Coupe du monde des clubs, Manchester City - Fluminense : Ganso, dernier héritage du 10

Rien n'a changé, tout a changé. Le 18 décembre 2011, il y a un peu plus de 12 ans, Paulo Henrique 'Ganso' Chagas de Lima, récent vainqueur de la Copa Libertadores avec un club brésilien, s'apprêtait à défier le lauréat sortant de la Ligue des Champions, coaché par Pep Guardiola, en finale de Coupe du monde des clubs. Déjà, il était le chef d'orchestre d'une équipe balancée entre vieux briscards et talents générationnels sur le point de s'exporter en Europe.

Ce vendredi soir, Ganso enfilera non plus la tunique du Santos FC, mais celle de Fluminense et adoptera la même mine impénétrable au moment de faire face à Manchester City. Au coup d’envoi, le numéro 10 des Fluzao aura sûrement un arrière-goût de déjà-vu. En 2011, les caméras étaient braquées sur Neymar, 19 ans, et Messi, 24 ans, qui s'affrontaient pour la première fois.

Cette fois, elles le seront sur Rodri, faute d'Erling Haaland, et le jeune milieu brésilien André. Des talents dira-t-on moins brillants, symptomatiques d'une époque, peut-être. On y reviendra. Toujours est-il que la traînée de poudre de la comète Ganso, même si elle s'essouffle, scintille toujours autant dans la galaxie du football.

Symptomatique d'une époque, lui l'est. Pour sûr. A 34 ans, le milieu offensif est l'un des derniers dinosaures de l’idolâtré, parfois à l’outrance, poste de numéro 10. "Au point de sauver l’imaginaire du 10 classique, celui capable de résoudre le jeu d’une seule passe – et qui s’est perdu dans le passé" écrivait même le quotidien brésilien O Globo en juillet. Les derniers reflets à l'argentique de l'époque où les enfants floquaient leurs maillots de Boca d’un implacable RIQUELME 10.

Il faut dire que les attentes étaient grandes au pays. A Santos, il était plus que le fidèle compère des jeunes années de Neymar. "Moi-même, je pensais Ganso meilleur que Neymar" nous avait confié Marcelo Bechler, journaliste indépendant brésilien, après sa signature à Amiens en 2018. Entre temps, Ganso a eu le temps d'éclore, se perdre, renaître, s'exporter en Europe et s'y perdre à nouveau avant de retrouver le Brésil.

Mais, dans ce parcours cabossé pas si remarquable, il y a eu quelque chose de spécial. Quelque chose de profondément humain dans les gloires et ses échecs qui font la beauté de son parcours et qui explique son statut particulier dans les consciences, plus profond que celui d’ex-Wonderkid déchu. Comme lorsqu'il fut dans les petits papiers du PSG en 2011, avant que Pastore ne lui soit préféré après une Copa America ratée avec le Brésil.

Comme son amitié avec Neymar aussi, dépeinte mille fois dans les médias, mais trop rarement sous l'angle de l'opposition entre les deux hommes. Neymar, l'excentrique de deux ans son cadet, chouchou des objectifs et des recruteurs. Ganso, son taiseux ainé, réservé à la ville et mal à l'aise sur les plateaux télés.

Pourtant, ce tempérament fantomatique ne l'a pas empêché de fédérer partout. Tout le temps. Lors de son passage à Amiens, John Williams, ancien directeur sportif du club, confiait à SoFoot : "Là où il y a eu une surprise, c’est tout l’engouement qu’il y a eu au Japon. Car il est super célèbre, là-bas. À l’époque, nous n’étions pas équipés pour vendre des maillots au Japon et ceux de Ganso étaient demandés un peu partout dans le monde."

L'amoureux de football est sourd et Ganso en est la meilleure allégorie. L'oie, comme il est parfois surnommé au Brésil (Ganso signifiant littéralement Oie en portugais), détonne par le décalage entre l'étincellement de son jeu et la pudeur de sa vie. John Williams, toujours pour SoFoot : "Il y a le footballeur qui est une star mondiale, il y a l’homme qui est d’une humilité et d’une simplicité énormes. Il s’était pris une petite maison à vingt minutes d’Amiens, en pleine campagne. Il habitait là, avec sa femme et sa fille. Il avait des chiens, peinard."

Mais le football européen moderne ne peut pas faire de places pour ces artistes. Ce n'est presque plus un poncif. Ganso a besoin de temps, d'espace, d'un poste au cœur du jeu et d'un vis-à-vis qui ne court pas trop vite. La Premier League, et ses 4 illustres suiveurs, demandent l’inverse. Le championnat brésilien, lui, adule toujours ces profils : de De Arrascaeta à Eduardo, récemment rejoint par le plus -Brésil-compatible des Français, Dimitri Payet.

C'est peut-être ça qui le rend si envoutant. Il a gagné avant de perdre. Il s’est relevé et a enduré, a connu la tristesse d’être loin des siens à Séville avant de revenir chez lui, mener la vie paisible qu’il avait, en réalité, toujours souhaité. Comme tout le monde. Au pays où le ballon est la Bible, c’est lui qui a ramené pour la première fois le plus grand des sacrements, la Copa Libertadores, dans la cathédrale du Maracana. Avec un look de comptable et une élocution de professeur d'université.

Pour repousser sa petite mort, Ganso a, donné rendez-vous au monde sur les planches du stade Roi-Abdallah de Djeddah. Face à lui, la personnification de son némésis : l'ogre financier européen Manchester City, leader de Premier League et de son football autoroute. Une bataille qui ne dit pas son nom tant elle est à sens unique. Et à la fin, c'est le football qui perd.