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Copa Libertadores : Les barras bravas, ces mafias des tribunes argentines

Thomas Goubin

Mis à jour 30/11/2018 à 10:00 GMT+1

COPA LIBERTADORES - Les barras bravas, ces groupes de supporters aussi fervents que violents qui règnent sur les tribunes argentines, sont peut-être derrière le report de la finale retour de Copa Libertadores, après l'agression du car des joueurs de Boca Juniors. Une certitude : le football argentin vit sous leur influence.

I tifosi del River Plate ammassati sulle tribune dello stadio Monumental

Crédit: Getty Images

C'est peut-être le moment où la "finale du siècle" a commencé à se couvrir d'opprobre. Vendredi, la veille du match retour qui n'a finalement toujours pas eu lieu (elle se disputera le 9 décembre à Madrid, NDLR), des perquisitions avaient été menées aux présumés domiciles de plusieurs membres des Borrachos del Tablón, la plus importante barra brava de River Plate. Trois cent billets pour River - Boca avaient été saisis, mais aussi plus de 160 000 euros en liquide. Un butin qui n'a surpris personne en Argentine, puisque les barras ont pour habitude de se nourrir sur la bête. Sur le dos des clubs qu'ils supportent, toujours bruyamment, et trop souvent violemment.
Pour le chef du gouvernement de la province de Buenos Aires, Horacio Rodríguez Larreta, la cause est entendue. L'agression du bus de Boca Juniors était une mesure de rétorsion des Borrachos del Tablón. Une démonstration de leur pouvoir de nuisance, et de leur pouvoir tout court. "Le problème c'est la mafia des barras, a dénoncé le dirigeant politique, l'attaque du bus est liée aux perquisitions de la veille. Des personnes qui ne pouvaient pas entrer au stade ont semé le désordre dans les alentours". Pour le moment, l'enquête est toujours en cours, et des sources policières ont indiqué au site InfoBae que la thèse d'une incroyable négligence et d'un manque de coordination des autorités, est pour le moment privilégiée.
Autre théorie : le dispositif défaillant de sécurité, qui a vu le car de Boca s'avancer à découvert face aux supporters de River, pourrait être lié aux relations d'Hector Godoy, dit "Caverna", le capo des Borrachos del Tablón, au sein de la police. "Ce qui est sûr, c'est que si les 300 de la barra ne vont pas entrer, ils vont se signaler et la police aurait dû être préparée", estime Monica Nizzardo, qui avait fondé, en 2006, l'ONG Salvemos al fútbol (sauvons le football), la première organisation à s'être mobilisée contre le pouvoir des barras.

Une entité de l'éco-système du foot argentin

Etre chef d'une barra brava, c'est être un capo selon la terminologie ultra, mais aussi au sens mafieux du terme. "Caverna", un surnom qui en dit long et se passe de traduction, ne peut toutefois plus diriger la claque au sein du Monumental, pour être interdit de stade. Il continue pourtant de gérer le business de la barra. Lundi, le siège de River Plate situé au sein du Monumental, a d'ailleurs fait l'objet d'une perquisition dans le cadre de l'enquête ouverte sur la revente de billets par les Borrachos del Tabón. Des complicités au sein du club sont suspectées. Il y a une quinzaine d'années, Caverna avait d'ailleurs été employé de River Plate, avec un salaire rondelet à la clé.
Un schéma somme toute classique en Argentine. Si l'on se situe dans le camp d'en face, il est ainsi de notoriété publique que la Doce, la barra emblématique de Boca Juniors, gère les parkings de la Bombonera et une partie de la vente du merchandising. Lors du dernier match éliminatoire de l'Argentine pour le Mondial 2018, joué exceptionnellement à la Bombonera, la presse locale avait ainsi indiqué que plus de 2000 billets avaient été cédés aux chefs de la Doce. Une manière pour le président de l'AFA, Chiqui Tapía, de s'acheter le savoir-faire de la barra pour supporter bruyamment les siens. Maîtres de leur tribune, les membres de la barra revendent leurs entrée et rentrent gratuitement. Ils peuvent aussi y gérer le trafic de drogue.
Les barras bravas appartiennent à l'éco-système du football argentin. Si vous visitez Buenos Aires et achetez un pack touristique pour assister à un match de Boca Juniors, il est ainsi fort probable que vous financiez la Doce, ses animations, mais aussi le train de vie fastueux de ses dirigeants. "Le football est une activité qui fait vivre joueurs, dirigeants, agents, et journalistes. Et à ceux qui assurent le spectacle en tribunes, il nous revient aussi une part", a pu expliquer, comme si cela allait de soi, Rafael Di Zeo, le chef de la Doce. Et le business est juteux. En mai dernier, quand la demeure de "Pachi", l'un des leaders de la barra d'Independiente, autre grand club de Buenos Aires, a été perquisitionnée, 120 000 dollars avaient été saisis ainsi que plusieurs armes. Le capo vivait dans une luxueuse demeure, où des peintures représentants Al Pacino dans "Scarface" et Pablo Escobar faisaient office de décoration.
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La Bombonera lors de la finale aller de la Copa Libertadores entre Boca Juniors et River Plate

Crédit: Getty Images

Un pourcentage sur les salaires des joueurs

Monica Nizzardo parle des barras comme d'une pieuvre qui n'a cessé d'étendre ses tentacules. En 2005, elle avait commencé à s'opposer à leur appétit grandissant quand elle était membre du comité directeur d'Atlanta (D2), et que des barristas avaient détruit les bureaux du club. "Au début, ils demandaient un soutien pour les matches à l'extérieur et un choripan (sandwich argentin), dit Nizzardo, mais ils se sont rendus compte que les dirigeants avaient peur d'eux, et ils n'ont cessé d'en vouloir davantage, jusqu'à un pourcentage des salaires de joueurs ou des indemnités de transfert". En 2007, un socio de River Plate avait d'ailleurs dénoncé que les Borrachos del Tablón avaient touché une partie de la vente de Gonzalo Higuain au Real Madrid.
"Les dirigeants de clubs ont utilisé les barras pour gagner des élections, pour faire taire des opposants, ou pour aller mettre la pression à un joueur avec lequel il existait un différent économique, dénonce Nizzardo, mais désormais, les présidents sont autant complices qu'otages". Sous peine de recevoir une visite musclée, il est ainsi conseiller aux dirigeants d'entretenir des relations plutôt cordiales avec la barra. Aux joueurs aussi. En 2016, Carlos Tévez avait ainsi été pris en photo en train de trinquer dans un restaurant avec des membres de la Doce. Entretenir de bonnes relations, ce qui conduit parfois aussi à lâcher quelques billets, c'est s'acheter la bienveillance de la partie la plus fanatique des tribunes. Les entraîneurs le savent aussi.

L'heure de faire le ménage en tribunes ?

Dans un pays où le football est une affaire d'Etat, jusqu'où va le pouvoir des barras ? "Je rappelle que Mauricio Macri (président de la République d'Argentine) s'est servi de Boca Juniors, dont il a été président (de 1995 à 2008), pour se lancer en politique, répond Nizzardo, et quand il dirigeait Boca, il n'a absolument rien fait contre Di Zeo et le business des barras". Les dirigeants de clubs impliqués en politique n'ont rien d'une exception en Argentine, comme le fait d'employer des barras pour faire le nombre lors des meetings ou de coller des affiches. Pour quelques basses œuvres également. Des services mutuels entre dirigeants et barristas qui ne font qu'étendre le réseau d'influence de la mafia des tribunes. "La première fois que le juge Mariano Berges, qui a rapidement soutenu notre combat, a eu affaire aux barras, c'est lors d'une enquête après une manifestation violente devant le Congrès, raconte Nizzardo, et il s'est rendu compte que les membres de la sécurité étaient tous des barristas de Boca".
Aujourd'hui, l'Argentine, qui parlait de finale du siècle parle maintenant de finale de la honte. Le moment idéal pour commencer à faire le ménage dans ses tribunes, où les barras sévissent dans une impunité presque totale ? "Le problème, c'est qu'on vit dans un pays où l'on joue depuis des années sans supporters visiteurs car les autorités ne peuvent assurer notre sécurité pendant 90 minutes, dénonce Nizzardo, le problème va bien au-delà des barras, qui ne sont que le dernier maillon de la chaîne". Selon Salvemos al fútbol, les agressions qui impliquent des barristas ont provoqué plus de 300 morts, dont au moins 90 ces dix dernières années. Samedi dernier, ils sont suspectés d'être les principaux responsables d'un des plus grands fiascos de l'histoire du football argentin. "Une manière pour les barras de montrer leur pouvoir, ou de faire valoir leurs revendications, a toujours été de provoquer des désordres pour annuler des rencontres", conclut Nizzardo.
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