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Paris-Nice 1966 : Poulidor bat Anquetil, mais à la fin c’est quand même Anquetil qui gagne

Béatrice Houchard

Mis à jour 08/03/2019 à 19:46 GMT+1

Mon Paris-Nice rime avec soixante-six. Ça rime. Rime pauvre certes, mais rime quand même. Dans l’histoire du vélo, Paris-Nice, édition 1966, marque un moment fort : c’est, ex-aequo avec le duel du Puy-de-Dôme en 1964, le sommet de la rivalité entre Jacques Anquetil et Raymond Poulidor.

Poulidor et Anquetil en 1966

Crédit: Getty Images

Paris-Nice 1966 ne rajeunit personne. Pourtant, c’est comme si c’était hier : du 8 au 15 mars, sur une distance de 1309 kilomètres si j’en crois Wikipedia, va se jouer un de ces psychodrames qui font parfois du cyclisme le petit frère de la tragédie antique, avec pour moralité que ce n’est pas toujours le plus fort qui gagne. Une de ces vieilles histoires comme en n’en voit plus guère depuis la victoire de Greg LeMond sur Laurent Fignon dans la dernière étape du Tour 89. Comme on aimerait en revoir. Mais peut-être est-on devenu bêtement nostalgique.
Dans Paris-Nice, Jacques Anquetil est comme chez lui. Ce serait son jardin s’il n’avait pas déjà pour terrains de jeu le Grand Prix des Nations et le Tour de France. Il a déjà gagné Paris-Nice en 1957, 1961, 1963 et 1965. Bizarrement, Raymond Poulidor n’est encore jamais monté sur le podium. Ce n’est pas demain la veille qu’il va battre le grand Jacques, surtout avec une course contre la montre de 35,7 kilomètres prévue en Corse, entre Casta et L’Ile-Rousse. Une Corse qui attendra si longtemps (2013 !) pour accueillir le Tour de France.
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Jacques Anquetil en 1966

Crédit: Getty Images

"Un nouvel Anquetil"

En ce temps-là, toute course cycliste où se retrouvent Anquetil et Poulidor est mise en vedette. Chaque jour, dans le quotidien régional La Nouvelle République du Centre-Ouest, Jacques Augendre raconte la course et il y a une photo de l’arrivée d’étape à la Une. Jacques Anquetil, alors âgé de 32 ans, est favori. Poulidor, lui, aura 30 ans juste avant Milan-San Remo. C’est "un nouvel Anquetil", affirme L’Equipe, car il vient de "gagner le Tour de Sardaigne en deux sprints".
Adriano Durante gagne à Auxerre, Vittorio Adorni à Montceau-les-Mines, Jean-Claude Annaert à Mâcon, Rudi Altig à Saint-Etienne, Rik Van Looy à Bagnols-sur-Cèze, Albertus Geldermans à Marignane. Le maillot blanc passe des épaules de Durante à celles du jeune Eddy Merckx, puis de Roger Pingeon et de Désiré Letort, tous trois coureurs de l’équipe Peugeot BP. Le 10 mars, la montée en puissance d’une nouvelle génération n’échappe pas au quotidien sportif, qui titre : "Pingeon, Merckx et Gutty bousculent Anquetil et Poulidor".

Trafalgar pour Poulidor

L’heure de vérité approche. Comme dans les dix dernières minutes du western, mais avec un vélo à la place du colt. Et là, surprise : Poulidor remporte l’étape contre la montre en Corse avec 36 secondes d’avance sur Anquetil et s’empare du maillot blanc. Le Normand est "dompté" par le Limougeaud, dit L’Equipe. "Enfin !" titre Miroir Sprint en couleurs sépia.
Il reste deux étapes, deux formalités, avec une étape L’Ile-Rousse-Ajaccio que remporte Michele Dancelli, et une sur le continent, entre Antibes et Nice par la corniche. Vue somptueuse garantie. Pour Raymond Poulidor, le défilé s’annonce triomphal sur 167 kilomètres. Mais non. Ce ne sera pas la course au soleil d’Austerlitz pour Poulidor mais un coup de Trafalgar au bénéfice d’un Anquetil déchaîné. Raphaël Geminiani, le directeur sportif, a écrit le scénario, il ne reste plus à l’équipe Ford-France qu’à l’interpréter. Jean Stablinski, Jean-Claude Annaert, Paul Lemetayer, Pierre Everaert, Jean-Claude Wuillemin et Arie Den Hartog attaquent à tour de rôle, harcelant l’équipe Mercier BP, beaucoup moins forte et surtout moins habituée à défendre un maillot de leader.
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Poulidor et Anquetil en 1966

Crédit: Getty Images

A 35 kilomètres de l’arrivée, dans la côte de la Tourette, Anquetil attaque une fois, deux fois, trois fois. Poulidor revient. Puis cède. Les jambes ? Non, la tête, sûrement, comme toujours : "L’ascendant psychologique d’Anquetil sur Poulidor est un mystère que l’on ne peut que constater. Poulidor admire Anquetil et cette admiration lui est fatale", écrira plus tard Paul Fournel dans Anquetil tout seul.

La France coupée en deux

A Nice et dans les jours qui suivent, la polémique prend une tournure invraisemblable. La Fédération française de cyclisme, à la demande d’Antonin Magne, le directeur sportif de Poulidor, l’homme à la blouse blanche et au béret, va ouvrir une enquête. Les Mercier accusent les Ford de les avoir bousculés, envoyant même au fossé (c’est Wuillemin qui aurait fait le coup) le pauvre Barry Hoban, contraint à l’abandon. "Je sais maintenant qu’Anquetil est le patron", dit Poulidor, accusé par Anquetil de "pleurnicher".
Le patron ? Parce qu’il est le plus fort ou parce qu’il a convaincu d’autres équipes, celles des Italiens, en l’occurrence, de lui avoir donné un coup de main ? Géminiani menace de porter plainte contre Magne pour "préjudice sportif, moral et commercial". Les cycles Mercier s’interrogent sur l’opportunité de continuer l’aventure. Ce n’est pas l’affaire Dreyfus, mais on n’en est pas loin. La France est coupée en deux, et pour une fois ça n’est pas par la politique. Dans les repas de famille, le sujet enflamme les conversations.
Début avril, j’ai acheté au kiosque de la gare de Tours mon premier Miroir du cyclisme avec Poulidor en couverture et un poster de Merckx, qui a gagné à San Remo sur la Via Roma le jour de la saint Joseph. Le journal coûtait deux francs et je l’ai lu en cachette au lycée Balzac pendant un cours de dessin. Ainsi naissent les vocations.
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