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Les Grands Récits : Neeskens, l'autre Johan

Maxime Dupuis

Mis à jour 24/09/2021 à 12:54 GMT+2

GRANDS RECITS - Certains lieutenants ont des allures de général. Johan Neeskens est de ceux-là. Le Néerlandais fut un artisan indispensable de la révolution orange des années 70. Milieu de terrain en avance sur son époque, il a offert à Johan Cruyff la liberté indispensable à son génie.

Johan Neeskens - Les Grands Récits

Crédit: Eurosport

Si les années 70 avaient dû se choisir un visage, elles n'auraient pas manqué de prétendants. Tout au long de la décennie psychédélique, les icones ont poussé comme des champignons - hallucinogènes ou pas. Il n'y avait qu'à se pencher pour ramasser. Johan Neeskens fut l'une d'entre elles. Pas la plus scintillante. Mais pas loin d'être la plus brillante.
Neeskens, c'est une tronche. La gueule d'une génération et la coupe qui va avec. Cheveux longs et blonds, yeux clairs et rouflaquettes boursouflées sur des joues creuses et interminables : Neeskens est une rockstar. Dans un groupe, il n'aurait pas été chanteur. Pas plus guitariste. Ni bassiste. Le Néerlandais aurait été batteur. Un peu en recul du reste de la troupe. Pour la rythmique, l'endurance et l'énergie déployées, impossible de trouver mieux.
Pour toute personne qui suit les choses du football d'assez loin, Neeskens est un nom qui claque. Deux syllabes qui vous reviennent au visage comme un élastique tendu au possible. Neeskens, c'est une action, aussi. Sans doute la moins représentative de ce qu'il savait faire sur un terrain. Ce penalty marqué en finale de la Coupe du monde 1974, face à la République Fédérale d'Allemagne (1-2). Un pétard du droit, lourd au possible, de la craie qui s'envole du point de penalty au moment de l'impact… Personne n'avait marqué des onze mètres dans un tel rendez-vous. Personne n'avait jamais trouvé la faille aussi tôt dans une finale du Mondial (2e). Voilà pour la partie émergée de l'iceberg. Comme souvent, comme toujours même, ce qui n’affleure pas à la surface est bien plus captivant.
Quand on parle de football total, quelques réflexes pavloviens surgissent : Cruyff, Ajax Amsterdam, Pays-Bas. Triptyque magique qui couvre la véritable Sainte-Trinité qui a donné au football des années 70 et, bien plus tard à la révolution barcelonaise, sa saveur unique : Michels, Cruyff, Neeskens. Le premier, entraineur de l'Ajax Amsterdam puis des Pays-Bas et du Barça, fut le maitre à penser et le grand ordonnateur de cette mutation. Johan Cruyff, son bras armé génial L'autre Johan ? Son architecte. Tout simplement.

Le football total avec un footballeur total, c'est plus facile

On peut avancer, sans trop se tromper, que la révolution orange et ajacide n'aurait pas été possible sans Johan Neeskens. Pas plus qu'elle aurait été imaginable sans le cerveau de Michels et le talent unique de Cruyff. Mais à la différence des deux premiers nommés, Neeskens a eu plus de mal à franchir les portes de la postérité. Parce qu'il était, reste et restera "Johan Segon", "Johan le second" dans la langue de Molière. Et pourtant, mettre en place le football total avec un joueur qui sait tout faire, c'est plus facile. Avec Neeskens, Michels possédait cette perle rare.
Johan Neeskens, c'est un footballeur polymorphe et anachronique. Il est tout simplement le premier milieu de terrain "box to box" de l'histoire. Neeskens défend, bien. Avec une énergie et une agressivité certaines. Son endurance et son art du harcèlement n'auraient pas déplu à Ngolo Kanté. Mais Neeskens sait aussi se projeter, mener le jeu. Il marque, aussi. Il terminera d'ailleurs le Mondial 1974 avec 5 buts au compteur. Bref, il est le premier footballeur total de l'histoire. Les surnoms dont il sera affublé tout au long de sa carrière et de ses pérégrinations ne feront que confirmer ses prédispositions et son opiniâtreté. "Pilote kamikaze", selon Bobby Haarms, il sera surnommé "El Toro" en Espagne. Au milieu, il compte pour deux.
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Johan Neeskens

Crédit: Eurosport

L'autre Johan n'est pas un produit de l'Ajax. Non, Neeskens est né au football à une vingtaine de kilomètres d'Amsterdam, au Racing Club Heemstede où il passera huit ans de sa vie. Pour l'anecdote, le jeune Johan aurait même pu faire carrière dans le… baseball. Joueur émérite, il va jusqu'à disputer les Championnats d'Europe juniors à Rome. A 14 ans, il se voit sacré meilleur batteur du tournoi et est à deux doigts d'accepter un stage de trois mois aux Cubs de Chicago avant de délaisser la petite balle blanche pour le gros ballon rond.
"A 16 ans, je jouais avec l'équipe première, en deuxième division. Je sais que les recruteurs me surveillaient, se souvient-il. A 18 ans, l'Ajax Amsterdam est venu me chercher. Je n'ai pas eu à hésiter." On ne refuse pas l'Ajax. Nous sommes en 1970 et le club rouge et blanc, finaliste malheureux de la Coupe des Champions en 1969, est la puissance montante du continent. Elle va bientôt le mettre au pas. Trois ans de suite.
Le deuxième plus grand joueur du monde
Au cœur de l'impitoyable machine rouge et blanche, Neeskens lance sa carrière amstellodamoise en tant qu'arrière latéral droit. Cela durera une saison, celle de l'apprentissage du football total. "Il y avait beaucoup de répétition à l'entrainement pour jouer compact et attaquer ensemble, expliquait-il il y a quelques années à la radio Newstalk. De la couverture alternée, des changements de position… Quand le ballon était perdu, tout le monde pressait dans le camp adverse pour ne pas laisser l'équipe en face se réorganiser. Les onze joueurs, même le gardien, devaient savoir faire tout ça. Aucune erreur n'était permise".
Entre Neeskens et Cruyff, il n'est pas question de relation entre maître et apprenti. Les deux restent à la place qui leur est naturellement dévolue. L'ombre (relative) va très bien à Johan II, qui dira un jour à un journaliste qu'il n'a aucun problème à être "le deuxième plus grand joueur du monde". Les deux hommes vont vite s'apprécier et, surtout, le courant passera très bien entre le jeune Neeskens et l'idole Cryuff.
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Johan Neeskens et l'équipe des Pays-Bas

Crédit: Getty Images

Neeskens est né quatre ans après JC. Le joueur qu'il rejoint n'est pas encore une légende à trois Ballons d'Or mais un footballeur déjà accompli, déjà quatre fois champion des Pays-Bas. Pour l'anecdote, Cruyff a joué au baseball étant gamin et, comme l'autre Johan, se débrouillait plutôt bien. La première fois que les deux sont associés, Neeskens offre une passe décisive au célèbre numéro 14 en match de préparation. Bonne idée. L'essayer, c'est l'adopter. "Ce n'est pas évident de se sentir bien à l'Ajax si tu n'as pas l'assentiment de Cruyff, confirme Chérif Ghemmour, auteur d'une biographie sur le triple Ballon d'Or "Johan Cruyff, génie pop et despote". Leur relation est utile tactiquement. C'est comme avoir Makelele plus Vieira derrière Zidane." Makelele plus Vieira = Neeskens, vous l'aurez compris.
En plus d'être accessoirement de bons footballeurs, les Johan sont intelligents. Les deux hommes savent ce qu'ils doivent l'un à l'autre. Mais Neeskens est aussi souple et ouvert sur le monde que Cruyff est tyrannique et casanier. "Quand je rentre sur le terrain, je veux toujours gagner et récupérer le ballon. Je ne m'intéresse pas à moi", assure Johan II. Si la Coupe du monde et l'odyssée des Pays-Bas cristalliseront leur association, un épisode de la vie amstellodamoise symbolisera leur interdépendance naturelle.
1973. L'Ajax Amsterdam vient de remporter sa troisième Coupe d'Europe des Champions de suite. Après le Panathinaïkos et l'Inter, c'est la Juventus qui a cédé devant la maestria ajacide. A l'été, George Knobel prend les commandes de l'équipe première et souhaite que le brassard de capitaine enveloppe le biceps du joueur qui aura été plébiscité par ses coéquipiers. Capitaine Cruyff voit ce scrutin, à raison, comme un affront. Il subira un cinglant revers. Piet Keizer devient le nouveau capitaine de l'Ajax. Le groupe a lâché Cruyff, qui aurait récolté trois voix. Dont une qui compte. "Cruyff s'est retrouvé ultra-minoritaire mais Neeskens avait voté pour lui. C'est un homme loyal", décrit Chérif Ghemmour. Et la loyauté, ça compte.
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Cruyff et Neeskens au Barça

Crédit: Eurosport

Direction Barcelone, comme Cruyff

Excédé par cet épisode, Cruyff rejoint Michels au Barça. L'été suivant, Neeskens empruntera le même chemin vers la Catalogne. Parce que Johan I avait très envie que Johan II l'y rejoigne. "Je n'ai pas réfléchi à deux fois quand le Barça m'a appelé. Ce n'était pas très difficile de m'adapter à cause de ces deux-là". Leur aventure ne sera pas aussi fructueuse qu'à Amsterdam ou que l'été précédent, quand les Néerlandais et leurs deux chefs de file ont illuminé la planète, lors du Mondial 1974. La révolution orange ne connaitra pas l'épilogue que sa symphonie aurait méritée. L'histoire n'en est que plus mémorable.
Cruyff, 27 ans, est au sommet de son art. Neeskens devient quelqu'un sur la plus belle scène possible. Il n'a pas encore 23 ans. En mondovision, les téléspectateurs découvrent ce footballeur capable de courir inlassablement, presser haut, tacler, prendre les commandes du jeu, frapper bien, fort. Et marquer. Les Pays-Bas sont un ballet. Cruyff est le danseur étoile quand Neeskens se sent bien dans la peau du premier danseur.
Un symbole ? Le match face qui va propulser les Néerlandais en finale du Mondial, face au Brésil post-Pelé. Titrée lors de trois des quatre dernières Coupes du monde, la Seleção n'a plus rien à voir avec l'équipe qui avait enchanté le Mexique et le monde en 1970. S'il peut encore se qualifier pour la finale, le tenant n'existera pas face aux Oranje et, dépassé, va déverser plus de haine que de jogo bonito au Westfalenstadion, antre de cette passation de pouvoir. Neeskens marque le premier but, d'un lob taclé. En position d'avant-centre et sur un centre de qui vous imaginez. Cruyff doublera la mise.
La belle histoire se termine à Munich quelques jours plus tard. La réalité allemande met fin au rêve néerlandais. Neeskens sera, à jamais, le deuxième meilleur joueur de la meilleure équipe jamais sacrée en Coupe du monde. "On a perdu la finale mais on a fait la publicité de notre jeu", se consolera le Néerlandais bien des années plus tard.

L'aventure américaine

Sans Cruyff, qui a décliné la sélection pour des raisons qui restent aujourd'hui nébuleuses, Neeskens aura une seconde chance du côté de l'Argentine, en 1978. Mais une fois encore, les Pays-Bas s'inclineront en finale face à l'hôte de la compétition. Sans doute le plus grand regret de sa carrière. Neeskens n'est alors plus un jeune homme mais le guide des Pays-Bas. Et cette fois, Johan II s'incline au terme d'une finale qui ne pouvait échapper aux Albiceleste (3-1, ap).
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Osvaldo Ardiles et Johan Neeskens

Crédit: Getty Images

Comme en Allemagne, le public a adoré ce qu'il a vu. Jusqu'à un certain point. "Les Argentins aimaient notre jeu. Mais ça a tourné au fil du tournoi, et évidemment tout le monde était contre nous en finale. L’atmosphère était devenue différente", se souvient Neeksens. Il va s'en rendre compte physiquement quand Passarella lui enverra un malicieux coup de coude au visage. "On devait s'y attendre. L'Argentine devait gagner cette finale, pour des raisons économiques et politiques...", regrette-t-il.
Neeskens laisse filer son étoile une deuxième fois. Le rêve est passé. Il ne repassera plus. Après ça, le Néerlandais rentre à Barcelone. Cruyff s'envole à LA. Johan II traversera l'Atlantique un an plus tard, mais à New York. Cinq années de football et d'activités déconseillées quand on pratique le sport de haut niveau, entre consommation d'alcool, de drogue et paris illicites. Il honore une dernière cape, la 49e (pour 17 buts) face à la France en novembre 1981, dans un match que l'Hexagone n'a pas oublié. Neeskens tombe alors dans un oubli relatif.
Il jouera au foot jusqu'à 40 ans. Loin de Cruyff. Loin de l'aura du plus célèbre de ses coéquipiers. Lui aussi reviendra au Barça, sur le banc. Mais en tant que numéro 2, derrière Frank Rijkaard. On ne se refait pas.
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