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Les Grands Récits -Hurst, but fantôme et controverse éternelle

Maxime Dupuis

Mis à jour 24/02/2020 à 18:46 GMT+1

LES GRANDS RECITS - Geoff Hurst est le seul joueur à avoir réussi un triplé en finale de la Coupe du monde. C'était à Wembley, en 1966 et face à la RFA. L'attaquant tient une place à part dans l'histoire de football, de par cet accomplissement. Et parce que l'un de ses trois buts, celui qui a offert le Mondial à l'Angleterre, est accompagné d'un immense doute qui ne sera jamais levé.

Hurst Grand Récit

Crédit: Eurosport

Les Grands Récits repartent pour une troisième saison. Nouvelle année, et nouvelle thématique pour votre rendez-vous du mardi. Ces prochaines semaines seront consacrées aux grandes controverses et aux grands scandales de l'histoire du sport. Dans ce deuxième épisode, il est question d'un des buts les plus célèbres de l'histoire de football. Un but, vraiment ?

Hans Tilkowski est mort le 5 janvier dernier. Il était âgé de 84 ans. Portier de la Nationalmannschaft durant près d'une décennie, le natif de Dortmund était entré dans l'histoire du football allemand par ses accomplissement entre les montants. Et dans la légende du foot mondial par la faute de l’un d’entre eux. Le 30 juillet 1966, il fut victime d'une injustice. Et arrêté aux portes de la gloire tout en étant accueilli dans la grande salle de la postérité.
Sur la photo, en noir et blanc mais nullement jaunie, il est celui qui se contorsionne et, alors qu'il n'a pas encore retrouvé le plancher des vaches, a la tête tournée vers l'objet de ses désirs. Lui, encore moins que les autres, ne peut savoir si ce foutu ballon a bel et bien franchi sa ligne de but. Parce que la frappe de Geoff Hurst, passée au-dessus de ses deux bras tendus et renvoyée par la barre transversale, a rebondi sur le sol à une vitesse vertigineuse.
Hans Tilkowski
En justice, on parle d'intime conviction. La sienne a été forgée en un clin d'œil. Il eut été souhaitable, à ses yeux, qu'elle fut partagée par les juges du jeu, ce qui aurait allégé sa peine. Il n'en fut rien. Récompensée d'un but généreux, l'Angleterre s'en alla gagner sa Coupe du monde, aux dépens de Tilkowski et de la République Fédérale d'Allemagne. Son rêve s'était envolé. Pas ses regrets, qui l'ont accompagné jusqu'à son lit de mort. C'est en tout cas ce qu'il avançait, depuis toujours.
Je mourrai avec la certitude que le ballon n'était pas entré
Y a-t-il réellement songé en rendant l'âme ? On ne le saura jamais. Une chose est sûre, cette frappe a changé sa vie. Mais pas autant que celle de Geoff Hurst, son bourreau ce jour-là. Le bourreau de l'Allemagne. Le héros de l'Angleterre.
Se pencher sur Geoff Hurst, c'est s'attaquer à un second couteau sorti de son étui au moment opportun, parler d'un héros improbable et essayer de démêler les fils de l'une des plus grandes polémiques footballistiques d'un siècle, le XXe, qui n'en a pourtant pas manqué. Et dont l'Angleterre, fut aussi, l'une des plus éclatantes victimes, vingt ans plus tard. Cette fois, le ballon avait bel et bien franchi la ligne, pas de doute. Mais il y avait été propulsé par la main du Dieu Maradona. Et il n'y avait pas besoin de s'y reprendre à deux fois pour en être convaincu. Eliminés par l'Argentine, les Anglais sortaient tête basse et, en finale, l'Allemagne de Franz Beckenbauer - sur le terrain en 1966, sur le banc en 1986 - ne put rien pour venger les sujets de sa Majesté. L'ironie eut été savoureuse.
En 1986, Geoff Hurst en avait fini avec le football. Deux ans qu'il avait replongé dans la vraie vie, en travaillant dans les assurances. Mais Hurst n'a jamais totalement rompu les liens qui l'attachaient à son passé. Parce que le monde l'a toujours ramené à cette journée du 30 juillet 1966, à cette finale dont il fut le héros ultime. Parce qu'il y eut ce "but" de la 101e minute et la polémique qui s'ensuivit. Mais aussi et surtout ce triplé qui propulsa l'Angleterre sur la Lune sans qu'elle ne quitte son île.
Pour vous donner une idée de ce qu'a réussi Hurst ce jour-là, dites-vous simplement que personne n'en a fait autant en 20 finales de Coupe du monde. Vava, Pelé et Zinédine Zidane y ont aussi marqué trois buts, mais ils ont dû s'y reprendre à deux fois au moins pour parvenir à leurs fins. Enfin, depuis 1966, d'autres ont réussi des triplés en Coupe du monde. Au premier tour de la compétition ou en huitièmes de finale. Jamais plus haut.
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Geoff Hurst

Crédit: Eurosport

Cricket ou football ?

Si l'histoire n'empruntait aucun de ces chemins de traverse qui font son charme, Geoffrey Hurst n'aurait pas été concerné - ou d'un peu plus loin - par la Coupe du monde 1966. Né le 8 décembre 1941 à une époque où Anglais et Allemands s'affrontaient déjà sur des terrains plus abîmés et dramatiques que Wembley, Hurst est le fils d'un footballeur. Le rejeton de Charlie se débrouille ballon au pied mais excelle aussi dans une autre discipline : le cricket. Hurst a des chances de faire de sa passion son métier : reste à savoir laquelle l'emportera.
"Je n'étais même pas le meilleur joueur de foot de mon école !, jure-t-il dans une interview accordée à GQ en 2017. Un copain nommé Terry Copsey était meilleur que moi, mais j'avais des qualités et j'avais une bonne attitude. Mon maître, monsieur Billington, avait écrit un jour 'Je suis sûr que quoi que fasse Geoffrey Hurst dans la vie, il réussira'". Bien vu.
"J'ai espéré (faire du cricket), dévoilera-t-il un jour dans les colonnes du Guardian. La grosse difficulté a été d'essayer de faire les deux. Avec le recul, comme pour tout le reste des choses de la vie, il faut se concentrer à 100% sur un objectif. Je jouais au cricket l'été et au football l'hiver." Hurst va même aller jusqu'à zapper une tournée au Ghana avec West Ham, son club de football, pour disputer un match de championnat de première division avec le comté d'Essex contre le Lancashire. Nous sommes en 1962. Hurst est âgé de 21 ans. La Coupe du monde 1966 aura lieu en Angleterre. On le sait depuis quelques mois, quand la candidature anglaise a été préférée à celle de… l'Allemagne de l'Ouest.
Le natif de Ashton-under-Lyne tranche : ce sera le football et West Ham, dont il est un des milieux de terrain. Il est aussi le coéquipier d'un défenseur brillant, du même âge que lui et voué à un avenir radieux. Son nom, claquant, est déjà une invitation au succès : Bobby Moore. Lui aussi a traîné ses guêtres sur les terrains de cricket où il a croisé, déjà, la route de Mister Hurst.
A la différence de Hurst, Moore découvre la sélection nationale assez rapidement. Il est une évidence que Walter Winterbottom, prédécesseur de Sir Alf Ramsey, ne peut ignorer. Hurst est à cette époque encore loin du compte. "Les supporters qui m'écrivaient le faisaient pour me demander de leur obtenir un autographe de Bobby Moore", résume-t-il. Un homme va changer le cours de son destin : Ron Greenwood. Le manager de West Ham aime bien Hurst. Mais voit en lui autre chose d'un milieu de terrain. Il le trouve meilleur pour attaquer que pour défendre.
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Bobby Moore et la Coupe du monde 1966

Crédit: Eurosport

Souvent, on recule au fil de sa carrière. Hurst, lui, va avancer d'un cran au début de la saison 1962-1963. Demi gauche, inter puis avant-centre : Hurst mue. Et ça marche. Au fil des saisons, il inscrit de plus en plus de buts, jusqu'à l'exercice 1965-1966 qui le voit scorer à tour de bras : 23 buts en championnat, 11 en Coupe de la Ligue, 4 en FA Cup. Néanmoins, hormis une demie de Coupe des Vainqueurs de Coupe et une finale de Coupe de la Ligue, West Ham, 12e du Championnat, ne brille guère. Heureusement, cela n'empêchera pas trois des siens de disputer le Mondial : Bobby Moore, évidemment, Martin Peters et... Geoff Hurst. Les deux derniers marqueront en finale. Le premier brillera tout au long de la compétition.
Le buteur des Hammers honore sa première de ses 47 capes en février 1966. Devinez face à qui et où ? La RFA, à Wembley. Victoire 1-0. Hasard de l'histoire, l'Allemagne de l'Ouest marquera aussi la fin de sa carrière internationale, six ans plus tard et à Wembley toujours, encore. A jamais.

De Churchill aux Beatles

A l'heure où la Perfide Albion accueille la planète, à l'occasion de la huitième Coupe du monde de l'histoire, l'Angleterre est un pays orphelin de sa figure tutélaire, du plus grand homme du pays au XXe siècle et sans doute même de son histoire, Winston Churchill. The Beatles ont pris le pouvoir populaire et débuté leur mue artistique. Elle se transformera bientôt en révolution avec la sortie de "Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band".
Le Fab Four incarne merveilleusement une Angleterre dont les enfants de l'après-guerre arrivent à l'âge de décider de leur destin. Il sera aux antipodes de celui de leurs parents : psychédélique et surtout tourné vers l'avenir, éteignant doucement mais sûrement cette Angleterre longtemps impériale, devenue surannée. Réduits au second rôle, derrière le cousin américain et l'ennemi soviétique, les Anglais ont néanmoins naturellement conservé deux de leurs qualités fondamentales : orgueil et fierté. Wembley sera leur terrain de (re)conquête.
Président de la FIFA jusqu'en 1974, Stanley Rous fut un grand dirigeant. Anglais, il sait mieux que quiconque ce que le football doit à l'Angleterre. La compétition qui s'ouvre le 11 juillet est taillée pour la sélection aux Three Lions. Si tout se passe bien, elle disputera ses six rencontres à Wembley. Cependant, l'Angleterre ne réalise pas le début de tournoi escompté. L'entame est poussive, à l'image d'une compétition violente et dont la plus fameuse des victimes se nomme Pelé. Saccagé par le Bulgare Jetchev et le Portugais Morais, le meilleur joueur du monde et sa sélection, double tenante du titre, disparaissent dès le premier tour. La fin d'un rêve ? Une parenthèse qui sera remarquablement refermée quatre ans plus tard au Mexique.
En attendant le feu d'artifice auriverde, l'Angleterre compte bien combler le vide laissé par les Brésiliens. Contre l'Uruguay, ce n'est pas ça (0-0). Face au Mexique, c'est mieux (2-0). De même face aux Bleus (2-0) qui jouent contre les Anglais leur dernier match de Coupe du monde avant une traversée du désert de douze ans.

Et Bonnel s'essuya les crampons sur Greaves…

Bref, l'Angleterre de Bobby Moore est en quarts de finale du Mondial. Et c'est déjà pas mal. Seul souci, de taille, elle a perdu Jimmy Greaves parce que Joseph Bonnel a eu l'idée saugrenue de s'essuyer les crampons sur son tibia. Quatorze points de suture plus tard, celui qui reste à ce jour le meilleur buteur de l'histoire du Championnat d'Angleterre se retrouve cloué sur le banc. L'heure de Geoff Hurst est venue.
Le futur héros de la nation ne boude pas son plaisir. Et s'en souvient, encore. "Quand je me suis retrouvé sur le banc face à l'Uruguay (lors du match d'ouverture), j'étais déçu que l'on n'ait pas gagné mais je me souviens m'être dit que j'étais content d'être là. Je ne méritais pas de démarrer car je n'avais pas très bien joué les deux matches précédents. Et puis, Jimmy s'est esquinté le tibia face à la France..."
Jimmy Greaves est la plus belle machine à buts que l'Angleterre n'ait jamais enfantée. "Jimmy était, assez simplement, un génie confronté au plus difficile : marquer des buts. Et je n'utilise pas le mot génie à la légère, confie Hurst sur son site officiel. Ses états de service parlent pour lui : il marquait quelque chose comme trois buts tous les quatre matches et, assez justement, il est considéré comme le plus grand buteur de l'histoire en Angleterre." Avec 44 buts en 57 sélections, Greaves joue des coudes avec les autres légendes anglaises. Seuls Rooney (53 buts en 120 capes), Charlton (49 en 106 matches) et Lineker (48 réalisations en 80 sélections) lui sont passés devant.

Hurst ouvre son compteur

Le quart de finale face à l'Argentine est resté dans l'histoire pour d'autres motifs que le but de Hurst. Mais c'est pourtant cette première réalisation en Coupe du monde du Hammer - de la tête - qui envoie les locaux en demie de leur Mondial. La violence argentine, Antonio Rattin et son refus de sortir sept bonnes minutes après avoir été expulsé, lui ont volé la vedette. Partie remise. Son heure de gloire est à venir.
En demie, le héros s'appelle Bobby. Charlton marque deux fois face au Portugal. Les hommes de Ramsey, qui ont encaissé leur premier but de la compétition par l'étoile Eusebio, tremblent. Mais l'essentiel est acquis : Hurst et ses copains reverront Wembley et ce sera face à la RFA, tombeuse de l'URSS.
Jamais, avant ce 30 juillet 1966, Anglais et Allemands ne s'étaient affrontés en match officiel. Cette première est majestueuse. Wembley est bondé. 96 000 spectateurs. Soleil au rendez-vous. L'Angleterre, aussi, est devant la télévision. La finale du Mondial reste avec 32,3 millions de téléspectateurs l'événement le plus suivi de l'histoire de la Grande-Bretagne devant les funérailles de Lady Diana.
En 1966, la Coupe du monde reste une affaire qui se règle à onze contre onze et où s'assoir sur le banc est définitif. Jimmy Greaves le sait. Geoff Hurst aussi. Alors que le premier retrouve la forme, Alf Ramsey a conscience qu'il va faire un malheureux. Le matin du match, Greaves ne sait pas encore qu'il sera celui-là. Il le sent. Hurst, lui, a été prévenu la veille au soir alors que les finalistes du Mondial se rendaient au cinéma pour faire retomber la pression. "Tu joues demain. Mais ne le dis à personne", lui murmure Ramsey.
Une fois n'est pas coutume, les Anglais ne tirent pas les premiers durant cette finale. Ce sont les Allemands, maillot blanc, qui ouvrent la marque par Helmut Haller (12e). Pas le temps de douter : Hurst égalise six minutes plus tard. Un but "made in London". "Ce premier but est un but d'entrainement. A West Ham, on a l'habitude de jouer les touches, les corners ou les coups francs très rapidement, explique Geoffrey Hurst dans l'ouvrage GOAL !. Bobby a obtenu le coup franc, on peut le voir me regarder. Il le frappe très rapidement. Hans Tilkowski n'est pas sorti". Hurst, seul comme pas permis, égalise à 1-1.
Peters pense avoir offert la Coupe du monde aux siens quand, à la 78e minute, il double la mise pour l'Angleterre. Il n'en est rien. L'histoire n'en est qu'à ses balbutiements.

"Score virtuel 2-1"

Le lundi suivant la victoire des Anglais, le journal L'Equipe barrera sa Une d'un "Angleterre vrai champion" suivi d'un "Score virtuel 2-1 : les trois derniers buts contestables". Parce que la prolongation n'aurait jamais vu le jour si le Suisse Gottfried Dienst, au sifflet ce jour-là, n'avait pas accordé un coup franc tardif et généreux à Wolfgang Overath, vu, aussi, que Karl-Heinz Schnellinger s'était aidé de la main avant la reprise de victorieuse de Wolfgang Weber. Premier loupé. Pas le dernier.
2-2. Prolongation. Cent-unième minute du match. Moore trouve Alan Ball qui centre vers Hurst dans la surface de réparation allemande. L'attaquant a coupé au premier poteau. Dos au but, il parvient d'un contrôle orienté à se remettre dans le droit chemin. Légèrement excentré et à l'angle des six mètres, le Hammer piétine pour se mettre en position de frappe. Schulz tente de revenir, désespéré. Il tacle. Trop tard. Le pétard est parti. Sur la barre. La suite appartient à la légende. Le ballon rebondit sur le sol. Roger Hunt lève les bras au ciel. Weber le dégage de la tête.
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But ou pas but de Geoff Hurst en finale face à l'Allemagne ?

Crédit: AFP

Dienst n'est certain de rien. A l'entrée de la surface, l'arbitre n'a rien vu. Du coup, il s'en va demander conseil à son assesseur, un certain Tofik Bakhramov. Le Soviétique, lui, ne doute pas. Cheveux gris, moustache noire, il rejoint Dienst à l'intérieur des limites de l'aire de jeu. Pour lui, c'est un grand oui traduit par ses gestes assurés, que tout Wembley voit. L'affaire est réglée en deux coups de cuillère à pot. Sifflet à la bouche, Dienst accorde le but, Bakhramov montre le centre du terrain. L'Angleterre mène 3-2.
"J'étais assez loin du but, à vingt mètres environ. Il m'a semblé que la balle franchissait la ligne, mais je doutais. Je n'aurais sans doute pas accordé le but si je n'avais pas vu mon juge de touche, le Russe Tofik Bakhramov, esquisser un pas vers le centre du terrain, explique-t-il après la finale à l'envoyé spécial de L'Equipe. Je l'ai donc consulté et il a été affirmatif. Il m'a montré, avec les deux mains, que le ballon avait rebondi au sol à 20 centimètres environ derrière la ligne de but. Je ne pouvais plus hésiter. Et l'on m'a dit que la télévision avait confirmé mon jugement".

Conviction et bénéfice du doute

"Elle est entrée d'au moins un mètre ! Je n'ai rien vu mais je veux croire au prix de ma vie que la balle a franchi la ligne, exagèrera Hurst, à l'occasion du 50e anniversaire de l'événement. Et ce sentiment ne m'a jamais quitté." Pour lui, comme d'autres, la réaction de Hunt a valeur de preuve. Qu'il ait levé les mains au ciel sans tenter de pousser le ballon au fond prouve que le ballon était bien entré. Evidemment, les Allemands n'en ont jamais été autant convaincus…
"J'ai regardé au-dessus de mon épaule gauche et j'ai clairement vu que le ballon n'était pas passé derrière la ligne", confirme Tilkowski. "C'était impossible d'en être certain, juge alors Helmut Schön, sélectionneur de la Nationalmannschaft. Dans un match de cette importance, le bénéfice du doute aurait dû l'emporter."
La seule vérité qui vaille est que personne ne peut décemment affirmer que le ballon a entièrement franchi la ligne. Depuis des lustres, des armées de scientifiques se sont attelées à lever le mystère du "but fantôme", que les Allemands appellent "Wembley Tor" comme tout autre action litigieuse de ce type.
Une fois, c'est non : le ballon n'est pas entré. C'est ce que dirent les ingénieurs en biomécanique de l'université d'Oxford, arguant qu'il avait manqué 6,7 centimètres pour que le but soit valable. En 2016, Sky Sports s'y est collé à son tour et a assuré le contraire, aidé par Opta et EA Sports, producteur du jeu FIFA. Bref, même en Angleterre, le mystère règne.
Les Allemands ont toujours été plus catégoriques. Autant que le quatrième et dernier but anglais, inscrit alors que le public commençait à envahir le terrain et que Hurst, crevé par deux heures d'effort, cherchait à balancer le cuir le plus loin possible derrière le but de Tilkowski afin de grapiller les dernières secondes qui manquaient au Royaume pour s'installer sur le toit du monde, le "Wembley Tor" est une hérésie.
Les triomphes de 1974, 1990 ou 2014 ont adouci la déception et, lorsque les supporters anglais entonnent leur sarcastique "Two World Wars and One World Cup" arrosant leurs rares succès face aux Allemands, ces derniers prennent les choses avec une philosophie certaine. Les malheurs de Lampard en 2010 et cette frappe qui, elle, avait bien franchi la ligne ont aussi aidé à avaler la pilule de l'autre côté du Rhin.
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Manuel Neuer

Crédit: Getty Images

Bakhramov, légende improbable

Hormis Hurst, un autre acteur du 30 juillet est passé à la postérité alors qu'il n'était qu'un second rôle et que son coup d'éclat n'a pas duré plus de dix secondes : Tofik Bakhramov, incorrectement rebaptisé "the Russian linesman". Incorrectement parce qu'il était soviétique, pas russe. Et surtout azerbaïdjanais, nationalité recouvrée en 1991 une fois l'indépendance du pays acquise après la chute de l'URSS.
L'homme, qui fut aussi footballeur et secrétaire général de la jeune fédération d'Azerbaïdjan, est devenu une fierté locale après la finale de 1966. Il a même donné son patronyme au principal stade du pays en 1993, année de sa mort. Bakhramov a supplanté un certain Lénine, alors bien moins en vogue.
Le propre des grandes nations est d'avoir de la mémoire. Hurst et les supporters anglais n'ont jamais oublié que Bakhramov avait embelli leur histoire. Du coup, le jour de 2004 où les Three Lions se sont rendus à Bakou y défier l'Azerbaïdjan pour la première fois, Hurst est également monté dans l'avion. Arrivé à bon port, le buteur anobli en 1998 a dévoilé une statue massive de l'homme en noir érigée devant le stade éponyme.
Maillots rouges sur le dos, floqués Bakhramov et numérotés 66, les supporters britanniques ont eux profité de leur crochet sur les bords de la mer Caspienne pour fleurir la tombe du défunt et célébrer la mémoire du "juge de touche russe" en rencontrant son fils Bahram, fier comme Artaban. "Des gens comme Tofik Bakhramov naissent une fois par siècle", lance-t-il à cette occasion, avec un sens de la mesure démesuré.
Hurst, la Coupe Jules Rimet et Bakhramov

"Stalingrad !"

De son vivant, Bakhramov s'est exprimé une fois sur le but fantôme de Wembley. Dans ses mémoires. But ? Pas but ? Pour lui, le ballon n'avait pas tapé la barre mais le haut du filet. Une pirouette qui ne change rien à l'affaire et n'a convaincu personne. Certains l'ont accusé d'avoir voulu venger l'URSS, que les Allemands avaient sortie en demi-finales. D'autres, plus baroques, ont fait courir la délicieuse anecdote que l'arbitre, qui avait combattu le troisième Reich durant la Seconde Guerre Mondiale, avait toujours ces mois de terreur dans un coin de la tête. Sur son lit de mort, à l'un de ses proches qui lui aurait une dernière fois demandé pourquoi il avait accordé le but aux Anglais, il aurait laconiquement répondu et un peu trop savoureusement : "Stalingrad !".
De Stalingrad à Leon, il n’y a qu’un pas. Ou presque. 14 juin 1970. Quart de finale de la Coupe du monde. Sous un soleil de plomb, Anglais et Allemands se retrouvent pour une revanche de la finale de 1966. Le "Russian linesman" n'est plus là. Hans Tilkowski non plus. Geoff Hurst, si. Au cœur de la prolongation et alors que le score est encore de 2-2 (décidément...), le buteur de West Ham bat Sepp Maier. Les Anglais, qui ont gâché une avance de deux buts et une qualification qui paraissait acquise à vingt minutes de la fin, pensent avoir retrouvé le fil quand, comme quatre ans auparavant, Geoff Hurst sort de sa boite au cœur de la prolongation. Un coup de sifflet et un drapeau levé viennent cette fois les refroidir. Son but est refusé. Parce que l'arbitre de touche a cru que l'Anglais était hors-jeu. Il ne l'était pas. Le but, celui-là, était valable. L'Angleterre perd sa couronne sur une erreur arbitrale. Ironie de l'histoire.
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