Tour de France : Thibaut Pinot (Groupama-FDJ) ou l'éternel retour du chevalier noir

TOUR DE FRANCE - Un peu plus de treize mois après son cruel abandon dans les Alpes, Thibaut Pinot va retrouver samedi le Tour de France. Vainqueur du Tour de Lombardie et de superbes étapes sur les trois grands tours, le Français a aussi connu son lot de désillusions, parfois bien cruelles. Il s'en est toujours relevé. Et le revoilà, encore une fois, prêt à repartir au combat.

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Thibaut Pinot fait parfois penser au chevalier noir de Sacrée Graal ! Comme lui, il trouve toujours le moyen de repartir au combat. Personne n'a joué les rois Arthur pour couper les bras puis les jambes de Pinot, mais les coups bas de son propre destin l'amputent à chaque fois d'une part de rêve.
Pourtant, il finit par se relever, tel l'impayable personnage du premier long métrage des Monty Python. Même quand la jauge de l'abattement atteint le seuil maximal, comme l'an dernier sur le Tour, où son abandon à 48 heures de l'arrivée avait un petit côté dégueulasse. Tant de fourberie. Et ces mots, entre rage et chagrin, à vous foutre la boule au ventre, sauf à être totalement dépourvu de la moindre capacité d'empathie : "Tout le temps pareil… Tout le temps.J'en peux plus. C'est fini, j'arrête."
"Ne dis pas aujourd'hui ce que tu regretteras demain", avait répondu du tac au tac Marc Madiot, à cet instant précis plus père protecteur que manager d'équipe. Dans ce rôle-là, voix posée et mots choisis, il est aussi sobre et juste qu'il peut s'avérer exubérant et excessif dans ses émotions les jours de victoire. Là, il n'était plus question de boulot, de contrat, d'objectifs fixés ou à tenir, de watts ou de ce que vous voudrez. Juste de rapports humains, entre deux types engagés dans la même aventure, qui se connaissent, se respectent et même, sans doute, s'aiment. Ce genre de dialogue n'existe pas sans amour.
Madiot avait évidemment raison. Pinot, qui n'en pensait pas un mot mais avait besoin de le dire sur le coup, s'est donc relevé. Comme après le coup de buis du Giro 2018, bien vicelard celui-là aussi. Comme après tout le reste. 2020 ou l'éternel retour du chevalier noir. "Je l'ai digéré assez facilement, dit-il aujourd'hui à propos du Tour 2019. Je me suis dit que ça ne servait à rien de pleurer là-dessus, c'était fini, trop tard, ça ne servait à rien. Je n'avais qu'une envie, repartir sur une nouvelle saison". Les raisins de sa colère à chaud se sont vite rabougris. C'était à peu près garanti et c'est tant mieux.
Dans son rapport au Tour de France, Thibaut Pinot fait aussi penser à Raymond Poulidor. Il est encore loin d'avoir autant marqué l'épreuve que la légende limousine, dont les faits d'armes, les performances et les inévitables échecs l'ont installé comme un monument de la Grande Boucle, quand bien même il ne compte pas parmi ses vainqueurs. Pinot n'en est pas encore là, mais à sa propre échelle, il y a un peu de cela chez ce coureur capable de générer les plus puissants espoirs sans tout à fait les concrétiser.
Il a presque tout connu sur le Tour. Les succès porteurs de grandes espérances, dès 22 ans. Le podium à 24. Des victoires d'étapes prestigieuses, à l'Alpe ou au Tourmalet. Mais aussi de très sévères désillusions, la dernière en date étant de loin la plus dure à avaler. Pourtant, si la cicatrice est là, la plaie s'est refermée. Mieux, le Franc-Comtois veut s'appuyer dessus. De 2019, il a conservé deux certitudes :
1. Il est capable de gagner le Tour. Jamais il n'en avait eu à ce point la conviction. Même après son podium en 2014. Il s'est senti plus proche de la victoire l'an passé qu'en terminant 3e avec le maillot blanc sur le dos. Cette sensation grisante de se sentir si fort, peut-être même le plus fort, n'a pas de prix. A l'heure d'aborder le Tour, elle vaut plus cher qu'un podium en suiveur sans jamais avoir menacé qui que ce soit.
2. Il n'a "plus peur du Tour", comme il le dit. Pinot l'avoue volontiers, il s'est longtemps mis une gigantesque pression avant le grand rendez-vous estival. Sa responsabilité, sa faute. "Ce n'était pas la pression de l'équipe ou des médias", insiste-t-il. Juste celle qu'il s'imposait.
Alors, fort de tout ça, c'est forcément la bonne, non ? Ce serait bien, ce serait chouette. Pour le cyclisme français qui attend ça depuis trente-cinq ans. Pour lui, surtout. Le maillot jaune ne s'attribue pas au mérite ou aux sentiments, il ne manquerait plus que ça, mais, oui, l'histoire serait belle.
Pourtant, c'est loin d'être gagné. Parce que Ineos. Parce que Bernal. Parce que Jumbo-Visma. Parce que Roglic et Dumoulin. Parce que Pinot, surtout. Si le Tour 2019 nous a effectivement convaincu, lui comme nous, qu'il avait ça dans les cannes, il a aussi confirmé que le leader de la Groupama-FDJ pouvait devenir son pire ennemi. Les petits pépins, dont on peut se relever mais qui vous compliquent la vie (une bordure par ci) ou les grands drames définitifs (une lésion musculaire par là).
On aimerait que tout ça lui foute la paix, une fois pour toutes, mais tout arrive pour une raison. Comme pour Poulidor jadis. Le hasard n'existe pas sur le Tour. Sur une journée, à la limite. Une édition, à l'extrême rigueur. Pas sur une carrière.
Sur trois semaines, sa fragilité physique a souvent fini par lui jouer des tours. S'il est débarrassé d'une forme de complexe vis-à-vis de la Grande Boucle, il lui reste à prouver qu'il peut tenir la distance en jouant la gagne.
Jusqu'ici, dans les grandes courses par étapes, malgré ses coups d'éclat, Pinot a surtout été l'homme des occasions manquées. Jusqu'au dernier Dauphiné, où sa place de dauphin a laissé un goût amer. De façon plus ou moins rationnelle, flotte dans l'air cette idée qu'une tuile, petite ou grande, va finir par lui tomber dessus. C'est son épée de Damoclès. Alors, pour le chevalier Pinot, une victoire sur le Tour constituerait, d'abord, une victoire sur lui-même.
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