Style de jeu, communication et management : tout oppose Bielsa et Jardim

A Marseille, les conférences de presse de Marcelo Bielsa resteront comme un moment à part de la saison olympienne. Quand l'entraîneur argentin se présente, tête baissée, face aux journalistes, il se passe toujours quelque chose. Sa sortie à l'encontre de son président le 4 septembre dernier fait désormais partie de sa légende. Et ses nombreuses envolées lyriques sur le football, et sa façon de le vivre au quotidien, aussi. Ses prestations médiatiques ont été aussi popularisées par les performances... de son traducteur. Lorsque Fabrice Olszewski sort son dictionnaire, il se trompe souvent de page pour convertir les expressions d'El Loco en bon français. On ne compte plus les mots inventés pour tenter de traduire la pensée de l'ancien sélectionneur argentin...

Comprenant chacune des questions qui lui sont posées en français, Bielsa ne veut pas y répondre dans la langue de Molière. Il lui préfère encore celle de Cervantes. "Je ne veux pas paraître ridicule, explique-t-il. Je ne parle pas assez bien pour m'exprimer devant vous." A Monaco, Leonardo Jardim a pris le contre-pied de son collègue marseillais. Le Portugais s'exprime en français devant les journalistes. Et sans l'aide d'un traducteur, même si le responsable de presse lui souffle régulièrement les réponses. Les journalistes se retrouvent alors souvent perplexes pour tenter de décrypter le discours de l'ancien coach du Sporting Portugal.

S'ils ont choisi des chemins bien différents dans leur manière d'adresser leur message à l'extérieur du club, Marcelo Bielsa et Leonardo Jardim cultivent surtout leur différence sur le pré. Quand l'un pratique l'offensive à tout-va, l'autre assure ses arrières avant de porter l'estocade au bon moment grâce à des contre-attaques ultra-rapides. "Je ne dirais pas que nous pratiquons un jeu opposé à celui de Monaco, note Bielsa. Mais c'est vrai qu'il y a des différences." Attiré, quelque fois à l'excès, par la volonté de jouer toujours très haut dans le camp adverse, l'entraîneur de l'OM n'a pas réussi à tenir la distance. Ses excellents résultats obtenus lors de la première partie de saison ont laissé la place à une année 2015 catastrophique.

En prônant le marquage individuel à tous les étages, Bielsa a énormément demandé à ses joueurs, aussi bien sur le plan physique que mental. Jardim a géré son groupe de manière totalement opposée. "Au début de la saison, l'OM était meilleur que nous, concède le coach portugais. Ils ont marqué plus de points. Mais nous avons inversé la tendance pour être devant. Marcelo Bielsa reste tout de même un coach avec beaucoup de qualités..." Possédant cinq points d'avance sur Marseille et Saint-Etienne à trois journées de la fin, Monaco aborde sereinement son choc face à l'OM dimanche soir. Et dire qu'au cœur de l'automne, les Olympiens ont compté jusqu'à 14 points de plus que l'équipe de la Principauté...

Quand Monaco cafouillait son football, Marcelo Bielsa a particulièrement porté son attention sur la manière dont son coreligionnaire monégasque a géré cette crise. "Je suis les expériences des grand entraîneurs, spécialement leur gestion des moments difficiles, expliquait à l'époque El Loco. Jardim a montré qu'il était très bon dans cette période-là." Le coach portugais avait alors radicalement changé son style de jeu. Sa défense devenait son point fort, tout comme la vitesse de ses attaquants. "Je valorise beaucoup la forme de son équipe, dit Bielsa. Il a réussi à faire en sorte que son équipe se spécialise dans l'aspect défensif." Quand l'un changeait tout, l'autre restait attaché à ses principes de base. C'est, en quelque sorte, le pragmatisme de Jardim face au romantisme de Bielsa. Chaque stratégie compte ses fervents supporters. Malgré une récente série de quatre défaites d'affilée, la cote de l'entraîneur olympien n'a jamais cessé de grimper.

Soutenus l'un comme l'autre par leurs dirigeants, Bielsa et Jardim possèdent aussi leurs détracteurs au sein même de la profession. Le collège des entraîneurs de Ligue 1 et de Ligue 2 n'a ainsi placé aucun des deux étrangers dans les quatre joueurs nommés pour être sacré meilleur coach de l'année lors des trophées UNFP. "Tous les entraîneurs ont participé à ce vote, analyse Bielsa. C'est donc l'expression d'un sentiment collectif. Je l'accepte et, en plus, je suis d'accord avec eux. Selon moi, je ne dois pas être nommé parmi les meilleurs entraîneurs de Ligue 1. Mon travail ne le mérite pas." Sur ce point-là, les deux entraîneurs se rassemblent. Car Jardim n'en veut pas à la corporation des coachs hexagonaux de ne pas l'avoir retenu. "Les quatre nommés sont les quatre meilleurs entraîneurs français, explique-t-il sobrement avant de faire rire l'assistance. Mais je peux gagner le trophée de meilleur maçon portugais de France ! D'ailleurs, j'en profite pour saluer tous les maçons portugais..."

A la tête de deux projets bien différents dans des clubs à l'environnement totalement opposé, Marcelo Bielsa et Leonardo Jardim ont tenté d'imposer leur style lors de leur première année à la tête de Marseille et de Monaco. Les deux hommes se battent aujourd'hui pour accrocher le dernier strapontin de la Ligue des champions. Cette place sur le podium sera certainement le juge de paix pour deux entraîneurs qui auront marqué cette saison de Ligue 1.