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Paris en ligne et "partenaires régionaux" : Les liaisons dangereuses de la L1

Philippe Auclair

Mis à jour 30/06/2022 à 13:58 GMT+2

LIGUE 1 – Les clubs français s'appuient parfois sur des "partenaires régionaux" à la réputation potentiellement douteuse, comme certains opérateurs de paris en ligne. Notre chroniqueur Philippe Auclair met en lumière ces liaisons dangereuses d'autant plus délicates à contrôler pour les régulateurs que les clubs savent comment ne pas franchir les limites de la légalité.

Le drapeau de la L1 sur la pelouse du Parc des Princes

Crédit: Getty Images

VBet, une marque du groupe maltais Vivaro, vient de prolonger son partenariat avec l'AS Monaco jusqu'en 2025. Mais ce n'est pas le seul partenaire des Monégasques en matière de paris sportifs, encore que le club soit des plus discrets quant à cet autre sponsor, ce qui se comprend un peu au vu de la conjoncture : c'est qu'il s'agit de l'un des plus gros bookmakers russes, Liga Stavok, 'partenaire régional de l'ASM' depuis octobre 2021, un rien encombrant par les temps qui courent.
Bienvenue dans le monde mystérieux des 'partenaires régionaux' des grands clubs de Ligue 1, invisibles pour le commun des supporters, mais bien présents là où cela compte pour eux. Pour Liga Stavok, c'est en Russie. Pour le sponsor de l'Olympique Lyonnais 1XBet, c'est l'Afrique, et c'est normal : cet autre bookmaker russe était aussi le sponsor officiel de la récente Coupe d'Afrique des Nations.
Tiens ? C'est encore l'Afrique qui est la cible de 22Bet, 'partenaire régional' du PSG dans cette partie du monde depuis 2020. 22Bet, au passage, est une autre incarnation de 1XBet, un opérateur tellement sulfureux que même l'Angleterre n'en a pas voulu. Liverpool, Tottenham et Chelsea figuraient pourtant parmi les clients; mais les pratiques illégales de 1XBet (paris offerts sur des matches de U16, piratage d'images de la PL, iconographie à caractère pornographique, entre autres, entre beaucoup d'autres), mises en lumière par une enquête du Sunday Times, forcèrent l'autorité de tutelle britannique, la UK Gambling Commission, à retirer sa licence à l'opérateur.

Ne pas franchir la ligne jaune

Mais le monde des paris sportifs est ainsi fait qu'aussitôt qu'on a coupé une tête de l'hydre, une nouvelle apparait. Botté hors du Royaume-Uni, 1XBet, soi-disant basé à Chypre (ses 'bureaux' sont déserts), et détenteur d'une licence à Curaçao, laquelle lui fut récemment retirée, puis redonnée après une faillite au parfum frauduleux, a rebondi ailleurs, à Lyon, et, sous l'alias de 22Bet, au PSG, qui compte aussi la mystérieuse firme Leyu parmi ses partenaires régionaux.
Un mot sur Leyu, qui est aussi partenaire de Chelsea pour l'Asie. Il est impossible d'ouvrir un compte avec ce bookmaker en France, pour la bonne et simple raison que l'autorité de tutelle de la République, l'ARJEL, ne lui pas attribué de licence. On ajoutera qu'il est plus qu'improbable que l'ARJEL qui, à la différence de beaucoup de ses homologues à l'étranger, tâche de faire son travail au mieux, lui en donne jamais une. C'est que Leyu, dont les 'représentants' en Europe sont fictifs - mais oui -, vise d'abord la clientèle chinoise. En Chine. Où parier sur des résultats sportifs sur des sites de bookmakers privés est illégal. Où les proposer est un crime passible de lourdes peines de prison. Où l'un des capo di capi du monde des casinos de Macao, Alvin Chau, membre présumé de la triade 14k, est actuellement incarcéré (il sera jugé le mois prochain et risque une peine de 33 ans de prison) pour cette raison.
C'est que dans le monde du football, plus on met d'argent sur la table, moins on pose de questions.
Et après tout, c'est légal, non ? Ces clubs français qui décident de s'acoquiner avec des opérateurs de paris en ligne pour le moins douteux prennent grand soin de ne pas franchir la ligne jaune. Les sponsors officiels qu'on leur connait dans ce domaine - BetClic, Winamax et consorts - sont tous agréés par l'ARJEL. Comme les noms de 22Bet, 1Xbet et autres n'apparaissent jamais sur les maillots des joueurs de L1 ou sur les panneaux publicitaires des stades dans lesquels ils se produisent, il n'est pas besoin de disposer d'une licence française.

Placer les clubs face à leurs responsabilités

Heureusement pour ces bookmakers, et pour les clubs qui ne disent pas 'niyet' à leur argent, la technologie est là pour parer aux efforts des autorités françaises pour les empêcher d'opérer sur le territoire français. Il suffit d'incruster des panneaux publicitaires virtuels sur les images fournies par la Ligue 1 pour que les noms de ces partenaires apparaissent sur les écrans de télévision vietnamiens, chinois, camerounais ou autres sans qu'on en sache quoi que ce soit dans les stades où se jouent ces matches.
Pour ce qui est d'accéder à ces sites interdits en France, échapper au géo-blocage est des plus faciles avec un VPN - quand les bookmakers n'ont pas déjà mis en place une déviation vers l'un de leurs multiples sites miroir. Le nombre de ceux-ci donne le tournis : une récente enquête de la Asian Racing Federation en a dénombré plus de 12 000 pour un seul de ces opérateurs. Leurs noms changent sans cesse afin d'échapper à l'attention des régulateurs. C'est ainsi que 1XBet a le culot d'orienter ouvertement ses clients potentiels vers d'autres opérateurs en ligne au vu et au su de tous. En leur proposant même un bonus !
Le problème pour les régulateurs français est évidemment que leur juridiction est limitée. Ils n'ont de pouvoir que sur ces opérateurs qui sont actifs sur le territoire de la république. Mais ce n'est pas le cas des clubs qui, eux, sont libres de s'associer ou pas avec ces bookmakers, dont ils ignorent jusqu'au nom du propriétaire. On a déjà raconté ici comment des géants comme Manchester United, le Bayern et, déjà, le PSG avaient signé des accords de sponsoring avec le géant "chinois" (mais opérant depuis les Philippines) des paris sportifs Yabo Sports, depuis démantelé par la police chinoise sur ordre express du président Xi Jinping - alors que Yabo était représenté par un 'directeur exécutif' nommé Dean Hawkes, qui était en fait...un acteur embauché pour la circonstance. Peut-on encore appeler cela de la naïveté ?
Comment avancer, alors ? Par la persuasion, pour commencer. L'Autorité Nationale des Jeux (ANJ) est des plus sensibles au problème et vient d'annoncer la création d'un 'groupe de travail sur les partenariats sportifs des opérateurs de jeux d'argent' et, selon nos informations, entend placer les clubs face à leurs responsabilités, et pourrait même faire pression pour élargir le champ d'action de ses régulateurs. C'est louable; et pourrait même être un premier pas vers une initiative pan-européenne qui force les grands acteurs de son football à faire preuve de davantage de discernement lorsque de mystérieux nouveaux partenaires se présentent à eux. Le timing est bien choisi : beaucoup de ces partenariats prendront fin ce 30 juin, date officielle de la fin de la saison 2021-22. Débarrasser le football d'opérateurs dont tous, sans exception, sont douteux, et certains entretiennent des liens avérés avec la grande criminalité, cela vaut bien quelques millions, non ?
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