ne serai jamais un instigateur de ce truc-là."
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Les autres équipes vont-elles s’aligner ?

"Si demain ou après-demain, des coureurs me demandent ce type de matériel… on se mettra forcément en situation de leur fournir, déplore Madiot, pour qui l’intérêt sportif reste à prouver. C’est mon job de mettre à disposition de mes coureurs le meilleur matériel par rapport à une réglementation." Il nous a confié ce mercredi, avant le départ de Bruges-La Panne, qu’aucune discussion n’avait été menée en ce sens depuis samedi : "Cela n’a pas été un sujet pour l’instant."
L’idée fait en revanche déjà son chemin au sein du Cross Team Legendre, équipe professionnelle de cyclo-cross de Steve Chainel. "Je ne sais pas si ça va se démocratiser mais on se pose déjà la question de savoir si nos vélos ne devraient pas être équipés de cette fameuse tige de selle télescopique, expose-t-il. Si tu gagnes une seconde par tour grâce à cette tige de selle, ça fait dix secondes, et dix secondes c’est ce qui peut te séparer d’un Top 10, d’un Top 5, d’un podium."
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Cyclisme et courses aux innovations

Madiot s’insurge contre la course à l’amélioration des équipements : "Le sport cycliste est une compétition d’hommes, pas une compétition de matériel (…) On dénature et on minimise la force de l’homme." Tandis que Chainel avance que cela ne date pas d’aujourd’hui, ni même d’hier : "C’est un peu à l’image de Gilbert Duclos-Lassalle, qui a été l’un des premiers à sortir la fourche télescopique. C’est peut-être l’un des éléments qui lui ont permis de gagner Paris-Roubaix (en 1992 et 1993, NDLR)."
Duclos-Lassalle n'a pas fait tant d'émules, sur le long terme. Preuve que le "one-shot" est envisageable et la remise en question permanente. Nicolas Fritsch apprécie cet aspect du cyclisme, son "côté ingénieur", la réflexion que cela nécessite : "Je dis : ‘chapeau’ (à Mohoric). Le mec a cogité sur son truc, s’est entraîné l’hiver, a testé différentes solutions. Il y a du boulot derrière (…) C’est comme en Formule 1, cela fait partie du jeu. On fait un sport mécanique, on essaie d’optimiserles performances."
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Gilbert Duclos-Lassalle, victorieux de Paris-Roubaix en 1993, célèbre son succès sur le vélodrome roubaisien

Crédit: AFP

Après la selle… la potence ?

Notre consultant envisage les améliorations qui pourraient être apportées aux tiges de selle télescopiques, dont un défaut est d’être binaires. "En côte, sur le plat, en descente… tu n’as pas forcément la même position, argumente-t-il, pour l'élaboration de hauteurs intermédiaires. Je pensais déjà, il y a longtemps, à un système qui permettrait d’avoir deux ou trois positions préréglées. C’est logique. Cela va se développer à mon avis."
Pour être bien "posé" sur sa machine, la selle n’est pas le seul élément à prendre en compte. "On pourrait avoir trois ou quatre réglages prédéfinis également sur la potence (pièce qui relie le guidon à la fourche, NDLR) : tu la montes pour grimper les cols, puis pour la descente, tu rabaisses de 2 cm l’avant de ton vélo", propose ainsi Fritsch. Mohoric se vante de l’avoir "détruit", mais le cyclisme a encore des pistes à explorer.
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"Chapeau !", semble dire Wout van Aert à Matej Mohoric, à l'arrivée de Milan-Sanremo 2022

Crédit: Getty Images

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