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Les Grands Récits - Coupe du monde 1982 : Paolo Rossi, la résurrection du pestiféré

Chérif Ghemmour

Mis à jour 11/07/2022 à 13:55 GMT+2

LES GRANDS RECITS - Feu Paolo Rossi a quasiment offert à lui tout seul le titre mondial à l'Italie en 1982 en marquant six buts lors de ses trois derniers matches. Une semaine de rêve qui l'a consacré pour l’éternité comme l'un des héros de l'histoire du foot. Peut-être parce ses exploits relèvent d’un véritable miracle, rendu possible par la persévérance farouche du sélectionneur Enzo Bearzot.

Les Grands Récits - Paolo Rossi.

Crédit: Quentin Guichard

"It's the eye of the tiger / It's the thrill of the fight / Rising up to the challenge of our rival !" Le mois de juillet 1982 rugit du hit imparable The Eye of the Tiger du groupe US Survivor. L'hymne phare des années MTV tiré de la BO de Rocky 3, réalisé par l'Italo-Américain Sylvester Stallone, a lancé pour de bon la décennie triomphante des winners planétaires : "C'est l'œil du tigre / C'est le frisson du combat / À en relever le défi de notre rival !"
En cette fin d'après-midi du 5 juillet 1982, dans la moiteur du stade de la Sarrià de Barcelone, un loser italo-italien au regard de chien battu traîne, lui, sa souffrance. En pathétique tigre de papier, Paolo Rossi vient de se ridiculiser en ratant un contrôle pourtant facile dans la surface brésilienne à la réception d'un très bon centre de Marco Tardelli. Un coup d'épaule du puissant Toninho Cerezo l'a même fait tomber à terre et c'est assis, perdu, que Paolo Rossi voit le jeu reprendre sans lui.
A 17h19, au tout début de ce Brésil-Italie du deuxième tour du Mundial espagnol, Paolo est en perdition... L'attaquant dépourvu de l'œil du tigre et pas prêt au frisson du combat se révèle en effet bien incapable de relever le défi du rival brésilien, comme le martèle chaque jour la presse italienne depuis le début de cette 12e Coupe du monde. Au matin de ce lundi 5 juillet, elle s'est encore acharnée sur sa tête de Turc en titrant, "Azzurri, expliquez-nous le mystère Rossi !" ("Azzurri, spegiateci il mistero Rossi !")
Mais pourquoi, Diable !, en effet, Enzo Bearzot maintient-il sa confiance à cet avant-centre maigrichon, flanqué du numéro 20 et auteur de zéro but lors des quatre matches précédents ? Pourquoi l'entraîneur de la Nazionale ne voit-il toujours pas cette évidence qui crève les yeux : Paolo Rossi a tout simplement cessé d'être un footballeur ? En frioulan borné, Bearzot l'a pourtant titularisé une cinquième fois contre une Seleção solaire, ultra favorite du tournoi. Les couteaux déjà aiguisés de tous les plumitifs d'Italie frapperont au cœur vers 19 heures, à l'heure où les Zico, Socrates, Falcão, Junior et Eder auront bien-entendu éliminé les pauvres Azzurri trahis par Enzo et Paolo.
Un mois plus tôt, quand Enzo Bearzot avait rappelé Paolo Rossi dans les 22 sélectionnés pour le Mundial en Espagne, une incrédulité mêlée de colère s'était levée dans toute la Péninsule. Au poste crucial d'avant-centre, l'immense attaquant juventino Roberto Bettega s'étant gravement blessé, le choix aurait dû naturellement se porter sur Roberto Bruzzo, meilleur buteur de Serie A avec la Roma lors des deux saisons écoulées (18 buts en 1981 et 15 en 1982). Or, c'est vers le "revenant" sulfureux que le sélectionneur s'est tourné pour figurer en pointe de l'attaque italienne.
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Enzo Bearzot, pipe au bec et droit dans ses bottes.

Crédit: Imago

Après deux ans de suspension infligée par la Federcalcio en mars 1980, Paolo Rossi n'avait en effet repris la compétition que fin avril 82 avec la Juventus. Ne disputant que les trois derniers matches d'un championnat justement remporté par les Bianconeri, il avait juste inscrit un petit but contre l'Udinese. Toujours paria du football italien, Rossi avait été au cœur d'un scandale infamant qui avait un peu plus accablé un pays déjà affligé des tourments politiques des Années de plomb : terrorisme meurtrier des Brigades Rouges et des néo-fascistes, corruption endémique et instabilité parlementaire. Flashback...
Le 25 mars 1980, la police financière arrête huit joueurs à la sortie des stades, dont Paolo Rossi, 24 ans et buteur de Pérouse. Convoqué par le juge romain Corrado de Biase, il se voit même confisquer son passeport avant de comparaître au tribunal, silhouette gracile aux boucles brunes, traqué par les paparazzi. L'immense scandale du totonero vient d’éclater. Pendant illégal des paris sportifs officiels (le Totocalcio), le totonero organise parallèlement et dans l'ombre tout un système de paris clandestins qui conduit souvent à des matches truqués.
Or, deux rencontres sont dans le collimateur des juges : Lazio-Milan AC du 6 janvier 1980 et surtout Avellino-Pérouse du 30 décembre 1979. Selon les révélations explosives d'un trouble commerçant de légumes, Massimo Cruciani, Paolo Rossi est accusé d'avoir touché 8 millions de lires avec trois de ses coéquipiers pour arranger ce match contre Avellino et le faire aboutir à un match nul (score final : 2-2 et doublé de Paolo). De lourdes condamnations tombent : le Milan AC et la Lazio sont relégués en Serie B.
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Paolo Rossi arrive en compagnie de son avocat pour connaître sa sanction dans l'affaire du Totonero.

Crédit: Getty Images

Bologne, Avellino et Pérouse sont condamnés à des retraits de points pour l'exercice suivant. Parmi les 30 joueurs poursuivis, Colombo, Cacciatori et Albertosi sont radiés à vie. Les autres sont punis de peines allant de quelques mois à six ans de suspension. Rossi écope en première instance de trois ans de suspension, ramenés à deux années... La foudre s'est abattue sur la tête de Paolo qui niera toujours, cependant : "J'ai vécu cela comme une injustice, se désolait-il encore pour France Football en 2005 : je n'ai jamais joué un sou sur des paris, jamais misé de l'argent au Totocalcio, alors arranger des résultats de matches, ça ne m'a jamais effleuré l'esprit !"
Mais le pire, c'est qu'une autre affaire avait entaché bien involontairement l'honneur de Paolo, star du Calcio et international A. En mai 1978, le joueur qui était alors la copropriété de la Juventus et de Vicence où il brillait, fut l'objet d'une sorte de vente aux enchères entre les deux clubs. Selon le cérémonial des buste (des enveloppes) durant lequel les présidents des deux clubs proposent à bulletin secret une indemnité de transfert à l'autre club, celle de Giussy Farina (Vicence) surclassa celle de Giampiero Boniperti (Juventus). La somme astronomique, indécente, de 2,65 milliards de lires contre les 875 millions du président turinois provoqua un tollé dans l'opinion au point que le président de la Federcalcio démissionna.
Frappé ainsi d'indignité nationale en mars 1980 par cette double peine, Paolo Rossi avait entamé son bannissement en phase dépressive : "J'ai pensé à quitter l'Italie et à arrêter le football. Le pire, c'était la suspicion des gens, ces regards. J'étais dégoûté du football." L'icône déchue fait alors penser au tableau du martyr Saint-Sébastien au corps criblé de flèches, peint par le peintre de la Renaissance, Le Pérugin...
Commence alors une ténébreuse traversée du désert qui s'éclaircit en mars 1981 : Giampiero Boniperti le fait signer pour de bon à la Juve et, sous les ordres du coach Giovanni Trapattoni, Paolo va s'entraîner dur. Clin d'œil de la providence, le sélectionneur Enzo Bearzot lui rend visite plusieurs fois au centre d’entraînement des Bianconeri. Après lui avoir fait jurer qu'il était innocent dans l'affaire du totonero, il lui fait cette promesse : "Ne lâche pas prise. Entraîne-toi. A ton retour, je t'emmène avec moi au Mundial 1982 et je te ferai redécouvrir les cris et les applaudissements du public !"
A la tête de la Nazionale depuis 1975, Bearzot a été très tôt subjugué par les prouesses du jeune Paolo. Meilleur buteur de Serie B en 1977 (21 buts) avec Vicence, qu'il a largement contribué à faire monter en Serie A, Rossi a réalisé l'exploit inédit en Italie de finir capocannoniere de Serie A à 21 ans en 1978 (24 buts). Les surprenants Biancorossi de Vicence ont même fini deuxièmes derrière la Juventus... Belle revanche pour celui que la Vieille Dame avait recruté en 1972 mais qu'elle avait prêté à Côme (1976) puis en copropriété à Vicence (1976-80). C'est pourquoi le bon Bearzot l'avait retenu en mai 1978 dans le groupe italien pour la Coupe du monde en Argentine, après lui avoir déjà offert deux sélections.
Au sein du tandem qu'il forme devant avec Roberto Bettega (Juventus), appuyé de Franco Causio, Paolo se distingue brillamment. Il marque son premier but international contre la France le 2 juin à Mar del Plata lors du match inaugural du groupe 1 (victoire 2-1). Il récidive contre la Hongrie (un but de renard, 3-1) puis offre la passe décisive à Bettega contre l'Argentine (1-0). Après trois victoires, la Squadra fait un bon nul face à la RFA (0-0), bat l'Autriche 1-0 (but de Paolo, sur un une-deux avec Bettega) mais bute aux portes de la finale sur les Pays-Bas (1-2). L'Italie décroche une honorable quatrième place face au Brésil (1-2), troisième.
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Paolo Rossi face à l'Argentine lors du Mondial 1978.

Crédit: Imago

Contre la Seleção, un centre de Paolo Rossi en position d'ailier droit a offert à Francisco Causio la balle du but italien (1-2). Et c'est justement au regard de son registre d'attaquant complet (trois buts, deux passes décisives), mobile, capable de peaufiner le jeu, de servir la dernière passe et de conclure les actions, selon Roberto Nottarianni de France Football, que Bearzot a toujours jugé Rossi indispensable à la Nazionale. Unique joueur de Vicence au milieu des cadors que sont Zoff, Cabrini, Gentile, Scirea, Tardelli, Causio, Antognoni (qu'il retrouvera tous au Mundial 82), Paolo Rossi a joué les six matches de l'Italie en intégralité !
L'épopée argentine a constitué un test déterminant qui l'attachera un peu plus à la Squadra pour laquelle il sera régulièrement appelé. A tel point que son absence pour suspension pour cause du totonero à l'Euro 1980, organisé justement en Italie, pèsera lourd sur le rendement offensif des Azzurri.
Présélectionné pour cette compétition alors qu'il pesait 4 buts en 10 sélections, il ne peut renforcer une Italie décevante dans ce tournoi à huit équipes : 0-0 contre l'Espagne, 1-0 contre l’Angleterre, 0-0 face aux Belges et défaite 1-1 et 8 tirs au but à 9 face à la Tchécoslovaquie en match pour la troisième place. Les éliminatoires de Coupe du monde 82 n'ont pas été très brillantes. L'Italie s'est qualifiée, certes, mais en finissant deuxième de sa poule derrière la Yougoslavie et avec un total moyen de 12 buts inscrits en 8 matches...
Voilà pourquoi, fin avril 1982, Bearzot n'hésite pas un instant à rappeler Rossi en vue du dernier match de préparation d'avant-Mundial, Suisse-Italie du 28 mai 1982, qu'il lui fait jouer en intégralité à Genève (1-1). "Je savais que si Rossi n'était pas en Espagne, je n'aurais pas de joueur opportuniste dans la surface de but, écrivit-il plus tard. Dans cette zone, il était vraiment bon, rapide, toujours prêt à réaliser la bonne feinte".
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Bearzot - Rossi : un lien indéfectible entre les deux hommes.

Crédit: Imago

Problème : tel Rocky Balboa dans Rocky luttant contre lui-même afin de redevenir le bon boxeur qu'il a été, Paolo envisage avec appréhension le formidable défi consistant à revenir au top pour la Coupe du monde. "Pendant ma suspension, j'ai vécu des moments très difficiles, confessa-t-il dans France Football. Des moments de doute, où l'on se pose des tas de questions : suis-je encore en mesure d'accepter les souffrances d'un footballeur ? Car, lorsque vous êtes aussi longtemps éloigné de la compétition, vous perdez les habitudes d'un joueur professionnel : les efforts répétés à l'entraînement, la capacité de concentration autour des matchs, les rythmes de jeu. Ou même, plus directement, supporter la vie de groupe dans une équipe." Pour la presse italienne, la question "est vite répondue" : l'indigne Paolo Rossi est inapte à figurer dans la Nazionale.
Après son Euro 80 décevant, la sélection italienne vieillissante débarque en Espagne sur la pointe des pieds. Outre Paolo Rossi, les médias italiens critiquent la présence d'un autre paria : le vieux capitaine et toujours titulaire Dino Zoff (40 balais), préféré au détriment d'Ivano Bordon (Inter). Franco Causio est également raillé pour son âge, 33 ans... La Nazionale de Bearzot s'appuie sur une solide ossature juventina dont six Bianconeri figurent dans l'équipe-type (Zoff, Gentile, Scirea, Cabrini, Tardelli et Rossi). C'est au cœur du clan turinois qui assure la cohésion tactique de la Squadra et fait régner sa culture de la gagne, que Paolo Rossi se reconstruit pas à pas dans le réconfort et la solidarité rapprochée...
Versé dans un Groupe 1 qui comprend la redoutable Pologne, un bon Pérou qui avait séduit au Mundial 78 et le bizut camerounais, les perspectives de passer au tour suivant sont floues. Selon la même formule qu'en 1978, les deux premiers du groupe se retrouveront ensuite dans des poules de trois équivalentes aux huitièmes et aux quarts. A Vigo (Galice) où la Nazionale est basée, la presse transalpine est déjà en embuscade, guettant le moindre faux pas d'Azzurri pourtant encore disposés à dialoguer avec elle.
Aux entraînements, les craintes au sujet de Paolo Rossi se confirment, hélas !, comme le racontera avec humour Altobelli : "Les premiers temps, il était en grande difficulté. A l'entraînement, nous faisions des matches et c'étaient les deux capitaines qui choisissaient les joueurs à tour de rôle. Le dernier joueur qui restait, eh bien c'était Paolo Rossi." L'intéressé confirmera : "Je sortais de deux années très moyennes. Je n'avais joué que quelques matches. J'essayais de reprendre le rythme de la compétition. Entrer dans cette Coupe du monde était très difficile pour moi, mentalement."
Le 14 juin, à l'Estadio Municipal de Balaídos de Vigo où elle disputera ses trois matchs de poule, l'Italie entame pourtant la compétition face à la Pologne avec Rossi titulaire. Le 0-0 facturé alors à un point, et deux pour la victoire, déçoit les tifosi. En pointe aux côtés de Francesco Graziani, Paolo Rossi a disputé l'intégralité de la partie sans vraiment briller.
Le 18 juin, face à un Pérou coriace, la Squadra qui menait 1-0 depuis la 18e minute grâce à une mine de Conti aux 18 mètres, se fait rattraper sur un but de Diaz à la 83e (1-1 au final). Paolo Rossi, hors sujet et hors de forme, a cédé sa place à la mi-temps, remplacé par Causio... Deux matches, deux nuls : les journalistes italiens enragés excitent la colère des tifosi ! Les premières rumeurs sur les relations "équivoques" entre Paolo Rossi et son compagnon de chambrée Antonio Cabrini circulent à bas bruit...
Mais les règlements de compte sont remis au 23 juin, jour d'Italie-Cameroun. A la 60e, une sublime tête croisée de Graziani fait mouche sur un centre de Rossi : 1-0. Mais dans la minute qui suit, un relâchement coupable de la défense transalpine permet au Lion Indomptable M'Bida d'égaliser de près : 1-1, score final. Paolo Rossi, transparent malgré sa passe décisive, a encore disputé dans son intégralité ce match infamant contre une sélection camerounaise que les médias transalpins jugeaient à la portée des Azzurri…
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Qui veut la peau de Paolo Rossi ? Toute l'Italie...

Crédit: Imago

Après trois nuls, les Italiens, deuxièmes derrière la Pologne, se qualifient par miracle au tour suivant en coiffant au poteau les Camerounais, trois points eux aussi, mais grâce à un petit but (2) de plus que les Lions (1). La presse nationale déchaînée, qui a redoublé d'allusions salaces à propos de Cabrini et Rossi, assassine ce dernier, considéré comme un imposteur. La titraille impitoyable des quotidiens le vise plus que les autres : "Les étranges vacances de M. Rossi et Cie" (Le strane vacanze del signor Rossie C), "L'association Rossi-Grazziani est un échec" (Fallita l’intesa Rossi-Grazziani)...
Lassés des viles attaques sur leurs performances et solidaires de Paolo et Antonio, les Azzurri décrètent alors à l'unanimité le "silenzio stampa" : ils boycotteront les médias transalpins jusqu'à la fin de la compétition. Approuvant ses joueurs, Enzo Bearzot sacrifiera toutefois à ses obligations de sélectionneur en maintenant le dialogue courtois, sa célèbre pipe au bec, avec les journalistes. Tout comme Dino Zoff, capitaine, mais qui se limitera aux échanges minimums avec eux.
Décidés à s'isoler au maximum, les Azzurri migrent à Sant Boi de Llobregat à 12 km de Barcelone, ville où ils disputeront un second tour face à l'Argentine, tenante du titre, et au Brésil, méga favori. La perspective d'affronter ces deux géants mondiaux ne semble pourtant pas affoler les hommes de Bearzot qui bronzent tranquillement sous le soleil catalan à la piscine de l'hôtel Castillo sans jamais répondre aux sollicitations vociférées par leurs compatriotes reporters.
Paolo Rossi, leur cible préférée, peut compter sur la bienveillance protectrice de ses coéquipiers, notamment ses chers Juventini Cabrini, Tardelli et Gentile : "Il était malade de ne pas réussir à marquer lors de la première phase du tournoi, se souviendra ce dernier pour Sofoot.com. Mais d'un côté, c'était normal, car nous étions tous encore très marqués par la préparation physique importante qui pesait sur nos organismes. On avait encore de l'acide lactique dans les muscles (rires)... Paolo Rossi m'avait confié son mal-être. Mais nous étions réellement un groupe, alors on s'encourageait tous à tenir, à faire le dos rond, le temps de digérer cette préparation physique importante : 'Allez les gars, ne vous inquiétez pas : on va gagner !' En plus de retrouver, comme la plupart de l'équipe, un second souffle à partir du deuxième tour, je pense que ce bain de confiance dans lequel on baignait tous a aidé Paolo à performer durant la suite du tournoi." "Une équipe, une famille", professait doctement à l'italienne le Mage de l'Inter Helenio Herrera...
Pour le deuxième tour du Mundial, le Groupe C abrite donc le Brésil, l'Argentine et l'Italie. Cette poule composée d'anciens champions du monde et baptisée par The Guardian en 2007 the deadliest-ever Group of death in FIFA World Cup history (le plus mortel de tous les Groupes de la Mort de l'histoire de la Coupe du monde) prend la forme d'un truel cinématographique. Et plus particulièrement dans le genre western spaghetti, en souvenir du fameux duel à trois, "l'impasse mexicaine", qui voit l'affrontement final entre Blondin, Sentenza et Tuco à Sad Hill dans Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone (1966)... Le stade de la Sarrià de l'Espanyol Barcelone sera le Sad Hill des trois protagonistes appelés à se rencontrer au début des longs crépuscules, toujours à 17h15.
Le jeudi 29 juin, beaucoup des rescapés italiens et argentins du Mundial 78 se retrouvent face à face, devant 43 000 tifosi des deux bords. D'emblée, le dur Claudio Gentile domptera "gentiment" la fougue du jeune prodige Diego Maradona et la patiente Nazionale terrassera l'Albiceleste en dix minutes. A la 57e, sur un contre assassin conclu par une frappe croisée du gauche de Tardelli (1-0), puis fait le break à la 67e, suite à un duel raté de Rossi face à Fillol mais bien poursuivi par Conti qui récupère le ballon et passe en retrait pour Cabrini qui défouraille du gauche : 2-0 ! Le capitaine Passarella réduira la marque à la 83e sur coup franc direct.
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Paolo Rossi et Marco Tardelli

Crédit: Imago

Après avoir exulté sur le terrain, les joueurs italiens regagnent directement les vestiaires sans adresser un mot ou un regard aux journalistes italiens qui les interpellent... Les Azzurri ont surpris par leur fraîcheur physique et leur discipline tactique. On relève même du mieux chez Paolo Rossi. Averti à la 15e et remplacé à la 80e par Altobelli, il est même noté 5,5 sur 10 par La Gazetta dello Sport qui titre le lendemain "FANTASTICA ITALIA !" en accordant un 8 à Tardelli.
Le vent serait-il en train de tourner après la liesse de la veille qui a vu les ragazzi de toute la Péninsule sillonner les rues en Vespa en agitant des Tricolore, le drapeau Italien ? Peut-être pour la Squadra… Mais pas pour Paolo, perfidement stigmatisé d'un "Il ne manque que Rossi" (Manca solo Rossi) dans un autre grand quotidien. La presse italienne impitoyable ne le sait pas mais ses basses attaques ont galvanisé les Azzurri : "En fait, toutes ces histoires, toutes ces polémiques ont finalement soudé notre groupe, soulignera Rossi, des années plus tard. Nous étions conscients de nos capacités et nous n'attendions plus que le déclic. Il est venu avec la victoire face à l'Argentine, au deuxième tour."
C'est sans doute pourquoi l'équipe italienne qui déboule le lundi 5 juillet à 17h15 sur la pelouse de la Sarrià ne semble pas si terrorisée au moment d'affronter le redoutable Brésil coaché par le charismatique Telê Santana. Encouragés par les assourdissants orchestres de samba en jaune et vert, les Zico, Socrates, Falcão, Junior et Eder se présentent plus que jamais en favoris du tournoi après leurs trois victoires en poule contre l'URSS (2-1), l’Ecosse (4-1) et la Nouvelle Zélande (4-0). Dans la seconde phase de poule, ils ont fait mieux que l'Italie en surclassant 3-1 l'Argentine, le 2 juillet. Soit 13 buts en quatre matches et, en seconde phase, une différence de but supérieure à celle des Italiens obligés de gagner pour accéder aux demi-finales.
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Brésil - Italie, 5 juillet 1982. Socrates et Zoff, les deux capitaines

Crédit: Imago

Comme annoncé par les médias italiens, le début de match de Paolo Rossi, encore titularisé, est pathétique : son contrôle manqué dans la surface brésilienne en est la preuve de trop. "J'étais un fantôme", avoue Rossi. La confiance que lui porte Bearzot est le seul viatique qui le maintient encore d'attaque à la Sarrià : "C'est lui qui a insisté pour me laisser jouer même dans les moments de grande difficulté, quand tout le monde demandait ma tête."
Le jeu reprend durant ce premier round d’observation où le ballon vogue d’un camp à un autre sans trajectoire précise, et puis... Et puis… Et puis… Et puis arrive la 5e minute. Il est 17h20 à Barcelone. Sur un centre de la gauche de son pote Cabrini, Paolo Rossi surgit seul aux 6 mètres et place une tête tranchante qui trompe le gardien Waldir Peres : 1-0 ! Paolo exulte en courant, bras victorieux en l'air, le sourire éclatant. Après un bond joyeux, Antognoni puis Tardelli et Graziani l'étreignent chaleureusement.
Mais les Brésiliens ne sont pas favoris pour rien. Alors ils attaquent et égalisent à la 12e minute sur une trouée de Socrates, superbement lancé par Zico. A la 25e minute, leur domination trop tranquille pousse Toninho Cerezo à une relance latérale plein axe vers Junior. Sa passe trop molle est interceptée par Paolo Rossi qui s'échappe avant de fusiller Waldir Peres aux 16 mètres : 2-1 pour l'Italie.
"L'opportunisme ! C'est sa plus grande qualité !", racontera hilare Altobelli, conforté en 2012 par Cesare Prandelli, alors sélectionneur de la Nazionale : "Rossi anticipait et prévoyait là où le ballon devait arriver. Même sur des actions où d'autres joueurs l'auraient considéré comme perdu. Il gardait toujours une concentration maximale pour chiper le ballon et marquer des buts."
Un coup de tonnerre inouï vient de s'abattre sur la Sarrià : l'immense Brésil est à nouveau mené et l'heure de la rédemption du numéro 20 de la Squadra semble avoir sonné… En seconde période, les Brésiliens donnent tout face à des Italiens étonnants qui défendent en bon ordre et qui lancent même quelques offensives. Mais la pression est trop forte et à la 68e, Falcão égalise sur passe de Junior ! Un shoot terrible du gauche aux 16 mètres. La Seleção est en demie puisqu'un nul lui suffit.
Sauf que le Brésil qui s'est assigné depuis toujours la mission généreuse d'offrir des merveilles de jeu au reste du monde ne sait pas "gérer" un résultat. Alors, les Brasileiros repartent à l'attaque car seule la victoire est belle. Les vagues jaunes déferlent… Jusqu'à la 74e minute. Corner pour les Bleus, leur premier du match, botté par Conti vers le point de penalty... Renvoi brésilien de la tête sur Tardelli aux 16 mètres qui reprend du gauche… Le ballon trace tout droit jusqu'à la ligne des 6 mètres où Rossi, qui devance Graziani, reprend du droit en pivot au milieu d'un groupe compact de maillots jaune d'or... (Altobelli : "Paolo avait ce don inné de voir la cage même quand il lui tournait le dos. Il pouvait voir les buts même par une nuit sans lune. Paolo était un avant-centre de surface de réparation.) Le ballon gicle de son pied droit en partant fouetter les filets : 3-2 pour l'Italie et triplé de Paolo Rossi ! Incredibile ! Senzationale !
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Traitement de choc : le maillot de Zico déchiqueté par son chien de garde, Claudio Gentile.

Crédit: Imago

Les Brésiliens encaissent mal : ils ne supportent jamais d'être menés au score… Qui plus est, ils n'ont eu que trois jours de repos après leur match face à l'Argentine, contre six jours pour l'Italie. En poule, menés 1-0 face à l'URSS et l'Ecosse, ils avaient illico puni les deux insolents. Mais l'Italie est d'une autre trempe : bien en jambes, elle résiste de façon coordonnée sans vraiment faiblir et l'avantage qu'elle a pris à trois reprises démontre qu'elle joue sans peur... A se ruer sur le but de Zoff, les Brésiliens s’exposent aux contres.
Sur l'un d'eux survient l'estocade à la 86e : Rossi lancé côté droit dans la surface transmet à Oriali qui remise sur Antognoni aux six mètres qui bombarde à bout portant : 4-2 ! Mais l'arbitre annule le but pour un hors-jeu plus que discutable. A l’ultime minute Dino Zoff bloque sur la ligne une tête puissante d’Oscar... et la partita è finita ! Les Brésiliens s’effondrent en larmes.
En 2002, Paolo titrera son autobiographie, "J’ai fait pleurer le Brésil" (Ho fatto piangere il Brasile)… Au milieu du terrain, le numéro 20 hurle de bonheur, bras levés : "Ce match m'a servi d'électrochoc. J'étais remonté à bloc. J'ai tout tenté et tout réussi. Le premier but face au Brésil a été le plus important pour moi. Peut-être le plus important de ma carrière… Soudain, j'étais redevenu Pablito." "Pablito", c'était, en effet, le surnom affectueux dont l'avaient affublé les tifosi avant qu'il ne devienne pestiféré. Son triplé fait aussi resurgir l'éloge lyrique du célèbre journaliste italien Giorgio Tosatti adressé au jeune Paolo quelques années plus tôt : "Il a la grâce du danseur et la froideur impitoyable du torero".
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Socrates et Zico incrédules, le Brésil en pleurs.

Crédit: Eurosport

Il est 19 heures passées et le monde vient d’assister à l'une des plus grandes sensations de l'histoire du football. Une surprise gigantesque ? Pas pour les Azzurri : "On était meilleurs que les Brésiliens, on les aurait battus huit fois sur dix parce qu'ils étaient lents", assènera tranquillement Dino Zoff dans France Football en septembre 2001, appuyant les propos tenus en 1999 par "Pablito" Rossi : "Le secret de cet exploit ? Nous, Italiens, notre force, c'est que nous avons affronté les Brésiliens sans complexe. En conquérants !" En descendant les marches en ciment menant aux vestiaires, les Azzurri sont à nouveau hélés par les journalistes transalpins, micro en main : "Bergomi !, Paolo ! Paolo ! Paolo ! Paoloooo !, Claudio !... Claudio !"
Mais, bien entendu, aucun d'eux ne daigne répondre à ceux qui fourbissaient leurs poignards deux heures plus tôt. Silenzio stampa ! Seul Enzo Bearzot, transfiguré, des "partita eccezionale !" plein la bouche, leur accorde 20 secondes de joie profonde. Sans rancune, ni triomphalisme, il se voit légitimé par ses choix forts aux extrémités, derrière et devant, en ayant maintenu envers et contre tout Zoff et Rossi, héros d'un des matchs du siècle. Le retour en bus tourne au triomphe romain à l'arrivée des Azzuri à l'hôtel Castillo assailli d'admirateurs.
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Après son triplé et la victoire contre le Brésil (3-2), Paolo Rossi est entouré comme le héros qu'il est en train de devenir.

Crédit: Imago

Mais pas le temps de rêver. La demi-finale arrive dans trois jours, le jeudi 8 juillet. Heureusement, c'est toujours à Barcelone, au Nou Camp, cette fois-ci, que l'Italie retrouvera la Pologne. La Nazionale qui vient de renverser la montagne brésilienne part favorite du fait qu'elle avait globalement dominé la formation polonaise en poule (0-0) et surtout parce que l'attaquant Zbigniew Boniek, atout majeur des Blancs de l'Est, est suspendu...
Dans un Camp Nou à moitié plein de 50 000 personnes, l'Italie fait rapidement la différence à la 22e minute. Sur un coup franc indirect, côté droit, Antognoni dépose d’un centre venimeux le ballon devant les buts que Pablito, surgi au milieu de la foule, vient couper du plat du pied en devançant le gardien Józef Młynarczyk. Un but typique de renard des surfaces, selon Altobelli : "On disait que Rossi avait de la chance parce qu'il marquait des buts, disons 'faciles'. Par exemple quand le gardien relâchait le ballon ou bien sur des petits coups de patte dans les 6 mètres. En tous cas, lui était toujours là et il n’y avait personne d’autre… Quand la balle est dans la surface de réparation, Paolo est là aussi. En résumé, la balle passe là où il est."
Rois de la gestion du score et du contropiede, les Azzurri patientent jusqu'à la 73e minute pour faire le break. Altobelli, entré quelques minutes auparavant à la place de Graziani, lance en contre Bruno Conti sur le flanc gauche. Son centre au laser est repris de la tête au second poteau par... Pablito qui marque le but vide : 2-0 ! On jurerait que c'est la tête de Paolo qui est venu au centre et non le contraire, tellement son positionnement et sa finition sont limpides.
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Et maintenan,t l'Italie fête Rossi partout dans les rues en ce début de mois juillet 1982.

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Doté du fameux sixième sens des buteurs d’exception, Paolo Rossi (1,74m pour 66 kilos) avait défini son style, plus cérébral que physique : "80% du football, c'est de l'instinct. Décider d'aller dans un sens plutôt que dans l'autre sur le terrain est quelque chose d'instinctif. Après un certain temps, cela devient une sorte de mémoire involontaire : vous avez déjà fait ces choses, alors vous les répétez. Mais l'instinct est la chose la plus importante, oui, surtout pour un attaquant.  Je ne montrais presque jamais de puissance, je gagnais seulement ces deux petits mètres qui coûtent un but à l'adversaire. Pour moi, le jeu sans ballon est fondamental, le démarquage est essentiel. Je n'avais pas un bon physique à un poste où c'était requis, donc, je devais être plus intelligent"...
A Plaisance (Emilie-Romagne), un gamin de 8 ans, Filippo Inzaghi, vient de se découvrir un héros pour la vie... Au Camp Nou, Paolo Rossi, étendu sur le dos, les yeux au ciel, s'est fait vite ensevelir du bleu de ses coéquipiers : et de cinq ! Quinze minutes plus tard, l'arbitre siffle la fin : l'Italie est en finale !
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Paolo Rossi face à la Pologne en demi-finale.

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Auteur d'un doublé, Paolo Rossi est aussitôt entouré, embrassé, désaltéré. Pablito renaît au football ! Après tout, il est natif de Prato, près de Florence, berceau de la "Renaissance". Puis il tombe dans les bras de Bearzot : "Il a cru jusqu'au bout en mes qualités. Même face à ceux qui voulaient m'écarter au moment où, justement, je méritais peut-être d’être écarté." Desserrant soudain son étreinte, Paolo tend le bras et, de l’index, il montre fièrement au bon vieux Enzo le panneau lumineux qui affiche en lettres de feu : "L'homme du match est : Paolo Rossi (ITALIA)". Puis en énorme : "ITALIA FINALISTA" !
Quand les joueurs se dirigent enfin vers les vestiaires, ils sont de nouveau apostrophés par les journalistes italiens. Tardelli et Scirea les snobent ostensiblement avant que ne déboule Pablito : "Paolo ! Paolo ! Deux autres buts et capocannoniere du championnat du monde, hein ?" Paolo marque un temps d'arrêt puis assène, le regard buté : "Hmmmm… Je n'ai pas de mots", avant de les planter et de disparaître ! Le lendemain, le Corriere dello sport titre : "2-0. Pablito est le roi de la Coupe du monde" (2-0. Pablito è il re dei mondiali). Cette fois-ci, le vent a bien tourné. Et les vestes aussi...
Tard dans la soirée de jeudi, la RFA s'est qualifiée pour la finale de dimanche après une éprouvante victoire à la Pyrrhus (3-3 et 5 tirs au but à 4) face à la France de Platini, futur Juventino. Voilà pourquoi en ce dimanche 11 juillet au stade Santiago-Bernabeu de Madrid, au moment où Fratelli d’Italia retentit à 19h50, la caméra TV dévisage un à un - Rossi entre Bergomi et Oriali - les Azzurri, plus frais, qui apparaissent comme les favoris de cette finale.
Car face à la montée en puissance de la Nazionale, la Mannschaft même nantie des Breitner, Rummenigge, Briegel, Hrubesch n'a qu'un parcours chaotique à lui opposer. Les tifosi déployant des drapeaux par dizaines font masse parmi les 90 000 spectateurs. Dans la tribune présidentielle, au côté du Roi Juan Carlos d'Espagne, le sémillant président de la République italienne, Sandro Pertini (86 ans !), couve sa Squadra du regard. Juste avant le coup d’envoi sifflé par l’arbitre brésilien Arnaldo Cézar Coelho, la réalisation TV fixe le duel au sommet à venir en s'attardant en gros plan sur Pablito puis sur Rummenigge, diminué par une blessure à la cuisse. Il y a quelque chose de changé dans le regard de Paolo. Une flamme ardente : The eye of the tiger, sans aucun doute...
Enzo Bearzot, qui doit faire sans son meneur Antognoni (blessé en demies), aligne un 5-2-3 de circonstance armé du trident Graziani, Rossi, Conti... Face à une RFA fatiguée par sa demie contre la France, la Squadra obtient un penalty à la 24e. Cabrini le tire... Mais sa frappe à ras de terre trop croisée passe à côté ! Et si Pablito l'avait tiré : l'aurait-il marqué ? Mais ce n'est que partie remise…
A la 57e, sur un centre de Gentile lancé côté droit, le ballon trouve Rossi qui, jaillissant aux six mètres, place une petite tête piquée au rebond : 1-0 pour l'Italie ! C'est la première fois que Karl-Heinz Förster, intraitable axial de la Mannschaft, concédait un but à son adversaire direct en quarante sélections... Et de six pour Paolo, devenu Ange de la Rédemption et de la Justice divine ! Son but semble annoncer une victoire italienne très attendue car après les deux matches de la honte de la RFA contre l'Autriche (qui a éliminé l'Algérie) et la France, la planète foot s'est bel et bien rangée derrière l'Italie.
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Paolo Rossi est à terre mais c'est bien lui qui vient de mettre la R.F.A. au tapis en ouvrant le score en finale à Bernabeu.

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Douze minutes plus tard, Tardelli claque une demi-volée puissante partie mourir dans le coin gauche de Schumacher (2-0) et à la 82e Altobelli porte l’estocade : 3-0 ! Dans la tribune présidentielle, Sandro Pertini, hilare, levait les bras en se dandinant joyeusement.
Breitner sauve l'honneur à sept minutes d'une fin de match sifflée à 3-1 sur la triple exclamation du commentateur de la Rai : "Campioni del Mondo ! Campioni del Mondo ! Campioni del Mondo !" Sur la pelouse, les Azzurri s'étreignent longuement avant de porter Bearzot en triomphe. Le vieux Enzo se penche ensuite pour les embrasser un à un comme un père parmi ses fils, dont Paolo : "Rien n'aurait été possible sans Enzo Bearzot, confia-t-il dans France Football. C'est lui que j'ai senti le plus proche au cours des moments les plus durs. Plus que tout autre personne, il m'a toujours poussé à donner ce que j'avais au fond de moi. Il m’a sans cesse soutenu, servant même de bouclier face aux critiques. C'est un entraîneur et un homme extraordinaires."
Tirant sur sa bouffarde, le malicieux Bearzot raillera après match les journalistes italiens en évoquant Pablito : "Je crois que j'ai bien fait de lui maintenir ma confiance..."
Au pinacle de Bernabeu, Dino Zoff lève le trophée au ciel ! L'Italie égale le record de trois titres de champion du monde détenu par le Brésil. Attendant sagement au milieu de ses coéquipiers de lever à son tour la statuette, Pablito semble être revenu à la normalité de simple footballeur qu'il a toujours voulu être. Or, c'est lui le héros de ce Mundial espagnol.
Champion du monde, Soulier d'or de meilleur buteur du tournoi (6 buts) et Ballon d'Or du meilleur joueur de la compétition (décerné pour la première fois). Paolo Rossi, "l'affreux, sale et méchant", devient San Paolo, Il ragazzo dell'82 pour l'éternité. En trois matches d'une Semaine Sainte allant du lundi 5 au dimanche 11 juillet, il a terrassé, tel le Saint-Georges anglais, non pas un, mais trois dragons. Il incarne l'éternelle renaissance d'une Italie qu'on croit toujours au bord du gouffre et qui se relève après avoir été lavée de ses péchés.
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De zéro à héros : le 11 juillet 1982, Paolo Rossi et l'Italie sont sacrés champions du monde.

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Monté au ciel dans l'avion présidentiel qui ramène la Nazionale le lundi 12 juillet à Rome, Paolo dissipera les aigreurs de ses rapports avec les médias avec humour et effacement. Plutôt que de répondre au reporter de la Rai, Pablito se substitue à lui en empruntant son micro et, face caméra, il se met à interviewer ses deux coéquipiers Franco Selvaggi puis Francesco Graziani en leur demandant de raconter leur Coupe du monde… La classe ! A l'avant de l'appareil, les photographes immortaliseront la joyeuse partie de cartes qui met aux prises Bearzot, Zoff, Causio et Sandro Pertini. Le trophée de champion du monde est posé négligemment sur leur table de jeu.
De retour au pays, Pablito deviendra avec Zbigniew Boniek et Michel Platini tout juste débarqué de Saint-Etienne le fer de lance du nouveau trident de la Juventus. Mais en décembre 1982, c'est bien lui qui remportera le Ballon d'Or devant Alain Giresse et son nouveau coéquipier Boniek. Il commentera sobrement pour France Football son retour en grâce inespéré : "J'ai eu droit en quelques mois à tous les honneurs et à toutes les distinctions. Pourtant, et ça peut paraître paradoxal, je ne pense pas avoir donné le meilleur de moi-même à cette époque. Avant ma suspension, notamment à Vicence, je participais beaucoup plus à l'élaboration du jeu. Je possédais un plus grand rayon d'action."
Peu importe, il participera à l'âge d’or d'une Juventus qui remportera tous les titres nationaux et internationaux jusqu'à son départ pour l'AC Milan à l'été 1985. Après avoir raccroché en 1987 au Hellas Vérone, à 31 ans seulement, pour cause de blessures répétées, il se reconvertira avec succès dans l'immobilier. À Vicence, là où tout avait commencé... Puis le temps passera et Paolo laissera le souvenir rayonnant et ensoleillé du magnifique buteur qu'il fut au Mundial 1982 en Espagne.
Reconnu dans la rue par les anonymes admiratifs qui lui glisseront souvent un "grazie" plein de contrition, il leur racontera sans trop se faire prier, à eux comme à d'autres, son triplé légendaire : "Je suis l'attaquant qui a marqué trois buts contre les Brésiliens. C'est au cœur de mon histoire. Il y a d'autres choses, mais c'est essentiellement cela. Je me revois avec le maillot bleu, le numéro vingt, et je suis content parce que l'équipe nationale unit, tandis que les clubs divisent. Parfois, des années passent sans que je reçoive d'appels téléphoniques des journalistes, mais, à deux mois de la Coupe du monde, il se remet à sonner. Et tout le monde me pose des questions sur le Brésil."
A sa mort, le 9 décembre 2020, même son ancien coéquipier Claudio Gentile évoqua le miracle de la Sarrià d'un 5 juillet 1982 resté inoubliable : "Paolo avait besoin de cela, pour se libérer. Il avait besoin de cette confiance, et d'oublier les matches précédents. C'est de ce match-là qu'il a tiré la tranquillité et la sérénité nécessaires pour, ensuite, devenir le meilleur buteur du Mondial. Il tenait vraiment à faire de grandes choses lors de cette Coupe du monde, notamment car il ne devait pas la jouer au départ à cause de sa disqualification. Pour lui, c'était une forme de rédemption. En étant protagoniste à ce Mondial, il pouvait balayer ce passé."
Quarante ans après l'été espagnol, le mystère de la renaissance solaire de Paolo Rossi soulève les mêmes interrogations que celles qui entourent les héros de l'Antiquité : a-t-il vraiment écrit lui-même les six actes volontaires de son retour en grâce ou bien a-t-il été le jouet du destin, agité par des dieux magnanimes et facétieux ?
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Paolo Rossi (1956 - 2020)

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