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Nairo Quintana, le Condor qui a perdu ses ailes

Benoît Vittek

Mis à jour 18/09/2018 à 09:27 GMT+2

TOUR D’ESPAGNE 2018 - La Vuelta devait permettre à Nairo Quintana de conquérir un troisième grand tour, le premier depuis deux ans. Elle a conforté les critiques contre le grimpeur colombien, implacablement rentré dans le rang et qui ne fait plus rêver les foules.

Nairo Quintana - Tour d'Espagne 2018

Crédit: Getty Images

Nairo Quintana ne vole plus vers son sueño amarillo. Depuis deux ans, le Condor de Boyaca ne bute même plus sur Chris Froome et l’armada Sky, il a les ailes empêtrés dans des limites inédites pour celui que le monde de la Petite Reine imaginait concrétiser une prophétie vieille de plus de 30 ans : un jour, un Colombien remportera le Tour de France.
Juillet est passé, les rêves de Quintana ont une nouvelle fois trépassé. Et ce n’est pas septembre et cette Vuelta tout juste achevée qui ont rassuré ceux (dont je fais partie) que le grimpeur de poche avait enthousiasmé lors de son émergence, marquée par un succès flamboyant au Semnoz lors de la 20e étape du Tour 2013 - il faisait coup triple en ce jour de fête nationale colombienne avec la victoire d’étape, le maillot à pois et une place confortée sur le podium final.
Cinq ans plus tard, la 20e étape de la Vuelta 2018 a au contraire symbolisé les frustrations que Quintana suscitent aujourd’hui. “Naironman” a même subi un triple contrecoup : il était impuissant à gagner l’étape, à peser sur la lutte au général et à sauver Valverde. Le Colombien a attaqué de loin, il a été contrôlé par le sprinteur Matteo Trentin. Il a retenté sa chance, en descente, pour mieux afficher ses limites quand la route se redressait et qu’il était incapable de passer un relais à son plus jeune compatriote Miguel Angel Lopez. Il a finalement fait sauter son drôle de leader Alejandro Valverde dans la dernière ascension du jour, avant de lui apporter un soutien aussi peu utile que celui que l’Espagnol se targue souvent d’offrir au Colombien.
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Nairo Quintana

Crédit: Getty Images

Les résultats sont sévères, les impressions plus cruelles encore

Le marigot de la Movistar ne favorise certainement pas l’épanouissement de Quintana, on pourra y revenir. Mais le Colombien lui-même n’est aujourd’hui plus à la hauteur de ce qu’il a pu être. Les résultats en sont une première illustration, irréfutable : Quintana était hors jeu sur les trois derniers grands tours auxquels il a participé (12e et 10e sur les Tours 2017 et 2018, 8e sur La Vuelta) après un échec relatif sur le Giro 2017 (2e) ; il était toujours monté sur le podium du Tour avant cette mauvaise série et s’était imposé en multiple vainqueur de grands tours avec un Giro (2014) et une Vuelta (2016).
Cette incapacité à gagner est d’autant plus marquante que la Vuelta lui était promise et a consacré une nouvelle génération face à un Quintana pourtant pas si vieux que ça. Simon Yates, Enric Mas et Miguel Angel Lopez composent un podium à 24 ans et huit mois de moyenne d’âge, le plus jeune sur un grand tour depuis 1965 selon les statisticiens du vélo.
Les résultats sont cruels, les commentaires sur le comportement en course du Colombien le sont plus encore. On l’accuse d’attaquer en dedans, de faire de faux relais, voire même de simuler des incidents mécaniques. Pendant que Yates donne la leçon sur la route, Quintana essuie la majeure partie des critiques adressées à son équipe. C’est injuste. Mais il tend aussi le flanc aux critiques, comme sur cette image tirée de l’ascension des Lacs de Covadonga et rapidement tournée en dérision : "Quintana demande un relais à son ami imaginaire”, s’amuse-t-on sur les réseaux sociaux. Yates, qui venait d’adresser de grands gestes courroucés au Colombien, ne riait certainement pas autant.
Movistar dépend trop de la visibilité que Nairo lui offre
“Qu’on dise que je cours de manière conservatrice, ça ne me fait pas mal. Ce sont les jambes qui parfois me font mal”, s’est défendu Quintana en cours de Vuelta, rappelant qu’il n’est “pas tout-puissant”. Après tout, les griefs sur son attentisme sont largement nourris par les images du Tour, où le bloc Sky étouffe toute velléité offensive et où il a tout de même signé un joli numéro sur le Col du Portet cet été. Comme souvent avec Quintana sur le Tour, la charge semblait tardive, mais on aurait bien aimé voir à quel point le Colombien pouvait transcender une course relativement terne, sans sa chute dans la troisième semaine.
“Quand il a de mauvaises jambes ou est malade, son honnêteté est désarmante”, défend le journaliste Matt Rendell, qui a vécu dix ans en Colombie (et dont je mentionnais déjà ici l’expertise sur les Escarabajos). Il prépare désormais un livre sur la génération colombienne qui a émergé avec Quintana, et relève que “Naironman” a probablement trop donné en début de saison et affichait une forme étincelante sur le Tour de Suisse, avec un superbe numéro vers Arosa, similaire à ceux qu’il a déjà pu réaliser sur Tirreno par exemple.
“Il ne faut pas oublier qu’une bonne partie du financement de la Movistar vient d’Amérique du Sud”, reprend Matt Rendell. “La rumeur veut que la branche européenne souhaitait abandonner son engagement dans le cyclisme il y a un ou deux ans. Peut-être, pour ces raisons, l’équipe dépend-t-elle trop de la visibilité que Nairo lui donne. Il me semble probable que l’équipe n’est pas assez mûre pour permettre à Nairo de faire l’impasse sur les courses sud-américaines du début de saison, ne pas être à l’avant au Pays basque (la course à domicile pour Movistar), être compétitif en Romandie et ensuite retourner en Colombie pour préparer le Tour de France.”
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Vuelta 2018 : Alejandro Valverde, Nairo Quintana (Movistar)

Crédit: Getty Images

Un rebond, bientôt ?

En somme, dans un sport où l’exigence au plus haut niveau est de plus en plus forte, Quintana ne bénéficie pas (plus ?) des conditions nécessaires pour exprimer son talent. “L’engagement de Movistar pour permettre à Nairo de s’exprimer à 100% n’a jamais été continu et n’a jamais constitué un projet de long terme et mené avec attention”, insiste Matt Rendell. La formation espagnole, qui se veut si puissante, est réputée pour user ses coureurs sans apporter une grande attention à qui que ce soit d’autre que le roi Valverde. Le triumvirat Quintana-Valverde-Landa apporte peut-être des victoires aux classements par équipes, mais les Movistar n’ont pas porté un maillot de leader sur les grands tours cette année.
Entre 2013 et 2016, Quintana a su forcer ses dirigeants et son destin, Aujourd’hui, il subit, sur la route et peut-être en dehors aussi. Mais la beauté du sport et la grandeur des champions résident aussi dans leurs capacités à nous surprendre. À offrir des trajectoires extrêmes, des rebonds aussi tranchants qu’une pulsation sur un électrocardiogramme. Combien de fois a-t-on enterré Alberto Contador avant ses adieux majestueux sur l’Angliru ? Cadel Evans apparaissait-il encore en vainqueur du Tour en puissance avant son succès en 2011, à 34 ans largement révolus ?
Le visage amérindien du “Little Big Man” a beau lui donner des allures de quinquagénaire depuis son émergence, son passeport affiche seulement 28 ans et il lui reste quelques années pour poursuivre le sueño amarillo qui réveille les Colombiens aux petits matins de juillet. Et à défaut de jaune, l’arc-en-ciel se joue sur un terrain de grimpeurs dans quelques jours. Et si on retrouvait Naironman à Innsbruck ?
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