Pourquoi Red Bull s'attaque à la Bora-Hansgrohe et au cyclisme

Oubliez la fusion avortée entre Visma et Quick Step. Et jetez plutôt un œil sur ce qu'il se passe au sein de la Bora-Hansgrohe. Le 3 janvier dernier, la formation allemande a annoncé que le groupe Red Bull envisageait "d'étendre son implication dans le cyclisme sur route" et de "compléter le portefeuille de sponsors principaux de l'équipe à long-terme."

Dans les faits, l'engagement de la célèbre marque de boisson énergisante devrait être bien plus profond. L'entreprise souhaite acquérir 51% des parts des sociétés RD Pro Cycling et RD Beteiligungs, détenues par Ralph Denk, l'homme à la tête de la Bora-Hansgrohe. L'accord a été confirmé par l'autorité fédérale autrichienne de la concurrence et le transfert des actions devrait être finalisé ce vendredi.

Après une entrée discrète mais remarquée dans le peloton, à travers le sponsoring de coureurs (Van Aert, Pidcock), Red Bull a donc, cette fois, opté pour un investissement bien plus significatif. "Quand le groupe déploie de tels moyens, ce n'est pas pour faire de la simple figuration, analyse Jérôme Bouchat, spécialiste cyclisme du cabinet Nielsen Sport. Dans ce cas précis, il y a aussi d'abord une certaine logique, mais aussi une continuité."

Ces derniers mois, la firme autrichienne avait avancé ses pions. Outre son partenariat avec Anton Palzer, coureur de la formation allemande débarqué du ski alpin, elle avait lancé en février, en collaboration avec la Bora, la Red Bull Junior Brothers. Un programme de détection destiné à "trouver les futures stars du cyclisme sur route." Tiens tiens.

"Ils ont une stratégie qu'ils ont déjà appliquée en Formule 1, avec l'écurie championne du monde et AlphaTauri, ainsi qu'en football avec Leipzig, Salzbourg ou New York, souligne Jérôme Bouchat. Ils investissent d'abord dans la structure avant de déployer leur savoir-faire. Red Bull est un sponsor différent de tous les autres. C'est à la fois une marque, un créateur de contenus, un créateur de compétitions, une régie publicitaire, une régie média aussi. Ils déploient de gros moyens."

C'est ainsi que la firme a délogé Primoz Roglic, vainqueur du Tour d'Italie 2023 et triple vainqueur du Tour d'Espagne (2019, 2020, 2021). "Il n'y a pas d'augmentation de budget et cela n'a rien à voir avec l'arrivée d'un nouveau sponsor, avait tenté de démentir Ralph Denk au moment de l'annonce du transfert, au début du mois d'octobre dernier. Nous avons payé cette opération avec notre argent."

Le Slovène avait pourtant été aperçu au centre de performance de Red Bull, à Salzbourg, durant les négociations. Et des canettes de la célèbre boisson énergisante avaient fleuri autour de lui lors de certains entraînements. Les dessous financiers du deal, à savoir un chèque de trois millions d'euros dans la poche de Visma pour mettre fin à son contrat, ainsi qu'un salaire de 5,5 millions d'euros sur deux ans, ne laissent guère de place au doute.

"L'objectif est clairement de concurrencer des équipes à plus gros budget, estime Jérôme Bouchat. C'est une bonne nouvelle pour le cyclisme alors qu'il y a quelques années encore, je vous aurais dit qu'il était impossible que Red Bull s'y intéresse." Mais ces derniers temps, le sport a évolué à une vitesse folle.

"Le profil démographique du public qui s'intéressait au vélo était plutôt vieillissant, ajoute le consultant. Les plus de 65 ans ne sont pas des grands consommateurs de Red Bull. Et puis, la discipline avait aussi du mal à se renouveler. Après une période gangrenée par le dopage, il y a eu l'ultra-domination de Sky, qui était capable de contrôler tout le peloton".

L'arrivée d'une nouvelle génération de coureurs plus polyvalents et bien moins calculateurs, comme Tadej Pogacar, Remco Evenepoel, Wout Van Aert ou encore Mathieu van der Poel a donné un sacré coup de jeune à la discipline et attiré un nouveau public, lui aussi plus jeune. "Désormais, les investissements sont de plus en plus importants, ajoute le spécialiste. Un sponsor-titre d'une équipe peut maintenant payer plus cher qu'un sponsor maillot d'un club de foot moyen de Premier League. Ce qui est déjà énorme."

D'où la volonté de certains acteurs de réformer le cyclisme en profondeur. Richard Plugge, patron de Visma-Lease a Bike, a notamment enclenché le projet "One Cycling" dont l'objectif est de revoir la distribution des revenus liés aux droits télés, dont les équipes sont pour l'instant privées, mais aussi la commercialisation des droits à l'image des athlètes.

"Bora est l'une des équipes qui portent le projet, dévoile Jérôme Bouchat. Cela fait peut-être partie des arguments qui ont convaincu Red Bull. Le cyclisme est peut-être à un tournant. Et même si l'objectif final de l'entreprise autrichienne est de vendre des canettes, elle a aussi prouvé qu'elle était capable de générer de l'argent et de tirer des bénéfices en investissant différemment." En F1, la marque n'a eu besoin de que trois ans pour atteindre les sommets. Combien lui en faudra-t-il dans le cyclisme ?