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Reportage : Paris-Roubaix, côté vélodrome

Béatrice Houchard

Mis à jour 11/04/2023 à 00:38 GMT+2

Le dimanche de Paris-Roubaix, il faut choisir son camp : soit on reste avec un plateau-repas devant la télévision pour ne pas rater une miette de la course, pas une crevaison, pas un pavé, pas une attaque et surtout pas celle qui sera décisive. Soit on va s'installer dès l'heure du déjeuner au vélodrome André-Pétrieux à Roubaix. Et on attend. Longue et douce attente.

Beaucoup de crevaisons, un duel éphémère et un Van der Poel au sommet : le résumé de la course

Entrer dans le vélodrome mythique, même à pied et alors que la course est encore loin d'Arenberg, ça sonne déjà comme une récompense. C'est comme l'Opéra Garnier pour les amateurs de musique : rien que de s'y asseoir, on est heureux. Un non-connaisseur soulignerait que le vélodrome aurait besoin d'un petit coup de neuf, mais il est historique et majestueux grâce à sa patine. Il ne faut pas y toucher. Les roues de Merckx, de Moser, de Boonen et de Cancellara y ont laissé leur empreinte. Quelques mauvaises herbes passent même un brin par les interstices du revêtement dans l'espoir de voir les coureurs.
Quand il fait beau, comme ce dimanche de Pâques, passer quatre ou cinq heures au vélodrome s’apparente à une journée de vacances avec soleil et chaleur. Dans la queue devant la "Friterie Sensas", certains sont déjà torse nu. La petite bande bleue de la piste, à la corde, n'a jamais autant mérité son nom de "côte d'azur". Les tribunes sont presque pleines (pour des raisons de sécurité, l'accès a été limité) mais on a rarement vu telle foule autour de la boucle. Les Belges occupent presque tout le haut du dernier virage.
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Celle-là, il s'en souviendra : la victoire de Van der Poel au Vélodrome

L'ambiance des retrouvailles annuelles est familiale et joyeuse. Personne ne parle de la réforme des retraites. On a ressorti la casquette Eddy Merckx ou le maillot Campagnolo. Les plus anciens se racontent comme à chaque fois les années Duclos-Lassalle, les années Madiot, le sprint arrangé Musseuw-Bortolami-Tafi ou la victoire de Sonny Colbrelli en 2021 devant Vermeersch et Van der Poel, méconnaissables sous la boue du mois d'octobre, merci le Covid.
Dès le début de l’après-midi, les informations sur la course et les images retransmises sur les écrans géants donnent la clé du jour : le public soutient "Mathieu". Quand Van der Poel distance légèrement Wout van Aert et ses autres compagnons d’échappée entre Auchy et Bersée, 12e secteur pavé, puis à Mons-en-Pévèle, ce nom qui fait chanter la légende, la clameur monte. Le public réagit au quart de tour aux informations, s'exclame en voyant Dylan van Baarle à terre dans la trouée d'Arenberg et pousse d'une seule voix un cri lors de la chute de John Degenkolb au Carrefour de l'Arbre.
En lever de rideau, voici la course des espoirs et c'est un Français, Matys Grisel, qui l'emporte au sprint. Il est d'Amiens, occasion pour le commentateur du vélodrome de parler de "notre Picardie", que la création des Hauts-de-France n'a pas rayée de la carte. Les plus jeunes, cadets et pupilles, garçons et filles, ont ensuite droit à leur propre course, partie de l'espace Charles-Crupelandt, pour avoir leur premier frisson en entrant dans le vélodrome. Un jeune garçon en a encore des étoiles dans les yeux : "J'y croyais pas !" confie-t-il en faisant la queue pour manger une crêpe avec ses futurs rivaux. Ils ont des petites cannes de moineau et leur maillot est déjà recouvert de publicités.
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Mathieu Van der Poel sur le vélodrome de Roubaix.

Crédit: Imago

Dans l"espace de la région des Hauts-de-France, partenaire de l’épreuve, le public se partage en deux : il y a ceux qui tentent de regarder la télévision pour suivre la course ; et ceux qui tournent ostensiblement le dos aux écrans et se lèveront à peine pour voir arriver les coureurs. On carbure à la bière, au soda servi dans des verres "Enfer du Nord" et même au champagne pour faire passer les gaufres. Ça sent les frites comme dans une chanson de Jacques Brel.
L'ancien ministre socialiste et aujourd'hui sénateur Patrick Kanner serre toutes les mains, même celles qui ne se tendent pas. Le président de la région, Xavier Bertrand, vrai fan de cyclisme et supporter inconditionnel de Bernard Hinault, s'offre sa triple dose annuelle : le matin au départ à Compiègne, le midi dans sa commune de Saint-Quentin et le soir sur le podium. "Paris-Roubaix, c"est notre Tour de France à nous", confie-t-il avec gourmandise, ravi de ces heures de retransmission télévisée qui montrent sa région sous son meilleur jour devant des millions de téléspectateurs en France et au-delà. Mieux qu"une campagne de pub.
La tension monte dans le vélodrome avec quelques olas timides. "Ils" sont à Camphin-en-Pévèle, 5e secteur pavé. "Ils" approchent du Carrefour de l"arbre, le centre historique de la bataille de Bouvines. La légende veut que Philippe Auguste, en 1214, se soit reposé contre un arbre après la victoire… Là, van der Poel distance van Aert, trahi par une crevaison. Le duel des deux frères ennemis n'aura pas lieu sur la piste, mais le bonheur du vélodrome est total.
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L'analyse des RP : Van Aert - Van der Poel, le duel qui n'a jamais eu lieu

Le bruit de l’hélicoptère fait passer un frisson général : "Ils arrivent !" L'espace Charles Crupelandt n'est plus qu’une formalité pour "Mathieu". Il faut alors ouvrir grand les oreilles et déguster, car la clameur du vélodrome de Roubaix est unique. Elle accompagne van der Poel quand il apparaît dans le dernier virage, où Miss Roubaix-Métropole, en tenue de gala et diadème, ne veut pas rater sa photo. En célébrant "Mathieu", les plus vieux, inconsciemment, pensent à "Raymond" : dix-huit participations et six fois dans le Top 10 sur le vélodrome pour Poulidor, le "papy".
Mais le public de Roubaix a encore du cœur pour acclamer Philipsen et Van Aert, puis offrir un petit supplément de ferveur au malheureux Degenkolb, qui s'effondre en larmes sur la pelouse. Tous ont droit aux applaudissements, jusqu'à Derek Gee, 135e, qui arrive pendant la cérémonie protocolaire, vingt-cinq minutes après le vainqueur, et Karl-Patrick Lauk, arrivé hors délais.
C'est fini. On remballe les sièges de camping. On est heureux. On regarde les coureurs qui repartent. Florian Sénéchal, reconnaissable à son maillot de champion de France, envoie un signe amical aux gamins chasseurs d'autographes. Mais la journée va jouer les prolongations : car si on était aux premières loges pour l’arrivée, on n'a vu de la course que des bribes, et parfois de loin. Il faudra les "replay" de la télévision pour analyser et savourer tout cela. Paris-Roubaix le mérite : comme les frites et la bière dans le vélodrome, on a le droit d'en reprendre plusieurs fois.
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John Degenkolb à terre au vélodrome de Roubaix. L'Allemand est réconforté par Van der Poel et Philipsen.

Crédit: Getty Images

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