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Marcelo Bielsa en Uruguay : la révolution culturelle est en cours
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Publié 17/10/2023 à 00:02 GMT+2
Néo-sélectionneur de la Celeste, qui défie le Brésil dans la nuit de mardi à mercredi lors des éliminatoires de la Coupe du monde 2026, Marcelo Bielsa bouscule les vieilles habitudes locales, tout en profitant d'un ADN compatible avec son projet de jeu. L'ancien entraîneur de l'OM a balayé l'héritage de Tabarez.
Marcelo Bielsa (Uruguay)
Crédit: Getty Images
En Colombie, l'Uruguay a reproduit un scénario atavique, fidèle à son histoire : arracher un nul dans les derniers instants - sur un pénalty de Darwin Nuñez (91e) - après être déjà revenu au score suite à un coup de pied arrêté, un corner repris rageusement de la tête par Mathías Olivera. Dans la chaleur étouffante de Barranquilla, où prendre un point peut être considéré comme une petite victoire, la Celeste a fait le boulot jeudi dernier et pointe après trois journées à la quatrième place des éliminatoires, la dernière directement qualificative pour la Coupe du monde.
Reste que pour l'Uruguay, la physionomie du match, si l'on s'intéresse au contenu et non seulement aux highlights, n'avait rien de conforme au spectacle dont elle est coutumière. Comme l'a décrit Ovación, "l'Uruguay est allé à l'attaque, s'est exposé, et a souffert pendant une partie de la deuxième période, mais a arraché un point". Un scénario qui pour le coup ressemble surtout à celui que répètent les équipes de Marcelo Bielsa, le sélectionneur celeste depuis le 15 mai. Cet entre-deux uruguayen, entre fidélité en ses forces traditionnelles et début de mue vers une philosophie plus "protagoniste", synthétise assez bien l'étape à laquelle se trouve la Celeste après quatre mois de mandat de l'Argentin. Il y a de belles promesses, mais aussi beaucoup d' interrogations. La principale : la garra charrua est-elle soluble dans le Bielsisme ? Autrement dit, une sélection qui s'est façonnée un palmarès (deux Coupe du monde, quinze Copa América) sur sa science et surtout son amour de la défense de son but par tous les moyens nécessaires, tout en sachant profiter de trois fois rien dans la surface adverse, peut-elle rester compétitive en devenant un ensemble férocement tourné vers l'avant ?
Le don de soi
Se montrer pessimiste serait peut-être oublier que la garra charrua est avant tout le don de soi absolu sur chaque ballon, un esprit de corps à toute épreuve, des vertus qui sont aussi des pré-requis indispensables pour les équipes de Marcelo Bielsa. Dans la culture locale, El Loco peut donc trouver autant de facteurs de résistance qu'un terreau porteur. Après une défaite contre l'Equateur, l'ex-entraîneur de l'OM soulignait d'ailleurs que "la mobilité, l'explosivité, la puissance, la bravoure, l'agressivité" caractérisaient le joueur local. Un ADN compatible avec son projet.
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Marcelo Bielsa
Crédit: Eurosport
Dans une déclaration, Bielsa a aussi semblé faire un grand pas vers l’idiosyncrasie uruguayenne, même si sa rhétorique ingénieuse visait à exposer une idée reçue bien ancrée pour mieux la prendre à revers. "Ne croyez pas que je suis romantique, amorçait-il, avant le rendez-vous de Barranquilla, car à chaque match il y a trois points indispensables et urgents en jeu. Mais que préférer ? Jouer mal et gagner en Colombie, ou bien jouer et perdre ? Je répondrais, mal jouer et gagner. Mais avec le temps, on sait que ces équations ne fonctionnent pas. Car il est très difficile de gagner souvent en pensant que le chemin est de mal jouer. Il est beaucoup plus facile de gagner fréquemment en pensant que le chemin est de bien jouer". Autrement dit : c'est en se montrant séduisante, en jouant loin de sa surface, que l'Uruguay parviendra à ses fins.
Pour mener à bien sa révolution culturelle, Marcelo Bielsa a déjà pris des décisions qui ont bousculé les habitudes locales. La plus commentée a été de se passer de Luis Suarez (Gremio) et Edinson Cavani (Boca), les deux goleadores uruguayens, qui n'ont pourtant jamais annoncé leur retraite. Un choix que n'a pas vraiment tenu à expliquer El Loco. Bielsa a seulement confié "ne pas avoir parlé avec eux". En se passant de ses vénérables vétérans, de plus en plus souvent trahis par leur corps, on peut toutefois supputer que l'Argentin table sur des joueurs dans leur plénitude physique pour appliquer son football particulièrement dynamique, d'autant que l'objectif principal est le Mondial 2026. Suarez et Cavani auront alors 40 ans.
C'est peut-être aussi une manière de tourner la page, même si son prédécesseur, Diego Alonso, avait déjà amorcé une transition en rajeunissant son onze. Avec le néo-entraîneur du FC Séville, les Ronald Araujo (forfait à la Coupe du monde), Facundo Pellistri ou Mathías Olivera s'étaient imposés comme de nouveaux éléments de base pour accompagner Cavani, Suarez, ou Godin, qui a depuis pris sa retraite.
Exigences et étincelles
Parti après l'élimination de la Celeste dès le premier tour au Qatar, Alonso avait toutefois eu le mérite de montrer qu'il y avait bien un avenir après le mandat aussi étendu que faste d'Oscar Tabárez (2006-2021), demi-finaliste de la Coupe du monde 2010 et vainqueur de la Copa America 2011. Mais l'oeuvre d'El Maestro allait bien au-delà de ce que proposait la Celeste, lui qui avait opéré une refondation des sélections, avec un dispositif mis en place pour générer un sentiment d'appartenance dès les catégories de jeunes et la mise en place de regroupements plus fréquents afin d'optimiser le rendement d'un vivier forcément limité quand on est un pays de trois millions et demi d'habitants. Bielsa qui affectionne de lancer de très jeunes joueurs a ainsi pu observer avec satisfaction que le travail de fond continue de porter ses fruits, avec une sélection U20 championne du monde en juin dernier.
Cet héritage de Tabárez avait d'ailleurs été salué par El Loco dans la préface d'une biographie d'El Maestro. L'Argentin n'en avait pas moins critiqué sa sélection en 2015. C'était lors d'un de ses nombreux séjours en Uruguay, pays dont il apprécie la tranquillité. Son analyse filmée à son insu dans un café de Montevideo se révélait impitoyable, alors que la Celeste venait pourtant de largement dominer Chili (3-0). Le respect mutuel et sincère entre ces deux grands professeurs de football n'empêche pas des différents évidents sur leurs projets de jeu. Sur leur manière de travailler, peut-être aussi.
Depuis l'arrivée d'El Loco au sein des installations des sélections, plusieurs habitués des lieux ont en tout cas préféré partir. Le premier a été Claudio Pagani, responsable du "complexe celeste", notamment pour des différents liés à des aménagements demandés par Bielsa, selon la presse locale. Dans la foulée de son départ à la fin du mois d'août, Alberto Pan, médecin de la sélection depuis 2006, n'a pas accepté de dédier tout son temps à la sélection, avant que deux analystes vidéo en fassent de même.
En Uruguay, à Marseille ou à Bilbao, les exigences d'El Loco continuent de faire jaillir des étincelles. Son nouveau défi ressemble aussi à ceux qu'il a relevés par le passé, en prenant en main des institutions marquées par un fort sentiment d'appartenance et au statut d'outsider. Coincé entre les géants brésiliens et argentins avec ses moins de quatre millions d'habitants, l'Uruguay peut même être considéré comme un outsider né, qui a toujours su renverser des montagnes. En éliminatoires pour la Coupe du monde, la Celeste n'a toutefois dominé qu'à une seule reprise le Brésil, son adversaire dans la nuit de mardi à mercredi. Le faire une deuxième fois indiquerait que Bielsa se trouve sur la bonne voie pour marquer l'histoire l'Uruguay. A sa manière.
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