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Ligue 1 : CVC-LFP, miracle ou mirage pour le football français ?

Philippe Auclair

Mis à jour 28/03/2022 à 17:11 GMT+2

LIGUE 1 - Le football français a-t-il trouvé son bienfaiteur ? Il l'a choisi, en tout cas, puisque la Ligue de Football Professionnel a signé un accord avec le fonds d'investissement CVC. Ce dernier va apporter 1,5 milliard d'euros à la Ligue et aux clubs. CVC va-t-il sauver le foot hexagonal ? Ou s'en servir ? En d'autres termes, est-il un miracle ou un mirage ?

Le siège de la LFP

Crédit: Getty Images

On serait tenté de parler d'un miracle. Un milliard et demi d'euros, c'est de quoi voir l'avenir autrement pour la LFP. C'est de quoi voir un avenir, en fait, au-delà des sombres horizons que peignaient la pandémie et des contrats TV moins rémunérateurs qu'on l'avait espéré. C'est de quoi rembourser ses dettes, et, pour les plus vertueux, de quoi investir, significativement, dans l'infrastructure de leur football. C'est de quoi alimenter le rêve un peu fou, mais pas si fou que cela, de voir le football français, deuxième à l'indice UEFA en 2021-22, remonter la pente pour de bon et s'installer dans le trio de tête des championnats européens les plus performants.
170 millions seront affectés au remboursement immédiat du PGE (prêt garanti par l'Etat) qui permit à la LFP de ne pas sombrer pendant la pandémie. 100 millions iront à la constitution d'un fonds de réserve dans lequel puiser en cas de nouvelle catastrophe, et 100 autres millions serviront à financer le fonctionnement de la nouvelle société chargée de faire fructifier les recettes commerciales de la Ligue. Le reste, soit 1,132 milliard d'euros exactement, ira directement dans la trésorerie des clubs.
On comprend que la Ligue 1, puis la Ligue 2, aient entériné à l'unanimité l'accord conclu avec le fonds d'investissement britannique CVC Capital Partners, et pourquoi sa ratification officielle, lors de la prochaine Assemblée Générale de la LFP, ce 1er avril, ne sera qu'une formalité. Cela n'empêche qu'il existe bien une différence entre un miracle, un mirage, et un cadeau. Or CVC n'est pas du genre à faire de cadeaux, et quiconque en douterait devrait examiner, par exemple, comment le fonds d'investissement profita grassement de son implication dans la Formule 1 à partir de 2006.

Un retour sur investissement de 450 M€ en F1

Moyennant deux milliards de dollars, CVC avait alors acquis 70% du capital de la F1, que les investisseurs récupérèrent en l'espace d'un an en se remboursant via l'obtention d'autres prêts... garantis sur les revenus de leur nouvel avoir, un peu à la façon dont les Glazer acquirent Manchester United en empruntant des centaines de millions qu'il appartint au club, et pas à eux, de rembourser. D'autre part, CVC revendit petit à petit ses actions à d'autres investisseurs, et fort bien, puisqu'on estime que son retour sur investissement fut de 450% sur dix ans. Investisseur et bénéfacteur sont rarement synonymes et ne l'étaient certes pas dans ce cas précis.
De plus, le football professionnel français n'est pas le premier à avoir cédé une part conséquente de ses activités commerciales à CVC. La Liga l'avait précédé l'an dernier, après que son président Javier Tebas avait négocié un accord qui devait rapporter 2,69 milliards d'euros aux 42 clubs de la ligue professionnelle espagnole en échange de 10,95% de ses revenus commerciaux (dont les droits TV) et 9,9% de ses revenus légaux sur les cinquante années à venir. Cette somme fut ensuite revue à la baisse, de 2,69 à 2,1 milliards, lorsque quatre clubs, le Real Madrid, le FC Barcelone, l'Athletic et le Real Oviedo, choisirent de se retirer de la course.
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Florentino Perez

Crédit: Getty Images

Ces "rebelles" estimaient que La Liga avait été sous-évaluée ; ils n'acceptaient pas non plus le fléchage obligatoire des revenus générés par la cession de parts de leur ligue, dont 70% devraient être affectés à l'infrastructure des clubs et 15% à couvrir les frais de leur dette, ce qui ne laissait que 15% d'utilisables pour le recrutement et les salaires de joueurs et de techniciens, bien trop peu à leurs yeux pour justifier l'hypothèque d'une partie conséquente de leurs revenus pour le demi-siècle à venir. Un fléchage identique a été retenu pour la LFP, afin d'éviter en premier lieu que certains clubs - moins bien gérés ou plus téméraires - se servent de l'argent de CVC pour parer au plus pressé ou alimenter une chaudière en surchauffe.

Le geste apprécié du PSG

Comment alors, quand un Real ou un Barça (pourtant aux abois sur le plan financier) purent dire "non" au projet de leur ligue, est-on parvenu à une acceptation aussi pleine et entière des termes de l'accord entre la LFP et CVC par les clubs français ? Seraient-ils à ce point à court de ressources qu'ils se seraient laissés aveugler par la perspective de percevoir une première tranche de 16,5 millions d'euros dès le 15 juillet prochain (*) ?
Eurosport.fr a posé la question à un dirigeant de L1 qui prit part aux discussions au sein du directoire de la LFP depuis l'ouverture des négociations. Sa réponse fut des plus nettes. "Non, nous dit-il. J'avais mes réserves au début, mais plus maintenant. Je suis même étonné par ce deal - en bien". C'est que, pour lui et pour les autres décideurs impliqués dans la mise en place de ce nouveau partenariat, les choses ont bien changé depuis que le projet fit son premier tour de table il y a un peu plus de huit mois de cela, quand l'approbation enthousiaste des actionnaires de la LFP était loin d'être acquise. C'est aussi que l'accord conclu diffère sur quelques points essentiels de celui qui fut refusé par quatre des quarante-deux membres de La Liga.
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Nasser Al-Khelaïfi, le président du PSG, lors de la présentation de Lionel Messi.

Crédit: Getty Images

Sa première version devait faire une part beaucoup plus belle au PSG et aux autres ténors du championnat de France, puisque le club parisien était censé percevoir 30% du total de l'apport financier de CVC, c'est-à-dire autant que les treize "petits" clubs de L1 pris ensemble (lesquels n'auraient donc touché que 2,31% du pactole par club), les 40% restants étant partagés par le sextuor composé de l'OM, l'OL, Monaco, Lille, Rennes et Nice.
Les termes de l'accord évoluèrent au fil de mois de pourparlers qui ne furent pas toujours des plus faciles, pour en arriver à un barème de distribution de l'argent de CVC bien plus équitable que celui prévu au départ : le ratio entre ce que touchera le PSG, locomotive de la L1, et les wagons de queue, devait être de 1 à 13 à l'origine; il est désormais de 1 à 6. Le PSG a également accepté de patienter pour toucher in toto les 200 millions qui lui reviennent, permettant ainsi aux "petits" de percevoir l'intégralité de leur quote-part d'entrée de jeu. Le geste a été apprécié dans l'ensemble de la LFP, L2 comprise, et fit beaucoup pour cimenter une union inhabituelle dans le microcosme du football professionnel français.

La question de la "vraie" valeur de la LFP

Selon les informations recueillies par Eurosport.fr, CVC a d'autre part consenti des efforts auxquels l'investisseur s'était refusé dans le cadre de son accord avec La Liga. Pour commencer, le paiement des dividendes éventuels lui étant dus au titre de ses 13,04% de part du capital de la LFP sera différé de deux ans : CVC ne percevra de dividendes qu'à partir de 2024, et encore, à condition que la LFP dégage des bénéfices - un scénario qui ne fut pas des plus fréquents dans le passé récent. C'est à se demander : mais où est l'astuce ?
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Vincent Labrune, le président de la LFP.

Crédit: Getty Images

Notre interlocuteur affirme qu'il n'y en a pas, que CVC a fait un pari raisonné sur la "vraie" valeur de la LFP, grossièrement sous-évaluée à leurs yeux, et que, même si les dividendes se font attendre, la valeur des actions de la LFP - la ligue des champions du monde, peut-être sans égale pour ce qui est de la taille de son réservoir de talents et de la qualité de son système de formation - ne peut qu'augmenter au fil des ans et constituera une compensation plus que suffisante pour le bailleur de fonds. Or quel est le meilleur moyen d'assurer que cette valorisation devienne autre chose qu'un espoir ? Investir. Nous serions donc face à une figure des plus inhabituelles dans la géométrie du football du 21e siècle : un cercle vertueux.
Ce discours ne convaincra pas nécessairement tout le monde. Certaines écuries de F1 se sont plaintes de ce que CVC avait mis une pression indue sur leur sport en voulant maximiser son retour sur investissement à chaque opportunité, que ce soit en privilégiant systématiquement les chaînes de télévision à péage quand il fallait choisir un diffuseur ou en encourageant le "cirque" de la Formule 1 à dresser son chapiteau dans les pays les plus offrants, sans se soucier de la dimension éthique de ces choix. Comme Bob Fernley, ancien vice-directeur sportif de Force India, le confia au journaliste britannique James Corbett, "toutes leurs actions avaient pour objectif d'extraire autant d'argent que possible du sport en y mettant le moins possible eux-mêmes".
Reste que cette fois, ils ont mis un milliard et demi.
(*) Pour ce qui est des clubs de L1 ainsi que des deux ou trois clubs de L2 qui accéderont à l'élite au terme de la saison 2021-22, les autres clubs de L2 touchant 1m€ chacun.
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